Jusqu'au tout dernier moment, elle ne s'est rendu compte de rien. Pourtant, elle a l'oreille fine et, normalement, le clapotis de l'eau ne l'aurait pas empêchée d'entendre : mais une tâche rebelle au poignet d'une chemise de grosse toile l'absorbait tout entière, tandis qu'elle s'éreintait à la frotter sur une grande pierrre plate. C'est un léger bruissement dans les feuilles, tout près, qui lui fait tourner la tête au moment où les hommes se jettent sur elle...
Elle lui a enseigné comment se débrouiller toute seule, comment éviter les réprimandes, mais surtout comment puiser en elle-même, dans les plus petites choses, les joies que jamais personne d'autre ne lui donnerait. ces joies se trouvaient à portée de main : dans la clarté du matin alors qu'il faut se lever tôt pour allumer les feux, dans la blancheur d'une nappe qu'on lisse bien droit sur la table pour une réception à laquelle on ne sera pas conviée, dans la chaleur de l'oeuf que la poule vient de pondre, dans la volonté de l'agneau à se mettre maladroitement debout, aussitôt né, dans le son de l'eau qui dévale les collines au printemps et qui dit que le dur hiver est bel et bien fini, dans tous ces petits moments qui ne coûtent rien et valent pourtant leur pesant d'or. Catherine avait bien appris à saisir ces parcelles de joie et, en cela, elles se ressemblaient aussi toutes les deux.
Presque tout de suite, Péronne a été pour Catherine la mère qu'elle n'avait plus, et Catherine a été pour Péronne l'enfant qu'elle n'aurait jamais.
Chapitre 7
Péronne a vu juste. En effet, après avoir failli mourir de chagrin, Madeleine de Chavignac a finalement trouvé dans la haine son unique raison de vivre.
Non seulement la mort de son petit garçon l'a atteinte dans son amour de mère, mais elle a aussi provoqué l'effondrement de sa vie d'épouse.
Chapitre 7
Pire encore que la faim, il y a le manque de sommeil. Jour et nuit, à intervalles réguliers, le garde frappe du poing sur la porte, la réveillant parfois en sursaut au milieu d'un cauchemar. Elle se souvient combien dormir était bon autrefois : à la fin d'une longue journée passé à travailler dans les champs, elle se jetait sur sa paillasse le soir venu. Bercée par le bruissement des feuilles au-dehors, elle se laissait glisser avec bonheur dans un néant chaud qui l'engloutissait tout entière.
Le sommeil n'est plus à présent qu'une cruelle torture parce que sans cesse brisé en éclats; il vient la narguer sans pourtant se laisser attraper ou bien il la berce un moment pour s''enfuir l'instant d'après. Souvent, c'est la morsure du froid qui la réveille, parce que sa main s'est desserrée et que le châle a glissé de son épaule. Et quand elle arrive malgré tout à sombrer, le garde vient lui arracher cette parcelle de bien-être à grands coups sur la porte.
Passer un jour entier sans prononcer une seule parole n'a rien d'étrange, ni pour elle ni pour tous les paysans qu'elle connaît. Ce sont plutôt les mots qui sont insolites. Ils sont lourds de sens, on ne doit les prononcer qu'avec d'infinies précautions, après les avoir longuement choisis et pesés, car on ne peut plus les rattraper une fois qu'on les a laissés échapper. Les mots peuvent être si dangereux.
Chapitre 5