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EAN : 9781021003386
Tallandier (19/09/2013)
4.56/5   9 notes
Résumé :
« Je suis né à Varsovie et j’y ai vécu toute la guerre sous l’Occupation allemande y compris dans le ghetto.

J’écris ces mémoires afin de laisser un témoignage pour la postérité. Certains épisodes dont je fus soit le témoin, soit l’acteur moi-même, pourraient être uniques et servir de source pour de futurs historiens. » -

Abraham Apelkir, le père de Renia-Régine Apelkir-Frydman « Je vous livre ma mémoire comme elle me revient. Jusqu’à ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
« J'avais huit ans dans le ghetto de Varsovie », quel beau témoignage ! Un de plus dans ma collection, un livre de plus où j'ai encore beaucoup appris. On pourrait penser qu'au final, le sujet est toujours le même et que les témoignages des uns et des autres se ressemblent, mais pour moi, ce n'est pas le cas. Chaque témoignage est différent et j'arrive à ressentir des choses nouvelles à chaque fois.

Ce témoignage est en partie rédigé par Abram Apelkir, le père de Régine Frydman. Mais il y a aussi quelques passages rédigés par cette dernière. Abram Apelkir nous raconte sa vie durant la guerre à Varsovie, la création du ghetto, les différentes rafles durant lesquelles il est emmené dans ces wagons à bestiaux desquels il arrive « héroïquement » à s'échapper, les difficultés de vie, les nombreuses séparations avec sa famille et encore plus avec ses deux petites filles dont il est obligé de se séparer pour avoir une infime chance de survivre.

Effectivement, ce grand Monsieur qu'est Abram Apelkir est prêt à tout pour sauver sa famille. Il est prêt à tout endurer et dans cette Pologne antisémite, lui qui était l'ami de tout le monde durant l'avant-guerre, connaîtra de nombreux « retournement de veste », mais heureusement, tout le monde n'est pas comme cela. Il faut de tout pour faire un monde dirais-je. Il a vu des horreurs, des choses vraiment très difficiles comme des cadavres à tout bout de champs, ou des fusillades devant ses yeux et pleins d'autres choses encore que personne, même si nous y mettons notre meilleure volonté, ne pourrait vraiment s'imaginer.
Heureusement, Abram Apelkir garde encore de nombreux contacts comme l'admirable Monsieur X qui va l'aider au péril de sa vie. Je trouve cela magnifique cette amitié qui lie les deux hommes et vraiment, durant cette période, même s'il y avait beaucoup de résistants, c'est d'une rareté incroyable.

Au fil de ma lecture, j'ai beaucoup appris, et j'ai été encore une fois choquée. Choquée de lire de telles atrocités. A la simple lecture, j'ai été choquée alors que la famille d'Abram Apelkir et beaucoup d'autres familles de Juifs Polonais l'ont vécu ! Ce témoignage est d'une précision hors du commun, ce qui, je pense, prouve que tout ce que cet homme et sa famille ont pu voir de si près est loin de s'effacer de leur mémoire, pour autant dire que cela ne s'effacera jamais. Même s'ils se faisaient passer pour une famille catholique, Abram Apelkir n'a pas eu peur de parler, de raconter certaines choses qu'il a vécu et pour moi, ce témoignage a son importance. Parce que malgré le nombre de livres que j'ai lu à ce sujet, peu de récits traitent de l'après-guerre et de l'antisémitisme perdurant dans cette Pologne qui pourtant, n'appréciait pas plus l'occupation que cela.

