Une femme, neuf facettes du refus de maternité. Avec «
Les neuf vies de Rose Napolitano »,
Donna Freitas illustre toutes les versions possibles du refus d'enfant, et ses conséquences sur un mariage.
Toutes les versions commencent de la même manière : Luke découvre que sa femme Rose ne prend pas ses vitamines prénatales, contrairement à ce dont ils avaient convenu ensemble, de manière plus ou moins explicite, voire plus ou moins forcée, car Luke veut absolument un enfant, et pas Rose. C'est un premier fondement de leur mariage qui vole en éclats, Rose ne s'étant jamais cachée de son absence de désir d'enfant, Luke y consentant, jusqu'à ce que les pressions familiales voire sociétales aient raison de lui.
À partir de cette scène d'ouverture, toujours la même, l'autrice fait varier les conséquences de cette dispute, à la façon d'« Un jour sans fin » : dans certaines versions Rose obtempère et fait ce que Luke veut d'elle, soucieuse de sauver un mariage en mauvaise posture, dans d'autres elle se rebelle. Si le procédé n'est pas nouveau,
Donna Freitas l'utilise avec pertinence pour critiquer la manière dont est encore aujourd'hui perçu le refus de maternité : une anomalie dont les femmes qui le ressentent devraient se sentir honteuses, au mieux une passade qui devrait évoluer avec le temps (et l'amour !).
Mais, si les conséquences sur la vie de Rose sont à chaque fois différentes, certains éléments restent identiques, en somme inévitables. Ainsi m'a paru ressortir l'idée d'un certain destin : quels que soient les choix que l'on fait, le chemin que l'on prend, la vie se déroule comme elle le devait. On perd les mêmes gens, on en rencontre d'autres...
J'ai donc beaucoup aimé ce roman qui traite d'un sujet de société encore tabou, le refus de maternité, de manière très juste, en remettant en question les présupposés : pourquoi la culpabilité doit être du côté de la femme qui ne veut pas d'enfants ? Est-elle forcément une mauvaise personne, égoïste, immature et carriériste ? On n'en dit pas autant des hommes…
Rose est un personnage vraiment attachant, dans son amour pour Luke ou pour sa mère — c'est d'ailleurs dans sa relation avec cette dernière qu'elle aura selon moi les fulgurances les plus justes sur ce qu'est être une (bonne) mère —, dans ses doutes, dans sa volonté de faire au mieux avec, ou malgré, ses convictions, dans sa remise en cause permanente ; au contraire de son mari Luke qui, au fil des versions, deviendra de plus en plus antipathique (on pourra peut-être reprocher à Luke un manque d'épaisseur, mais peut-être est-ce parce qu'il est vu à travers les yeux et les pensées de Rose) : c'est un forceur, qui la juge sans arrêt sur son manque d'envie et d'intérêt pour les enfants, ne la respecte pas non plus que son refus. Il lui colle une pression constante qui m'a d'ailleurs pas mal oppressée, en plus de m'irriter.
Comme d'autres lecteurs, se repérer dans les différentes versions devient à un moment compliqué si on ne prend pas de notes. Malgré tout j'ai aimé cette imbrication parfois alambiquée des versions, avec ses introductions comme un placement de théâtre. L'écriture est simple et sans fioritures, ça n'est pas un monument de littérature mais je l'ai trouvé tellement touchant grâce au personnage de Rose que cela ne m'a pas gênée. Bref, cela a été un moment de lecture plutôt agréable.