Si nous faisons l’expérience de confronter nos pensées à la réalité, nous pouvons constater que, par nature, elles sont étrangères à cette dernière. Par la pensée, nous donnons un sens à la réalité qui n’existe qu’en tant que sens que nous attribuons et qui ne se manifeste pas spontanément dans la réalité elle-même.
Il ne s’agit pas ici de perdre le sens que nous donnons aux phénomènes et de devenir amnésiques mais de reconnaître la nature de notre pensée et celle de la réalité, et d’utiliser ce sens que nous attribuons à la réalité uniquement en tant que représentation de cette dernière et non plus comme expression de la réalité.
Ceci peut néanmoins sembler une perspective vertigineuse qui pourtant ne bouleverse pas la réalité mais seulement notre manière de la percevoir.
Quand nous ne cherchons pas à réfléchir sur ce à quoi nous pensons, mais que nous nous contentons d’observer ce à quoi nous pensons, nous pouvons découvrir cette dimension d’une conscience qui est étrangère au processus de la pensée.
Généralement, nous appréhendons la réalité au travers de nos pensées, par exemple en disant “je me trouve à tel endroit”, mais si nous sommes attentifs, nous pouvons observer un phénomène en train de formuler cette pensée. Ceci ne consiste pas à se dire “je pense que je pense que je suis à tel endroit” mais consiste à suivre ces pensées que nous exprimons en tant qu’éléments particuliers et distincts de notre comportement.
Ainsi, face à une pensée telle que “Je suis Patrick”, nous pouvons ne plus identifier cette pensée à la réalité et ne plus croire que réellement nous sommes “Patrick”, mais observer un phénomène qui élabore cette pensée.
A ce moment, la conscience qui observe cette situation est étrangère au discours de la pensée. Nous avons d’une part la pensée “je suis Patrick” et d’autre part la conscience qui ne s’identifie pas à cette pensée mais qui la perçoit comme un élément distinct.
Cette conscience-là nous sort de la conscience usuelle de notre individualité puisque toutes pensées ne sont plus perçues comme expression de ce que nous sommes mais comme représentation qu’un phénomène élabore. Nous passons de “j’ai conscience que je suis Patrick” à “il y a conscience que ce phénomène pense être Patrick”. Et cette conscience est silencieuse qui échappe à l’emprise de nos pensées.