Plus le temps passe et de moins en moins de survivants sont encore de ce monde pour raconter leur histoire et des livres comme celui-ci font partie du devoir de mémoire, pour que nous, qui n'avons rien connu de cela, à notre plus grande chance, puissions savoir et surtout clamer : plus jamais, plus jamais…
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Voici un temoignage boulversant,poignant d'une famille juive polonaise qui a reussi a survivre aux horreurs de l'Holocauste!
C'est avec beaucoup de sang-froid et d'audace,de courage mais aussi de souffrance et separation,d'inquietude quant au lendemain,que cette famille a survecu.
Que dire sinon que ces témoignages sont trop peu nombreux et tres précieux pour le devoir de souvenir que nous devons entretenir
Je ne sors pas indemne de ce type de lecture;tant de questions se bousculent dans mon esprit et sans doute jamais ne trouveront de reponses convenables
A lire
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« Il y avait des individus qui se débrouillaient, qui risquaient leur vie pour leurs familles, pour leurs enfants. Certains habitants du ghetto étaient d'un courage incroyable, et très inventifs. Mes parents étaient de ceux-là : ils se battaient sans jamais penser à la mort qui leur était destinée. »

Régine Frydman est l'une des rares rescapés du ghetto de Varsovie. Mêlant son récit à celui de son père Abram Apelkir, elle livre un témoignage bouleversant des terribles événements dont ils ont été les témoins : les cadavres qui s'entassent sur les trottoirs, les descentes éclairs de la police allemande, les fusillades dans la rue, les enfants qui se battent pour un quignon de pain, les marches dans la neige pour échapper aux rafles et à la déportation, et enfin la joie de retrouver la liberté.

Un document rare.

« J'avais huit ans dans le ghetto de Varsovie », quel beau témoignage !On pourrait penser qu'au final, le sujet est toujours le même et que les témoignages des uns et des autres se ressemblent, mais pour moi, ce n'est pas le cas. Chaque témoignage est différent et j'arrive à ressentir des choses nouvelles à chaque fois.

Ce témoignage est en partie rédigé par Abram Apelkir, le père de Régine Frydman. Mais il y a aussi quelques passages rédigés par cette dernière. Abram Apelkir nous raconte sa vie durant la guerre à Varsovie, la création du ghetto, les différentes rafles durant lesquelles il est emmené dans ces wagons à bestiaux desquels il arrive « héroïquement » à s'échapper, les difficultés de vie, les nombreuses séparations avec sa famille et encore plus avec ses deux petites filles dont il est obligé de se séparer pour avoir une infime chance de survivre.

Effectivement, ce grand Monsieur qu'est Abram Apelkir est prêt à tout pour sauver sa famille. Il est prêt à tout endurer et dans cette Pologne antisémite, lui qui était l'ami de tout le monde durant l'avant-guerre, connaîtra de nombreux « retournement de veste », mais heureusement, tout le monde n'est pas comme cela. Il faut de tout pour faire un monde dirais-je. Il a vu des horreurs, des choses vraiment très difficiles comme des cadavres à tout bout de champs, ou des fusillades devant ses yeux et pleins d'autres choses encore que personne, même si nous y mettons notre meilleure volonté, ne pourrait vraiment s'imaginer.

Heureusement, Abram Apelkir garde encore de nombreux contacts comme l'admirable Monsieur X qui va l'aider au péril de sa vie. Je trouve cela magnifique cette amitié qui lie les deux hommes et vraiment, durant cette période, même s'il y avait beaucoup de résistants, c'est d'une rareté incroyable.

Au fil de ma lecture, j'ai beaucoup appris, et j'ai été encore une fois choquée. Choquée de lire de telles atrocités. A la simple lecture, j'ai été choquée alors que la famille d'Abram Apelkir et beaucoup d'autres familles de Juifs Polonais l'ont vécu ! Ce témoignage est d'une précision hors du commun, ce qui, je pense, prouve que tout ce que cet homme et sa famille ont pu voir de si près est loin de s'effacer de leur mémoire, pour autant dire que cela ne s'effacera jamais. Même s'ils se faisaient passer pour une famille catholique, Abram Apelkir n'a pas eu peur de parler, de raconter certaines choses qu'il a vécu et pour moi, ce témoignage a son importance. Parce que malgré le nombre de livres que j'ai lu à ce sujet, peu de récits traitent de l'après-guerre et de l'antisémitisme perdurant dans cette Pologne qui pourtant, n'appréciait pas plus l'occupation que cela.

