Pris dans une bibliothèque (de rue) à la seule vue du nom de l'auteur. Parce que je me régale de ses phrases.
Je découvre que
Giono écrit son enfance. Curiosité et intérêt s'accroissent ; comment le
Giono d'avant la seconde guerre mondiale - qui va profondément le changer et changer l'écrivain - le
Giono que j'aime, poète très imaginatif et très juste, lyrique libre, ardemment humaniste, va écrire l'enfant qu'il était ? Me fera--t-il comprendre un peu comment il est devenu cet immense écrivain ?
C'est un livre étonnant, un peu bancal aussi et qui reste étrange. Je comprends mieux mais demeure une ample part d'ombre et de mystère, d'impossible à formuler sans doute.
C'est une succession de descriptions, des lieux, des gens, mais "a la
Giono" bien sûr, c'est-à-dire très imagée et très libre et audacieuse, voire un peu hermétique parfois, où se mêlent récit d'épisodes factuels et réminiscences sensorielles, transcriptions de la manière, très parcellaire et émotionnellement forte, des perceptions du temps et de l'espace que l'on a quand on est enfant, qu'on ne comprend pas comme un adulte, qu'on imagine beaucoup plus fortement, qu'on "voit" des choses qui n'existent pas etc.. bref, le "monde d'un enfant".
Cela m'a paru très sincère, ne mimant jamais le langage enfantin. Exemple : quand il se souvient d'avoir eu la fièvre, il écrit tel quel la distorsion du réel que l'on perçoit alors et le lecteur devine peu à peu que ce doit être un souvenir de fièvre..
J'ai dit "bancal" car l'histoire de "
la femme du boulanger", adaptée au cinéma par
Pagnol, y est écrite beaucoup plus classique, presque "à plat", sans les embardées créatrices que j'apprécie chez lui (quand elles ne versent pas dans un fossé d'incompréhension). Je n'ai qu'un vague souvenir du film mais cela m'étonnerait que
Pagnol ait repris l'histoire jusqu'au bout, assez violent et sauvage..
Ce livre m'a fait penser, parfois, à un autre livre tentant d'écrire sa propre enfance, écrit de manière très originale dans une langue poétique et très créative comme celle de
Giono,, où les cinq sens sont brassés à plein, qui est la Croyance des voleurs, de Michel Chailloux.
Les livres me font souvent penser à des films : l'ambiance, les conditions de vie là-bas alors m'ont rappelé celles dans l'Arbre aux Sabots, le chef-d'oeuvre d'Ermano Olmi. Mais les réminiscences sensuelles, surtout vis-à-vis des jeunes filles et des femmes, m'ont rappeler le
Fellini d'Amarcord ou de la Cité des Femmes.
L'autre grande qualité du livre aussi pour moi qui ne connais pas ce pays de Manosque (et encore moins en ce début de XXe siècle ! ) est qu'il montre, sans afficher cette intention, les cruels contrastes de la vie d'alors, la force de ces gens face aux épreuves de la pauvreté (la famille de
Giono est modeste, travailleuse, mais pas misérable, contrairement à la plupart de leurs voisins locataires, souvent exilés, réfugiés de la misère ou de passage) et l'humanité généreuse et sensible qu'ils faisaient vivre dans cette société aussi religieuse que païenne, selon la classe sociale dans laquelle on vivait. Les "riches", les "bourgeois du coin" n'y font que de brèves apparitions.
Giono se remémore surtout les voisins de cettegrande batisse, les hommes qui viennent chercher une aide auprès de son père, homme d'une grande humanité et intelligence lucide, qui a eu une importance fondamentale sur
Giono.
Il n'y a pas que l'ivresse sensuelle créée par la nature, les animaux, dans ces réminiscences, il y a la Vie dans son entièreté, y compris donc la dureté des hivers et des étés, l'excès d'humidité (le moisi, le pourrissement..), les passions humaines qui amènent les grands bonheurs mais aussi les tourments, les douleurs de désespoir, les violences, contre autrui et contre soi-même et, bien sûr, la fin de la vie.
Giono ny occulte donc pas sa large place aussi à la Mort.
Même si jamais vous êtes parfois un peu désorienté par certains passages, allez jusqu'au bout du livre : les dernières pages sont bouleversantes et résonnent encore plus un siècle (presque) plus tard.