«
Monde Ouvert » (2020, Editions de l'Ogre, 160 p.) est un roman quasi d'initiation sur fond politique ultra-radical. Sauf que (pour les peu-lecteurs un peu pressés qui auraient par hasard découvert la cause et son otage). « Il était formellement interdit d'introduire qui que ce soit auprès de l'otage ». Comme si les bonnes vieilles pratiques avaient encore cours, maintenant la cause est structurée et ses causeurs éduqués. Tellement bien qu'ils ne causent pas, surtout à l'otage. (Le singulier employé ici est une marque de petite production, avant un marché plus ouvert et mondialisé).
Donc sans contexte idéologique précis (dont le lecteur se fiche, bien entendu), et sans scène dégradante de marchandage de l'otage en pièces recyclables (ce dont la morale réprouve), les à-côtés gores du roman deviennent de la littérature de gare. Les « peu-lecteurs » vont encore hurler à un «
Monde ouvert » qui ne débouche ni sur une idéologie pratique (liée à une secte, parti politique, défilés et autodafés), ni sur un management rationnel de l'otage (« La Découpe pour les Nuls »).
Il ne restera que ces deux losers Sven et Dale (heureusement ils ont des prénoms non répertoriés au Calendrier des Saints et Prénoms). Seul détail pour Dale « Dale avait un tatouage sur la nuque. Il représentait un triangle traversé par trois ronds. Seul le triangle était en couleur ». Reste l'otage dont on ne saur rien, ni même s'il est encore en vie (en continu ou par morceaux, diraient des mathématiciens), et la cause qui ne cause plus. Et si cette dernière était comme l'Arlésienne ou mieux Godot et les deux protagonistes parents de Vladimir et d'Estragon. En plus de l'otage qui disparait petit à petit (abandonné et mort de faim et de soif ? La cause aussi se fait la valise. « le silence de la cause s'expliquait par le mauvais temps. La cause était là pour éclairer leur chemin. Tout était trop fragile ».
Un otage improbable, deux gardiens tout autant impossibles de savoir de quoi ils vivent, mangent, ont de l'essence pour leur Xantia (même si cette dernière parait être hors d'âge) « Les phares de la Xantia étaient d'un autre âge. Jaunes. Un jaune d'oeuf dur, un jaune pétant ». Pas de cartes (interdites par la cause), mais des chemins (de traverse, cela va de soi), « Ah, la cambrousse, quand même », pas de frontières (si ce n'est une cahute inhabitée), des chemins de montagne avec des lacs et rivières (et même un salmonidé, tout étonné de se trouver là).
Heureusement, un grand moment d'humanité dans ce désert « ils découvrirent deux ânes qui auraient mutilés les coeurs les plus endurcis. Au-delà de la tristesse séculaire qui habitait le fond de leurs yeux, les voir ainsi, sabots prisonniers de la neige, faisait venir les larmes ».
A tout prendre, à la fin de ce livre, ayant pesé le poids de l'otage, de la cause, de la pas si longue captivité, des recherches qui n'ont pas eu lieu, du tam-tam médiatique resté en grande sourdine, des élans quasi patriotiques des deux ex-braqueurs entrés dans l'administration pénitentiaire, on se demande si les deux ânes n'ont pas tout compris, pratiquement depuis le début du livre (chap 5, p. 31).