Plus le temps passe et de moins en moins de survivants sont encore de ce monde pour raconter leur histoire et des livres comme celui-ci font partie du devoir de mémoire, pour que nous, qui n'avons rien connu de cela, à notre plus grande chance, puissions savoir et surtout clamer : plus jamais, plus jamais …
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Régine Frydman a 8 ans quand les allemands décident de parquer la population juive dans une enclave de cinq hectares d'un quartier de Varsovie en 1940. Ce livre retrace son histoire mais c'est surtout son père qui témoigne et décrit l'horreur de ce ghetto, de la guerre, des traitements inhumains infligés à la population juive par le biais de la machine barbare nazie.

La famille Apelkir vit à Varsovie depuis trois générations, Abram, le papa de Régine nous raconte son histoire, la première guerre mondiale alors qu'il n'a que quatre ans…. la faim, le froid, les privations, son enfance d'apprenti tailleur à 14 ans , sa rencontre avec Bella sa future épouse, puis lentement, mais sûrement, sa réussite sociale….. Abram Apelkir est un homme heureux, sa première fille naît en 1932, son atelier de tailleur est prospère, sa femme possède un petit commerce d'épicerie fine, il fréquente les gens du spectacle, des comédiens célèbres…..

En septembre 1939 tout bascule avec la guerre, l'invasion allemande, les premières mesures anti-juives, la fuite et l'enfermement dans le ghetto de Varsovie.

Abram est un battant, il ne baisse jamais les bras, c'est un homme courageux et ambitieux tout comme Bella son épouse. Ils tentent de survivre dans le ghetto, Abram réussit à sortir et à trouver de la nourriture, il fait du marché noir pour faire vivre sa famille, mais comment vivre dans cet enfer qui a perdu toute humanité et où la mort est bien souvent la seule porte de sortie.

Abram nous décrit tout ce qu'il voit et ce qu'il ressent, cette peur constante et cette violence qu'il subit lui aussi au rythme des convois qui partent pour les camps de la mort et cette bataille quotidienne pour survivre encore un peu car chaque jour qui passe sans être déporté est une victoire….

L'histoire est poignante, Abram témoigne de l'horreur, de l'indescriptible, le récit est dur et bouleversant et parfois on découvre de petits morceaux de bonheur qui font du bien et qui nous font croire encore que l'humain sait être bon.

C'est un récit important qui fait partie du devoir de mémoire, il n'y aura bientôt plus personne pour témoigner de cette période noire de l'histoire, il nous appartient de transmettre à nos enfants, pour que personne n'oublie jamais et pour que jamais cela ne se reproduise. Ce livre doit absolument être lu !
Lien : https://jaimelivresblog.word..
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Un témoignage bouleversant, comme le sont tous les témoignages de cette période de notre histoire.
Ce qui me marque particulièrement dans ce type de livre et dans celui de Régine Frydman et de son père (puisque la majeure partie de l'ouvrage est le témoignage de ce dernier) c'est la précision des souvenir racontés. Tout semble être resté intact dans leur mémoires pour pouvoir maintenant transmettre l'indicible à nous autres qui n'avons pas connu cette période de l'histoire.
Leur récit tient vraiment du miracle tant on se dit qu'il est surprenant (dans le bon sens du terme bien sûr) que les 4 membres de cette famille (dont deux jeunes enfants) ont survécu à tant d'évènements : ghetto, rafle, déportation, privation, nécessité de se cacher, de fuir toujours plus loin.
Pour moi ce genre de récit est vraiment nécessaire car plus on avance dans le temps, moins les survivants sont nombreux...
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Entre-temps, je reçus des nouvelles de mon frère que j’avais perdu de vue depuis des années. Il s’était réfugié en France au début de la guerre, et j’appris qu’il s’était engagé dans l’armée française. En novembre 1946, après cette longue séparation, il me rendit visite en Pologne. Constatant ma réussite dans les affaires, et à la lumière de ce que je lui avais dit concernant les soupçons qui commençaient à peser sur moi, il me conseilla de choisir entre la liberté et l’argent. Il est évident que si l’on avait découvert chez moi de l’or ou des dollars, ma situation ainsi que celle de ma famille aurait subi des désagréments irréversibles. Pour lui, il était clair que ce que j’avais de mieux à faire était de quitter la Pologne et de m’installer en France, ma situation financière me le permettant. Dès son départ en décembre 1946, j’ai commencé à me préoccuper des conditions et des moyens pour obtenir un visa et un passeport et quitter définitivement la Pologne. J’ai entrepris les démarches en janvier 1947, et j’ai obtenu le visa en juillet grâce aux papiers envoyés par mon frère, attestant que j’allais travailler en France. Je suis parti presque aussitôt. Je suis donc parti avec ma fille aînée, laissant à Varsovie ma femme et ma fille cadette Nathalie. Au bout de deux mois de séjour en France, j’ai rendu mes passeports polonais et obtenu le statut de réfugié auprès des autorités françaises. Cela m’a permis ensuite d’envoyer à ma femme des papiers signés de la Préfecture, autorisant le voyage en France de mon épouse et de ma fille. Nous avons profité de la possibilité à cette époque de quitter le territoire polonais sans trop de difficultés, officiellement ou clandestinement, comme ce fut le cas de beaucoup d’autres Juifs qui fuyaient la Pologne pour échapper à la domination communiste. La France nous a bien accueillis.
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Une enfance à Wroclawek
J’avais quatre ans lorsque les troupes allemandes ont envahi la Pologne en 1914. Notre famille occupait un appartement à Varsovie où nous vivions à huit. Hedja avait 15 ans, Fella 13 ans, Lonia 11 ans, et Regina, la plus petite, 9 ans. Mon frère Charles avait deux ans de plus que moi.

