Grand écart

« Avant de pouvoir leur proposer de me faire confiance, j'apprends qu'il va falloir que je leur fasse confiance. » Cette phrase résume à elle seule le projet de l'autrice et enseignante en arts plastiques et appliqués Agnès Forette, une sorte de clé ou de formule magique pour réussir à être prof parmi un public scolaire extrêmement difficile.

Voici un livre court et pourtant riche, le témoignage simple, brut et sincère d'une prof propulsée dans un EREA parisien - Etablissement Régional d'Enseignement Adapté- et qui parle de ses élèves, des jeunes en très grande difficulté. Une précarité scolaire qui accompagne une précarité sociale, affective et relationnelle.
Agnès Forette se cogne à un mur de méfiance, d'indifférence et de violence. Elle doit souvent surmonter sa peur et faire preuve d'une patience extraordinaire pour lézarder tous ces obstacles et approcher ces jeunes aux codes sociaux différents.

Ce n'est pas un récit pour initiés, chacun peut le lire et entrer dans sa salle de classe. Pas de grandes phrases alambiquées mais des notes prises quotidiennement. Pas de considérations philosophiques, pédagogiques ou politiques. Ce livre se veut accessible et modeste, et ne prétend pas donner de leçons ou verser dans les clichés. Au contraire ! Et c'est là sa force et son originalité.

L'ensemble, découpé en chapitres brefs (« Anges gardiens », « Orthopédie », « L'Arc-en-ciel »...) propose des anecdotes qui provoquent tour à tour sourire, émotion et surtout un attachement progressif pour ces élèves lorsque l'autrice nous fait voir ce qui se cache derrière la carapace de désinvolture voire d'agressivité de ces jeunes en souffrance. le lecteur peut ainsi aller au-delà de l'image caricaturale du « sauvageon », et appréhender cette jeunesse de manière plus positive et bienveillante.

Prof moi-même, j'étais plutôt réticente à l'idée de lire ce genre d'ouvrage pendant un temps de vacances. Ce fut pourtant une découverte intéressante et même divertissante. J'en remercie Babelio et la Chambre d'échos (Un petit mot sympathique accompagnait l'ouvrage reçu lors d'une Masse critique). Seul bémol, le prix de 13 euros (ouvrage court).

La lecture de ce livre peut être rapide mais j'ai eu besoin de prendre le temps de le découvrir par touches. Les chapitres sont courts et témoignent du quotidien d'une professeur de dessin nommée dans un établissement accueillant des jeunes en difficulté. Créer l'envie, donner du sens, susciter le respect, désamorcer conflits et provocations.(..ou pas), gérer les réactions de violence sont le quotidien. Agnès Forette y découvre et révèle des situations sociales, culturelles, éducatives et politiques qui montrent décalages et difficultés d'existence, de reconnaissance. Elles génèrent des ambiances de classe et de relations où trouver la confiance mutuelle pour avancer, être reconnu en tant qu'individu nécessite de gérer des émotions, de la peur parfois, des relations humaines toujours.
Les silences y sont aussi forts que les mots et tout doit être mesurer, analyser.
Ne rien«laisser passer», sans cesse négocier, expliquer, justifier sans parti pris, s'attacher aussi, les voir évoluer et parfois réussir, quand la loi ne vient pas tout fiche en l'air !....
De courts récits forts, empreints de tolérance et d'humanité où chacun se découvre, se teste et s'apprivoise. On le sait mais quand c'est écrit de cette manière les traces laissées sont plus profondes.
Merci Babelio et les Éditions La Chambre d'Echo pour cette lecture marquante.

L'auteur raconte, par petites touches, son quotidien de professeure de dessin dans un EREA parisien (Etablissement Régional d'Enseignement Adapté), auprès d'adolescents en difficultés scolaires, mais pas seulement. L'année se déroule, de la sidération du premier jour à la progressive mise en confiance des ces élèves. On sent que cette professeure a de l'humour et trouve en elle la force de prendre le recul nécessaire dans les situations les plus compliquées ou les plus explosives (les élèves se bagarrent, la défient, reproduisent dans la classe les codes du dehors), mais surtout on sent une grande bienveillance, et même une certaine affection pour ces adolescents.
La lecture est très fluide, le découpage par courts chapitres propose des situations, des anecdotes, qui invitent à une réflexion plus globale sur les comportements de ces adolescents, qu'ils soient violents, absentéistes, perdus, ainsi que sur les situations auxquelles ils ont à faire face, et finalement sur la violence parfois qui s'abat sur eux aveuglément de la part de l'institution-même (pour un adolescent sans-papiers qui vient d'obtenir son CAP, Abdel).
Ainsi ce que je retiendrai surtout de ce témoignage est la force d'attachement de ces élèves, en quête de sens, de réponses, d'affection, comme tous les autres. Etre à la hauteur de cet enjeu-là est un vrai exercice d'humour et d'équilibrisme.