Vers la fin de ce 1er livre édité de
Jean Giono, un personnage dit d'un autre, central, l'octogénaire alité qui n'a peut-être pas "fait" un AVC mais qui est probablement proche de sa fin et qu'on pourrait nommer voyant ou shaman.. : " Et, c'est là, qu'il s'est mis à parler, comme s'il avait été la fontaine du mystère. ça s'est tout construit : un monde né de ses paroles. Avec ses mots il soulevait des pays, des collines, des fleuves, des arbres et des bêtes; ses mots, en marchant, soulevaient toute la poussière du monde. ça dansait comme une roue qui tourne ; j'en étais tout ébloui. Tout par un coup, j'ai vu, net, l'ensemble des terres et des ciels, de la terre où nous sommes, mais transformé (..) je voyais au travers leur âme terrible (..) ".
Pour moi,
Giono a écrit dans ce premier livre édité, quand il a 34 ans, ce portrait de lui-même, de son projet et de sa réalisation d'écrivain, de poète.. et j'en suis tout ébloui !
Il y aurait - et il y a - tant à dire sur ses oeuvres, mais je ne veux pas faire trop long car les longueurs ici me fatiguent.. (je vous conseille le texte de lamifrantz, page 4 ou 5)
Il y a dans Colline je crois 2 aspects de
Giono assez différents ; celui qui m'éblouit, le poème audacieux, en roue libre, qui ne s'interdit pas grand chose, qui roule les métaphores inimaginables (par moi) pour dire les éléments (la Terre, l'eau, le feu, l'air etc..) et qui avait, je suppose, lu Rimbaud le voyant.. et un autre
Giono que j'ai beaucoup moins rencontré dans ses autres livres (sauf dans
Jean le Bleu,
les Grands Chemins..), un
Giono de dialogues, de portraits, de discussions entre des personnages et qui le rapproche d'un
Pagnol (pour rester en
Provence) par exemple.
Du coup (comme on dit aujourd'hui à tout de champ - de lavande bien sûr ), ce roman est un peu déséquilibré - à moins que ce ne soit de la richesse ? - je trouve, mais contient déjà tous les thèmes qu'il variera dans ses livres suivants : la relation de l'Homme à la Nature, le fantastique, le mystérieux, les superstitions, (qui sont peut-être un savoir plus important), les contes, l'isolement et l'intelligence intuitive, emprique, des gens d'en haut, le marginal, le différent, le paganisme, la foi, l'opposition hauteurs/vallée, le "progrès"/ l'écologie etc..
J'ai préféré
Regain (qui pourrait se passer dans l'autre village en ruine..),
le Chant du Monde (Le titre qui qualifie le dessein de
Giono),
Que ma Joie demeure etc.. mais celui-ci est quand même déjà très fort. Qui a écrit les collines, le vent, la terre .. comme lui ?
Amateur de romans de la mer, je dirais que
Giono est à un incendie ce que
Henri Quéffelec est à une tempête, son barde, son poète, son diseur le plus talentueux. J'aime la lyre de
Giono !