Pour que tu comprennes, je t’embrasse, je colle mes lèvres dans le creux de mes paumes, je baise ce que je peux baiser depuis mon propre visage. Mes bras, mes genoux, j’y verse des larmes, tu m’as tant manqué, tu sais. Je t’en voulais de trop de choses, de ressembler à ma mère, à ce père que je ne connais pas, je t’en voulais de brûler pour un homme qui m’a détruite, je t’en voulais de changer et de grandir, de te distendre et de grossir, je t’en voulais pour ce que tu étais et tout ce que tu n’étais pas ; je t’aurais voulu comme les autres te désiraient, alors que tu n’es rien d’autre que mon plus grand amour, au fond, plus que ça. L’outil de mes amours. Que serais-je, sans toi ?
J’attrape mes seins en cessant de danser, je les presse comme on enserre un ami qui revient de la guerre, pour lui dire sans un mot « merci d’être revenu sain et sauf, merci mon Dieu » quand les paroles nous manquent. Il n’y a plus que toi et moi, et je prends enfin conscience qu’en t’aimant, je m’aime aussi.
Je découvre soudain l’évidence que mon corps et moi ne faisons qu’un, nous ne sommes pas adversaires, il n’y a pas de fusil, pas de bataille, plus de blessés.
Se serrer la main, enfin.
Je finissais par penser que c’était la première fois qu’il annonçait une maladie grave à quelqu’un. Ou alors il était comme ça dans la vraie vie aussi : il planait. Moi qui ai toujours cru que les médecins étaient des monstres, celui-là me paraissait plutôt inoffensif.
— Interne, en fait. Je n’ai pas encore écrit ma thèse.
— Médecin stagiaire, alors ?
Il m’avait souri.
— C’est à peu près ça.
— Donc vous ne saurez pas comment réagir si je m’en vais maintenant et vous n’essaierez pas de me retenir pour me convaincre de me soigner. C’est très bien, ça.
Interloqué, il m’avait regardée quitter ma chaise derrière ses lunettes de la même couleur que ses yeux. Très beaux, d’ailleurs. Mais pas assez pour me clouer sur place. Un petit geste d’une main, mes cliques et mes claques dans l’autre, et me voilà dans la rue.
Un peu sonnée. Un peu éblouie par la lumière du jour après les couloirs aseptisés. C’est fou comme on a l’impression de laisser ses problèmes derrière soi quand on quitte un hôpital.