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EAN : 9782810712489
156 pages
Pu Midi (24/01/2024)
3.5/5   3 notes
Résumé :
La Dépêche (Toulouse) et Le Petit Méridional (Montpellier), quotidiens républicains de la mouvance radicale, ont politisé le « problème juif » et, lors de l’affaire Dreyfus, déployé leur propre récit antisémite.Alors que l’antisémitisme était une arme forgée par leurs principaux adversaires conservateurs catholiques, La Dépêche (Toulouse) et Le Petit Méridional (Montpellier), quotidiens populaires républicains, artisans de la prospérité du radicalisme ... >Voir plus
Que lire après Un antisémitisme républicain ? La presse radicale du Sud-Ouest dans le contexte de l’affaire DreyfusVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pourquoi ne cite-t-on jamais ce passage d'Emile Zola, article paru dans le Figaro le 24 novembre 1888 ? L'écrivain s'inquiète alors de l'évolution du journalisme. Oubliez la date et l'auteur : cela pourrait être écrit à notre époque :
« Aujourd'hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Des centaines de journaux le publient à la fois, le commentent, l'amplifient. […] chaque feuille tâche de pousser au tirage en satisfaisant davantage la curiosité de ses lecteurs. de là, des secousses continuelles dans le public, qui se propagent d'un bout du pays à l'autre. Quand une affaire est finie, une nouvelle commence […] Si des sujets d'émotion manquent, ils en inventent. »
Lisant cela, j'ai eu la sensation d'être percutée. Un choc. Rien ne pourrait sonner plus vrai. Hier et aujourd'hui se confondent. C'est dans la préface écrite par le brillant historien, Gérard Noiriel, que nous nous retrouvons face à face avec ce texte. C'est à la fois un cadeau et une désolation.
De la IIIème République, hormis des écrivains, je ne connaissais rien. L'affaire Dreyfus, bien sûr que je la connaissais mais pas tant que cela, finalement. Chaque mot, chaque signe du titre d'@Un antisémitisme républicain ? La presse radicale du Sud-Ouest dans le contexte de l'affaire Dreyfus est porteur de sens et tout de suite, avec « Un antisémitisme républicain ? », nous sommes face à la plus énorme des contradictions, celle qu'il est si difficile de croire et de comprendre. C'est le coeur des recherches de @Solange de Fréminville et nous aussi, nous avons envie de comprendre. Je ne sais plus qui a souligné qu'antisémitisme républicain était un oxymore. C'est tellement vrai. Alors, pourquoi ?
Le prisme de recherche choisi par @Solange de Fréminville est social. La IIIème République a connu de grandes crises mais c'est elle aussi qui a acté la liberté de la presse et également permis aux classes populaires de s'exprimer en politique par le vote. Pour la première fois, on va prendre en compte les voix d'ouvriers et de travailleurs, des villes ou des champs. Désormais, ceux-ci font partie du paysage électoral. Sociologiquement, c'est fort et passionnant.
La révolution industrielle a bousculé la société comme jamais auparavant. La presse a drastiquement changé elle aussi. Les progrès techniques ont fait exploser la diffusion des journaux et leur diversification.
Dans le moindre recoin de France, chacun peut désormais lire « son » quotidien ; lequel quotidien, après avoir donné des nouvelles locales et régionales, informe de la vie politique nationale, selon sa sensibilité politique. Les journalistes commentent, interprètent et tous sont capable d'inventer ou de monter en épingle le moindre fait-divers. S'il est question d'une victime, il faut faire en sorte que le lecteur puisse s'y identifier. C'est l'émotion qui compte et non la réflexion. Il faut aller vite et faire en sorte que le lecteur ne se lasse pas. C'est aussi le début des scoops et des reportages. La presse, libre mais non régulée, permet tous les propos, fussent-ils mensongers ou diffamatoires. On peut donc travestir les affaires selon son orientation politique et y glisser ses opinions en utilisant tous les moyens pourvu qu'ils soient efficaces. Pour être plus proche des lecteurs, le vocabulaire est simplifié. Pour « taper fort », on va abuser de préjugés et de stéréotypes qui ne permettent pas le raisonnement. Il faut augmenter le nombre de tirages. Argent et pouvoir. Médias de masse et politique. Cela ressemble bien à du formatage de citoyen.
@Solange de Fréminville s'est spécialement intéressée à deux journaux radicaux de province, La Dépêche (Toulouse) et le Petit Méridional (Montpellier) qui ont gagné un énorme lectorat et trusté une grande partie de la France, au Sud-Ouest. Ces journaux diffusent leurs opinions qui deviennent, à ce tournant du XXème siècle, xénophobes et antisémites, à l'opposé de l'humanisme caractérisant le parti radical. L'immense travail de @Solange de Fréminville concerne particulièrement l'antisémitisme mais l'auteure nous explique comment la xénophobie a préparé le terrain pour qu'advienne la fureur antisémite à l'époque de l'affaire Dreyfus.
La main d'oeuvre manque et dans la région de Montpellier travaillent des ouvriers agricoles italiens et surtout espagnols. Dans les périodes difficiles pour la population, on sait que l'immigration est un sujet de tension. Survient ce qui reste un fait divers et restera néanmoins l'une des plus grosses erreurs judiciaires : un travailleur Espagnol est accusé du meurtre de citoyens français. Depuis la guerre de 1870, la notion d'identité française a pris de l'importance et cela va devenir « Nous, Français » contre les autres, ce qui bien sûr va amplifier le rejet de « l'étranger » dont il va falloir se méfier. Opportunément, le Petit Méridional s'empare de cette affaire et l'exploite à son avantage. Pendant ce temps-là, sont occultés des problèmes plus importants mais avec une bonne plume, les faits-divers font vendre.
