- Colline - est le premier volet de la - Trilogie de P.A.N -, Pan étant le dieu grec des bergers et des troupeaux, écrit par
Giono en 1928 alors que son auteur s'ennuie perdu dans un emploi de banque pour lequel il n'est pas fait.
Comment en effet imaginer cet écrivain en lequel soufflent les puissances mystérieuses et énigmatiques de la nature, auquel les dieux de l'Olympe murmurent à l'oreille, ce témoin privilégié qui voit se dérouler devant ses yeux interrogatifs les vies d'hommes simples confrontés à une destinée (?) faite de maigres et parcimonieuses petites joies simples, exigeant d'eux de rudes tâches jamais achevées, toujours à recommencer, un peu pareils à Sisyphe, la peau calée par les épreuves et les sacrifices, ces hommes qui, face au malheur, n'ont que des doutes et de piètres croyances, superstitions faites de saint bric et de saint broc ?
Alors
Giono le Provençal,
Giono l'anti-
Pagnol, leur prête sa voix ou sa plume, si vous préférez... et quelle plume !
Une plume capable d'inventer une langue propre à ces gens, propre à la terre sur laquelle ils vivent, terre qu'ils travaillent pour pouvoir vivre.
Un "provençal populaire", pourrait-on dire... à condition d'ajouter qu'avant, pendant et après cette trilogie,
Giono est un poète, un poète qui écrit et qui publie.
Cette étrange alchimie crée... je vais vous donner un aperçu de ce qu'elle nous offre :
- "Maintenant c'est la nuit. La lumière vient de s'éteindre à la dernière fenêtre. Une grande étoile veille au-dessus de Lure.
De la peau qui tourne au vent de nuit et bourdonne comme un tambour, des larmes de sang noir pleurent l'herbe."
-"Les vautours qui dorment, étalés sur la force plate du vent."
-" L'idée monte en lui comme un orage.
Elle écrase toute sa raison.
Elle fait mal.
Elle hallucine.
L'ondulation des collines déroule lentement sur l'horizon ses anneaux de serpents.
La glèbe halète d'une aspiration légère.
Une vie immense, très lente, mais terrible par sa force révélée, émeut le corps formidable de la terre, circule de mamelons en vallées, ploie la plaine, courbe les fleuves, hausse la lourde chair herbeuse.
Tout à l'heure, pour se venger, elle va me soulever en plein ciel jusqu'où les alouettes perdent le souffle."
Et quel souffle ! qu'en dites-vous ?
Nous sommes en 1928 à Lure ou village des Bastides-Blanches, un petit hameau de quatre maisons situé derrière Manosque, dans la haute
Provence chère à l'auteur.
Dans ces quatre maisons vivent deux ménages et les personnages du roman.
-"Gondran, le Médéric ; il est marié avec Marguerite Ricard. Son beau-père ( Janet ) vit avec eux.
Aphrodis Arbaud qui s'est marié avec une de Pertuis.
Ils ont deux demoiselles de trois et cinq ans.
César Maurras, sa mère, leur petit valet de l'assistance publique.
Alexandre Jaume qui vit avec sa fille Ulalie, et puis, Gagou.
Ils sont donc douze, plus Gagou qui fait le mauvais compte."
Leur quotidien "ordinaire" va brusquement basculer dans "l'extraordinaire" lorsque Janet, le doyen octogénaire de ce qui fut naguère un bourg, va faire un malaise, devenir grabataire, confus et porteur de propos incompréhensibles pour ces hommes simples.
Ses délires vont être pris à la lettre par la petite communauté très vite, et concomitamment, confrontée à un environnement devenu subitement hostile.
Leur relation à la faune, à la flore, aux éléments va s'en trouver changer.
Le puits ne va plus donner d'eau.
Un incendie va éclater et menacer de ravager leur colline.
Une colline qui se met en colère et s'en prend à eux... comme si elle obéissait aux ordres vengeurs du vieillard.
- " Janet, le doyen, a la fièvre, il "déparle", il tient des propos étranges, des propos vengeurs, comme si les bêtes, les plantes, les rochers, la colline, parlaient à travers lui et lâchaient leur ressentiment contre l'aveuglement des hommes et leur brutalité de bêtes qui "tuent" la nature en se l'appropriant."
Quelle va être la réponse de ces hommes face à ce qui a été qualifié par la critique de "leçon animiste" ?
La peur liée à l'ignorance et la mort vont-elles l'emporter ?
Vous le saurez en lisant ce premier volet de la - Trilogie du P.A.N -...
Outre l'écriture charnelle, sensuelle, originale, puissante et poétique de
Giono, il y a cette histoire réaliste et à la fois sur-naturelle, où tout est vie... leçon de vie.
L'écrivain anime avec virtuosité l'animal, le végétal et le minéral.
Il n'est rien du chat, du lièvre, du sanglier, des arbres, des fleurs, de l'herbe, des roches, des pierres, de l'eau... qui ne soit habité par un puissant souffle de vie.
Pour conclure, je vous recommande de lire plusieurs fois les pages qui relatent l'incendie épique... c'est prodigieux !
Quant aux références mythologiques qui peuplent ce roman, qui cohabitent avec ses personnages... j'avoue ne pas avoir suffisamment de culture pour avoir pu toutes les identifier.
Un grand classique à lire ou à relire !
Un écrivain à découvrir ou à redécouvrir !
Un écrivain dont le style a su se jouer du temps.
Un écrivain avant-gardiste tant son propos est plus que jamais d'actualité pour nous qui avons voulu asservir la nature et qui subissons tous les jours davantage ses colères légitimes.