Poussés par la misère à quitter la campagne et à rejoindre Shangai pour tenter d'y survivre, un jeune paysan et son père viennent grossir les rangs des millions de déracinés qui permettent aux gros entrepreneurs chinois d'appliquer à la lettre le mot d'ordre de Deng Xiaoping « Enrichissez-vous ». Embauchés sur les chantiers de grands travaux, ils triment comme des boeufs 7 jours sur 7 sans jour férié, pour trois fois rien, cumulant quand il le peuvent, plusieurs emplois sous-payés
Toute l'originalité de ce roman tient au fait que son auteur est un français, vivant en Chine depuis une vingtaine d'années et qu'il porte, naturellement, un regard d'occidental plein de distance et d'ironie sur ce phénomène qui nous parait aberrant. En écrivant ce roman à la première personne, il dévoile un aspect peu reluisant de la Chine contemporaine et décrit sans complexe la corruption et le cynisme d'un système où le socialisme n'est plus qu'un mot dans les livres d'histoire, la brutalité et l'arbitraire inhérents à une mégapole où raison et morale ont disparu, où l'enrichissement (à n'importe quel prix) est le maitre mot.
Si le propos est sans conteste intéressant, il n'en reste pas moins un texte lourd et redondant dans lequel on aurait aisément pu couper un tiers des 400 pages qui le composent. le lecteur a droit au détail de chacun des repas pris au restaurant par notre héros (et là il faut avouer que l'énumération des marques de bière est assez réjouissante : Froid Glacial, Longue Marche, Bonheur Eperdu, Sans Limite, Mandchourie Eternelle, Printemps Festif…), à l'emploi du temps quotidien, heure par heure des protagonistes qui cumulent 16h de travail quotidien, à leurs combines pour voler 3 sapèques ou 2000 yuan à leurs employeurs… bref, le mieux étant l'ennemi du bien, dommage que l'auteur n'aie opté pour un peu plus de concision, d'autant qu'à force de se répéter on voit venir la chute gros comme une montagne !
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La chine actuelle et les expatriés européens vus par un jeune chinois issu de la campagne.
Ce qu'il relate semble bien être vrai et ça m'a laissé une impression de malaise.
Style très agréable, bien écrit.
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Guo Tai, l'intellectuel du dortoir, nous a expliqué que le gouvernement de Beijing autorise et encourage l'enrichissement personnel à toute vapeur mais sans en donner la recette ni les règles du jeu, alors il n'est pas étonnant que les cadres et les fonctionnaires du Parti ou de la Municipalité se précipitent sur un marché comme le nôtre pour s'enrichir de notre sueur : des mingon comme nous, il y en a des centaines de milliers, peut-être des millions à Shanghai, et le peut d'argent que nous avons à dépenser finit presque exclusivement dans les filles de l'Anhui qui elles aussi sont là par centaines de mille.
Ici à Shanghai pas de pitié inutile : le gros possoin gobe le petit poisson qui avale les crevettes, le camion écrase la voiture qui écrase la moto qui écrase le piéton.
... Ensuite nous nous promenons le long de la rue Xizang et dans le marché aux oiseaux j'achèterai pour elle un grillon adulte et son panier en osier, il crissera du matin au soir pour que je me souvienne de cette journée.
... Ces amis étrangers, tout de même, comment peuvent-ils s'imaginer un seul instant que nous allons nous laisser prendre par leurs pièges grossiers et jeter par dessus bord nos six mille années d'histoire et le flamboiement de notre prodigieuse civilisation pour un bout de pain sans goût, un peu de leur verroterie, les gadgets peinturlurés de leurs techniciens ou des marchandises dont nous n'aurons jamais le moindre besoin. C'est certain ils nous prennent pour des japonais.
L'évidence me sautait aux yeux : l'hôpital distribuait aux familles des cendres qui avaient peu de chances de correspondre puisque les urnes ne portaient aucune indication sur l'identité du décédé. La camarade LI et ses collègues collaient manifestement les étiquettes au hasard. J'avais entre les mains les cendres d'une personne qui ne pouvait pas être mon père.
Guo Tai nous a dit que les filles arrivaient parfois à vendre les gamins deux mille ou trois mille yuans aux bureaux des adoptions qui les engraissaient pendant quelques mois avant de les revendre, dix ou vingt fois le prix d'achat, entre vingt mille et quarante mille yuans selon le sexe et l'âge, aux amis étrangers.
Le peuple chinois s'était relevé ; oui certes, mais depuis il s'est rassis, pour les plus fortunés, et le reste continue de ramper ou d'avancer à quatre pattes dans le purin.
Stéphane Fière était au Festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo le samedi 14 mai 2016 pour une rencontre sur le thème "Puissance de la satire" autour de son dernier roman "Camarade Wang achète la France". Extrait.
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