Mon père Nathan était artisan menuisier depuis de nombreuses années. Il avait son petit atelier dans la cour de l’immeuble en dessous de chez nous. En 1914, il employait quatre ouvriers. Homme mince, discret, il avait la passion de son métier et certainement le goût du travail bien fait. Ses clients ne s’y trompaient pas et venaient d’assez loin pour lui commander des meubles originaux, armoires ou buffets. Rappelons qu’à cette époque, les meubles étaient fabriqués à la main pour durer toute une vie. J’ai très peu connu mes grands-parents maternels décédés au début de la guerre. Mon grand-père paternel avait la réputation d’être très religieux, mon père, lui, tout en étant moins strict, était néanmoins croyant et pratiquant.

En 1914, lorsque les Allemands sont entrés dans Varsovie, mon père a été obligé de fermer l’atelier. Les ouvriers n’avaient pas l’intention de rester dans la ville occupée. Les Polonais commençaient alors à souffrir gravement des restrictions. Ils avaient plutôt tendance à vendre leurs meubles pour se faire un peu d’argent qu’à en acheter. Les ouvriers partis et les commandes annulées, il n’était plus possible pour mon père de continuer dans ces conditions. Ceux qui le pouvaient quittaient Varsovie avec leur famille. Je me souviens que l’un de ses ouvriers avait quitté précipitamment la ville pour se réfugier à la campagne dans la ville de Wroclawek, située à environ 120 km au nord-ouest, sur les bords de la Vistule. Lors d’un retour à Varsovie, il était venu voir mon père pour lui expliquer que les conditions de ravitaillement étaient cent fois meilleures là-bas. De fait, on manquait déjà pratiquement de tout après quelques semaines d’occupation. Les Polonais avaient littéralement vidé les magasins avant l’arrivée des Allemands. Je me souviens que pour se procurer un peu de charbon et des pommes de terre, il fallait faire la queue devant les magasins dès 4 heures du matin. La misère s’installait. C’était terrible.