La presse est un outil ; pour les politiques, elle est un outil précieux. Les hommes politiques ont besoin de la presse pour propager leurs idées, rallier de potentiels électeurs et également pour financer leurs campagnes. Un homme politique qui réussit sans la presse est vu comme un OVNI. de nombreux hommes politiques sont propriétaires de leur journal mais beaucoup également ne le sont pas et doivent être soutenus. En contrepartie, le journal intervient dans le domaine politique jusqu'à parfois même se mêler des programmes des partis. Dans les directions des journaux, nombreux sont les journalistes qui ont une ambition politique. Certains siègent déjà à la Chambre des Députés. Journalisme et politique sont intrinsèquement liés. La Dépêche et le Petit Méridional sont d'autant plus affutés que le gouvernement est aux mains des républicains modérés, « ennemis » des radicaux.
@Solange de Fréminville nous a expliqué comment la presse a soufflé fort pour attiser la xénophobie et demandé à ce que l'Etat fasse son travail, CQFD travail qu'il ne fait pas, c'est-à-dire protéger les citoyens des « étrangers ». Les mêmes mécanismes seront mis en oeuvre en ce qui concerne l'antisémitisme. Cela ira jusqu'au chemin des mots employés pour désigner les citoyens français de confession juive : Israélites, Juifs et ensuite des copiés/collés de vieilles représentations et des mots toujours plus dégradants.
On importera d'Allemagne des effluves antisémites (qui seront utiles à certains) mais à la fin du XIXème siècle, la question juive, en France, n'existait plus. le pays, peu de temps auparavant, s'indignait des pogroms de Russie et accueillait sur son sol des réfugiés juifs. C'était sans compter sur le fait que le gouvernement de la IIIème République serait fragile et que des catastrophes dont la population ferait les frais surviendraient. Mais là, pour nos journaux, avec un parti radical en déroute, tous les voyants étaient au vert pour qu'ils deviennent les fers de lance de l'antisémitisme.
De ces catastrophes, je ne connaissais que le nom. L'Union générale, mal et malhonnêtement gérée, mit sur la paille de nombreux petits épargnants ainsi que l'affaire du Panama dont les raisons et les effets furent identiques. L'Union générale ne devait sa déroute qu'à elle-même et idem pour Panama. le krach boursier fut sévère pour la population et, comme souvent, plutôt que de chercher les véritables coupables de ces faillites, la population mordit à l'hameçon de l'antisémitisme, appuyé, bien évidemment par certains journaux. Pour trouver un bouc émissaire et entretenir l'idée jusqu'à une indicible haine, La Dépêche et le Petit Méridional furent particulièrement doués.
On ressortit alors toutes les légendes sur les juifs, financiers avides possédant dans le sang le sens des affaires et on raconta tout un tas d'autres immondices. Les radicaux n'étaient plus crédibles et la question juive qui n'en était plus une, fut un dérivatif efficace. En outre, un journal, c'est écrit et on dit bien que « les écrits restent ». Les Juifs furent désignés responsables de tous les maux de la société. Et puis, il y eut le livre de Drumont, raillé à sa sortie mais au final, vendu avec un succès extrême et puis son journal, La Libre Parole qui fit aussi de gros dégâts. Finalement, criminaliser l'étranger et stigmatiser le Juif n'était pas si difficile que ça pourvu que la population soit en mesure d'être réceptive et dispose de médias capables de diffuser des idées comme se répand la foudre. @Solange de Fréminville nous permet aussi de comprendre comment le contexte était également fertile pour distiller l'idée d'espionnage étranger ou juif. Ou juif ? Hélas, il y eut un moment où il aurait fallu choisir entre juif et français. L'affaire Dreyfus le montre bien.
A un moment où l'antiparlementarisme était au plus fort, où les incertitudes des travailleurs agricoles s'accroissaient, où le chômage ouvrier était présent, où les scandales étaient nombreux et se répercutaient sur les plus modestes, le tout passant entre les mains de politiques véreux via les journaux du même tonneau, entre les mains du capital, pourrais-je dire ; toutes les conditions étaient réunies pour aboutir au scandale inouï et violent de l'affaire Dreyfus, affaire qui, de rebondissements en rebondissements, ne réhabilita le capitaine qu'au début du XXème siècle.
Emile Zola fut condamné à une forte amende et à un an de prison pour avoir défendu Albert Dreyfus. Il s'exila pour ne pas être privé de liberté. Il faut souligner l'espoir que donnent non seulement Zola mais aussi Reinach qui, pas un instant, ne douta de la probité de Dreyfus et d'autres encore qui nous réconcilient avec le monde. Des êtres courageux et ayant une morale, quel réconfort ! L'affaire Dreyfus n'était pas qu'une affaire politique, elle était aussi une question morale.
J'ai beaucoup aimé @Un antisémitisme républicain ? La presse radicale du Sud-Ouest dans le contexte de l'affaire Dreyfus. Certes, cet ouvrage demande de l'attention mais quel énorme travail pour l'auteure et quelle satisfaction de mieux comprendre les rouages d'événements qui… ne naissent jamais de « rien » ! le plan de @Solange de Fréminville est clair. La préface de Gérard Noiriel nous éclaire. Cela m'intéresse toujours de savoir comment était la société à telle ou telle période et là, j'en ai tellement appris. Je n'avais même pas réfléchi à l'impact de la révolution industrielle sur la presse alors que c'est énorme et fondamental. Alors, même si je n'en ai pas compris toutes les finesses, je sors de cette lecture enrichie de connaissances. Et ça, c'est un cadeau précieux. Cet essai sera une référence pour moi.
Merci infiniment à @Solange de Fréminville qui m'a rend lisible une période qui m'était jusque-là opaque, merci aux Presses Universitaires du Midi et bien sûr, merci à @nicolasbabelio et à toute l'équipe de BABELIO !


