Un jeune intermittent du spectacle, ambitieux et fauché, qui monte à la capitale pour chercher gloire et fortune, le scénario n'est pas original.
"Je m'voyais déjà, en haut de l'affiche, je m'voyais déjà adulé et riche...", on connait la chanson. Et bien c'est justement ce qui est arrivé à notre héros, et tout ça sans passer à la télé, sans un seul tweet, pas même une photo dans Closer au bras d'une blonde décolorée.
Monsieur Greenblatt, universitaire américain qui peut s'enorgueillir de prestigieux diplômes et du prix Pulitzer, nous fais palpiter comme dans un thriller avec le récit des épisodes de la vie du célèbre dramaturge élisabethain, qu'il appelle familièrement "Will". Une habitude des States, où même les stars vous disent: "appelez-moi Bob" (Redford) ou "Tom" (Cruise).
Là où ça se complique, c'est qu'on ne sait quasiment rien de la vie privée de celui que j'appellerai notre ami Will. On suppute, on conjecture, on imagine, on suppose, on s'accroche au moindre détail ayant traversé les siècles, à des témoignages sujets à caution. Car notre ami Will, vivant en des temps troublés où la moindre opinion personnelle pouvait vous coûter la vie, a pris soin de faire disparaitre toute trace compromettante. Cette prudence lui a évité une mort violente, celle de
Christopher Marlowe par exemple.
Mais que nous importent les détails de sa vie domestique? le profond mystère qui entoure une grande partie de sa vie rend son oeuvre d'autant plus exceptionnelle, unique, brillante, fulgurante, surnaturelle!
Qu'un homme d'origine modeste, provincial, sans appui, sans instruction autre que l'école élémentaire, sans grande expérience, ait pu produire de si grands chefs d'oeuvre, engendrer des personnages devenus des archétypes, tels que ce fou d'
Hamlet, l'odieux Iago, les époux criminels de
Macbeth, la douce Juliette, cela semble inimaginable.
A tel point qu'une rumeur prétend que ce
Shakespeare n'a jamais existé. Ou qu'il n'a rien écrit. Qu'il n'est qu'une légende qui dure depuis des siècles.
A cause de cela, le travail de M. Greenblatt est nécessaire. Il fait descendre le personnage de son piédestal et lui redonne vie en nous décrivant minutieusement le contexte historique, sa violence ordinaire, la dureté de la vie quotidienne, les épidémies de peste, les persécutions religieuses, les exécutions publiques, les complots de cour, les meurtres et le fanatisme.
La Renaissance n'est pas le siècles des Lumières, et si les souverains favorisent les artistes, peintres, musiciens, auteurs, c'est que leur talent va servir la gloire de leur règne. La caste au pouvoir ne les considère que comme des valets ou des saltimbanques, jamais comme des égaux.
Le génie de
Shakespeare fut aussi de mettre dans ses pièces toute la cruauté, le cynisme et la mégalomanie des Rois, aussi bien que leur faiblesse et leur déchéance, sans jamais être condamné par les puissants pour ce qu'il dénonçait.
To be or not to be? Faire carrière dans le show-biz au XVIè siècle, une question de vie ou de mort!