Cette description rassurante de Wroclawek incita mon père à organiser notre départ dans cette ville. À cette fin, il glissa une somme rondelette dans la poche de ce bonhomme pour qu’il nous trouve un appartement. Le message arriva deux mois plus tard, confirmant qu’il nous avait trouvé un petit logement à Wroclawek. Nous pouvions partir aussitôt. Mon père, lui, avait pris la décision de rester seul à Varsovie pour trouver un autre emploi. Il n’était pas question pour lui d’abandonner son travail. Un matin d’automne, nous partîmes tous à l’embarcadère, direction Wroclawek. Le voyage s’effectua en bateau. Celui-ci était bondé de réfugiés qui quittaient Varsovie avec tous leurs biens pour rejoindre leur famille à la campagne. Dès notre arrivée à Wroclawek, après trois jours de voyage pénible, ponctué de nombreuses escales et de va-et-vient de réfugiés, ma mère et ma sœur aînée partirent immédiatement à la recherche de l’employé de mon père qui devait nous montrer le chemin de l’appartement. Bien entendu, nous ne l’avions pas aperçu. Pendant que ma mère et Hedja continuaient leurs recherches, nous attendions, nous les plus petits, dans un hangar à bateaux près de l’embarcadère. Ainsi pendant trois nuits, nous avons dormi tous ensemble sur de la paille humide dans ce hangar désaffecté, balayé en permanence par les courants d’air. Heureusement que c’était l’automne. Au terme du deuxième jour, ma mère dut se rendre à l’évidence : il n’y avait aucune trace de l’employé de mon père dans cette ville. L’escroc avait empoché l’argent avant de disparaître. Qui plus est, en sillonnant Wroclawek de long en large, ma mère avait pris conscience qu’il ne fallait pas espérer trouver de sitôt un appartement à louer. Impossible. La ville était remplie par la foule de réfugiés qui avaient fui Varsovie avant nous. Les quelques rares appartements à louer avaient été pris d’assaut avant notre arrivée. Pour compliquer un peu plus les choses, ma mère ne possédait plus sur elle que le restant des économies rognées par l’avance confortable que mon père avait faite à son ex-employé, ainsi que le prix du voyage assez élevé pour une famille de sept personnes. Autrement dit, il ne restait plus grand-chose à notre arrivée à Wroclawek. Inutile dans ces conditions de chercher dans la ville même. C’est alors que ma mère et ma sœur aînée décidèrent de quitter le centre et de poursuivre leurs investigations plus loin dans la campagne, dans l’espoir de trouver une pièce à louer chez un paysan. Tous les fermiers des environs étaient extrêmement pauvres.
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Après plusieurs heures de marche et d’allers-retours, ma mère finit par rencontrer sur la route un couple de paysans. Après quelques mots échangés et en voyant la ribambelle que nous formions, ils acceptèrent de nous libérer une pièce de leur maison en échange d’un loyer minime. Par un matin d’octobre plutôt frais et brumeux, nous sommes donc arrivés à la ferme avec notre nécessaire, c’est-à-dire les bagages légers que nous portions depuis notre départ : quelques affaires de rechange et des couvertures. La ferme était située à 12 kilomètres de la ville. C’était en fait une fermette tout à fait quelconque. Hormis un petit champ de blé derrière la maison, l’exploitation comprenait un lopin de terre où le paysan cultivait des pommes de terre, des betteraves et des carottes. La plus grande partie de la récolte allait à la coopérative, et le restant (pas grand-chose) était pour lui-même et sa femme. Il avait aussi une ou deux vaches et peut-être un cheval. La maison avait un seul étage et un grenier. Elle était située au bord d’une route. Le paysan nous installa dans une pièce vide au rez-de-chaussée, sans chauffage, avec un plancher de terre battue. De la fenêtre, on voyait la route. Quelques semaines après notre arrivée, l’hiver approchant, il donna à ma mère quelques briques pour que nous puissions faire du feu.