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J'ai reçu ce livre grâce à la masse critique Non Fiction de Février 2024. Je voudrai remercier Babelio et l'éditeur PUM (Presses Universitaires du Midi) pour cet envoi.

J'ai trouvé ce livre extrêmement intéressant. Il explique la politisation de la question juive dans deux quotidiens du Sud de la France et la fin du XVIème siècle. le traitement du procès Dreyfus étant le centre d'attention du livre.

Le rapprochement entre la presse et le monde politique a permis de diffuser plus largement certaines des idées politiques de l'époque. C'est la presse de masse et sa lecture par les différentes classes de la société.
J'ai trouvé révoltant que des idées antisemites aient pu être diffusées de la sorte. Et que le procès de Dreyfus serve d'argument à la diffusion de ces idées.
Et d'autant plus révoltant de voir qu'après la reconnaissance de l'innocence du colonel Dreyfus, il n'y ait pas eu de remise en questions des articles publiées alors dans ces deux journaux.

Le livre a été assez difficile à lire pour moi. C'est le thème même du livre, et la politique de cette période qui en est la cause.

Je recommande ce livre pour mieux comprendre la relation entre la presse et la politique. Et pour mieux comprendre le traitement de la question juive durant cette période.
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⭐️ Mon avis ⭐️

Que ce livre est riche en informations pour tous ceux qui s'intéressent à l'affaire Dreyfus et à son traitement dans les médias.

Il est vraiment très complet et explique en détail le pourquoi du comment.

En revanche, cet ouvrage n'est pas franchement destiné à un large public. Il s'agit d'une thèse essentiellement destinée à un public d'historiens ou de chercheurs mais rien n'empêche de s'y plonger malgré tout, je l'ai bien fait, moi !

Mais je dois reconnaître que ça n'a pas toujours été facile et qu'il me manquait parfois quelques informations.

Néanmoins j'ai eu la satisfaction de me dire que j'étais moins bête à la fin de ma lecture qu'au début !

⭐️ Conclusion ⭐️

Un ouvrage destiné aux initiés, très intéressant sur le fond mais pas forcément accessible à tous.

Merci beaucoup et à bientôt.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Article d'Emile Zola, Figaro 24/11/1888

Mon inquiétude unique devant le journalisme actuel, c'est l'état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la nation. Et ici, je sors un instant du domaine littéraire, il s'agit d'un fait social. Aujourd'hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Des centaines de journaux le publient à la fois, le commentent, l'amplifient. Et, pendant une semaine souvent, il n'est pas question d'autre chose, ce sont chaque matin de nouveaux détails, les colonnes s'emplissent, chaque feuille tâche de pousser au tirage en satisfaisant davantage la curiosité de ses lecteurs. De là, des secousses continuelles dans le public, qui se propagent d'un bout du pays à l'autre. Quand une affaire est finie, une nouvelle commence, car les journaux ne peuvent vivre sans cette existence de casse-cou. Si des sujets d'émotion manquent, ils en inventent. Jadis, les faits, même les plus graves, étant moins commentés, moins répandus, émotionnaient moins, ne donnaient pas, chaque fois, un accès violent de fièvre au pays. Eh bien, c'est ce régime de secousses incessantes qui me paraît mauvais [....] On le voit depuis quelques années, l'équilibre de la saine raison semble détruit, le contrecoup des événements est disproportionné et l'on en arrive à se demander avec anxiété si, dans des circonstances véritablement décisives, nous retrouverions le sang-froid nécessaire aux grands actes.
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