Nous allions rester chez ces paysans trois ans et demi. Trois mois après notre départ, nous apprîmes par une lettre de mon père qu’il avait rendu les clés de notre appartement de Varsovie au concierge. Il avait pu trouver du travail chez un autre fabricant de meubles. Avec l’accord de son patron, il vivait dans un coin de l’atelier où il avait installé un lit de fortune et ses outils personnels. Il vivait là en attendant. Au début de notre séjour à la campagne, nous pouvions compter sur notre pécule pour manger, mais très vite la situation s’aggrava. Nous vivions à l’écart. Nous ne partagions aucun repas avec nos hôtes qui étaient pauvres, hormis l’un d’entre eux qui, à la bonne saison, vendait son blé au marché noir. En fait, il dissimulait une partie de la production normalement destinée à la coopérative, qui prélevait un quota sur chaque fermier. Il fallait moudre ce blé pour pouvoir le vendre ensuite au marché noir. Deux fois par mois, à la belle saison, surtout en été et en automne, il m’emmenait avec lui pour une expédition assez particulière et assez risquée. Nous partions très tôt le matin, vers 3 ou 4 heures, pour aller moudre le blé en cachette dans un moulin isolé non encore réquisitionné. En pleine nuit, le paysan chargeait sur une petite barque quelques provisions pour le voyage et deux gros sacs de blé de 30 kilos. La traversée de la Vistule pour atteindre le moulin durait une bonne heure. Arrivés sur place, mon rôle se limitait à garder la barque sur une berge et à faire le guet en l’absence du paysan. Ce dernier restait parfois trois quarts d’heure au moulin pour moudre son blé. Tapi au fond de cette barque, à moitié endormi et grelottant, je finissais souvent ma nuit sous une peau de chèvre ou de mouton qu’il me donnait pour me réchauffer. Au retour, une fois son affaire terminée, il m’offrait un peu de pain, une pomme ou parfois un bout de saucisson, bref de quoi me remplir l’estomac. Entendons-nous, je ne venais pas pour rien non plus, car le restant de la semaine c’était la misère absolue. Cette pauvreté était si présente qu’il m’est arrivé plusieurs fois vers 6 ans de partir tout seul jusqu’à la ville pour faire la manche dans les rues de Wroclawek devant les magasins. Jamais ma mère et mes sœurs ne l’ont su. J’avais très peur et j’avais honte aussi, mais la faim… il fallait que je fasse quelque chose… D’ailleurs, personne n’était là pour contrôler mes allées et venues. Je me débrouillais comme je pouvais. Le reste du temps, je gambadais seul dans la campagne ou je restais jouer à la ferme. À cette époque, je craignais plus la faim que les soldats allemands.
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Introduction
« Je suis né à Varsovie et j’y ai vécu toute la guerre sous l’occupation allemande, y compris dans le ghetto. J’écris afin de laisser un témoignage. Certains épisodes, dont je fus soit témoin, soit acteur moi-même, pourraient être uniques et servir de source pour de futurs historiens. »

ABRAM APELKIR

Ma famille était établie à Varsovie depuis trois générations. J’y suis né le 4 février 1910, peu avant la Première Guerre mondiale. La Pologne n’existait pas alors en tant qu’État, mais était divisée depuis les fameux partages du XVIIIe siècle, entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. Varsovie vivait sous l’occupation russe depuis 1815, c’est-à-dire depuis le congrès de Vienne qui décida du rattachement du royaume de Pologne à l’Empire russe. Je me souviens dans mon enfance de patrouilles de Cosaques dans les rues et d’une église russe à bulbes et tourelles dorés au milieu d’une très belle place que les Polonais ont fait sauter dans les années 1920.

Les Polonais détestaient cordialement les Russes et dès le début de la guerre, en 1914, ils ne cachaient pas leur joie, dans l’espoir de recouvrer leur indépendance. La proclamation de la Pologne libre après la guerre fut saluée par une véritable explosion d’enthousiasme populaire. De nombreux Juifs partageaient cette joie, car les Russes étaient plus brutaux et plus antisémites que les Polonais.

La nouvelle constitution accordait tous les droits civiques aux Juifs de même qu’aux différentes minorités telles que les Lituaniens, les Ukrainiens, les Allemands, avec la garantie de la sauvegarde de leurs biens, droit de vote, liberté de culte, etc.

Ici, je tiens à détruire une légende idiote : il n’y a jamais eu de ghettos à proprement parler en Pologne, à Varsovie ou ailleurs. Dans les villes où les Juifs étaient nombreux, il existait bien entendu des quartiers habités par une majorité juive. Mais cet état de fait qui s’est créé peu à peu, parfois au fil des siècles, est dû un peu au hasard ; il n’a jamais été imposé par une obligation ou une interdiction. Tout le monde vivait et circulait librement comme bon lui semblait. Le ghetto de Varsovie fut une invention des nazis. Mais n’anticipons pas.

Du côté de mon père, ma famille proche, oncles, tantes, cousins, neveux, comptait 22 personnes. J’avais 4 sœurs et un frère. Nous étions très affectueux entre nous. Mes parents s’occupaient eux-mêmes de notre éducation, nous enseignaient la religion de nos Pères et l’histoire du Peuple élu. On nous apprenait à être obéissants envers les aînés, polis et serviables envers le prochain, et à vivre dans la crainte de Dieu. On nous apprenait également à nous rendre utiles. Dans les familles de commerçants par exemple, dès l’âge scolaire, on apprenait aux enfants à servir les clients, à peser le sucre ou la farine, à emballer la marchandise, à rendre la monnaie, à balayer et aider à la fermeture des magasins.

Pour les métiers comme tailleur, boucher, cordonnier, orfèvre, la loi exigeait un apprentissage de trois ans chez un maître artisan reconnu par la corporation. On mettait les enfants en apprentissage assez tôt. J’ai commencé le mien comme tailleur à l’âge de 12 ans comme je le raconterai plus tard. En 1929, j’ai pu m’établir à mon compte. En 1931, je me suis marié. La famille de ma femme, établie depuis plusieurs générations en Pologne, était originaire d’Aleksandrow Kujawski.
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En 1918, juste après le départ des Allemands, j’ai donc commencé à travailler avec lui dans son appartement. J’avais à peine 8 ans. Voilà comment les choses se passaient : le chapelier achetait en nombre des uniformes et des capotes abandonnées par les soldats à la fin de la guerre. Mon premier vrai travail consistait à défaire complètement les coutures avec une lame de rasoir pour mettre l’étoffe à plat. Celle-ci allait ensuite servir à la confection des casquettes. Cela durait des heures. L’étoffe une fois préparée était ensuite teinte en bleu marine, noir ou marron. Je me souviens que l’apprêt des teintures dégageait dans tout l’appartement une odeur âcre qui piquait le nez. Mon patron m’emmenait aussi régulièrement avec lui le mardi et le vendredi faire les marchés. Mon rôle n’était pas compliqué : je devais préparer et surveiller l’étalage. Pour avoir un bon emplacement, il fallait partir très tôt le matin. N’ayant pas eu mon compte de sommeil et de nourriture la veille (comme c’était souvent le cas), il m’arrivait de m’écrouler de fatigue pendant le chemin ou de dormir carrément debout. D’un coup de coude bien placé, le chapelier savait alors me réveiller. Nous faisions non seulement tous les marchés, mais également ceux qui se tenaient à l’autre bout de la région. Deux fois par mois, nous nous éloignions jusqu’à une soixantaine de kilomètres de Wroclawek pour atteindre les grands marchés des villes de province. Dans ce cas-là, nous partions en chariot la veille à 8 heures du soir pour arriver à destination le lendemain vers 4 heures du matin. Ces voyages étaient bien organisés. Nous étions environ dix personnes sur une charrette remplie de robes, de chaussures et d’articles divers, que nos compagnons de voyage, des commerçants de Wroclawek, allaient vendre. J’étais continuellement affamé durant ces voyages fatigants. La nuit, quand tout le monde s’était endormi (j’attendais ce moment avec impatience), j’allais grignoter en douce tout ce que je pouvais chiper dans les paniers à provisions : une cuisse de poulet rôti par-ci, un bout de pain par-là. Un jour, je me souviens avoir pris un poulet entier. Je n’en avais pas mangé depuis trois ou quatre ans. J’avais pris le risque tout en sachant qu’il m’en aurait coûté cher si je m’étais fait prendre par le propriétaire du poulet ou le chapelier, un homme peu commode et parfois violent. La preuve, je me souviens qu’un jour où j’étais chez eux, sa femme entra en sanglots dans la cuisine, en tenant son doigt que son mari venait de mordre jusqu’à l’os pour la punir de je ne sais quoi. Elle tendait son doigt vers moi pour me le montrer. Cette pauvre femme pleurait et souffrait tellement que, du coup, moi aussi je me mis à pleurer sincèrement.
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