Sur la forme ce livre est soigné, en tous points conformes à ce que vous trouveriez en librairie. Quant au
fond, il dissèque chacune des chansons de ce disque dont on souhaite juste qu'il ne soit pas le dernier,
tant il évoque à la fois les vies et les morts. Pour chaque vers, chaque image, chaque expression, chaque
musique aussi, l'auteur décrit les influences, précise les provenances, résume les hypothèses plausibles.
Et si l'on considère que la presque totalité des textes compose un gigantesque recueil de citations et
références, on devine l'ampleur de la tâche qu'il s'est assigné. S'il se risque parfois à ses propres
interprétations, c'est toujours avec pudeur et modestie, en évitant le piège qu'il pouvait se tendre à luimême,
celui de Monsieur Expert donnant sa docte leçon. Il n'y cède pas un instant. Travaille cette belle
pierre tout en précision et finesse. S'attarde naturellement davantage sur ce Murder Most Foul,
gigantesque poème sur le 22 novembre 1963, mais pas seulement...
De Dallas, Dealey Plaza, scène de crime de l'assassinat du président
John Fitzgerald Kennedy, s'ouvrent
pour Dylan mille portes, donnant sur l'histoire même de l'Amérique et de ses cultures populaires. Quand le
morceau parut, nous fûmes nombreux à risquer nos propres chasses aux références, un peu à
l'aveuglette, comme armés de filets à papillons, ici captant un clin d'oeil aux Beatles ou Jerry Lee Lewis.
François Guillez s'est armé d'outils d'une toute autre précision.
Shakespeare, Leadbelly, versets de la Bible
ou rappels historiques, Dylan a constitué un gigantesque patchwork que seuls les inconscients
qualifieraient d'emprunts ou plagiats. Et notre enquêteur documentaliste historien les dévoile ainsi que leur
multiples relations. Un autre mérite du livre est l'autre réseau d'interconnexions qu'il met en évidence entre
les autres titres de l'album et ce poème phare de 17 minutes. Chacun de nous y avait probablement "son"
morceau préféré. J'ai pour ma part une tendresse particulière pour "I countain multitudes". Je ne l'écouterai
plus désormais de la même façon...
François G. nous convainc en somme que tous les morceaux ont leur importance dans cet album qui pour
"non tapageur" qu'il soit, restera probablement comme l'un des plus importants de cette saga
commencée... putain... il y a bientôt soixante années.
A offrir donc, à tout passionné de vos relations. Il vous bénira. Comme je remercie l'auteur de son
magnifique travail.
Avec le cher
Nicolas Rainaud, auteur de deux ouvrages majeurs également, nous tenons avec Francois
Guillez deux exégètes de langue française érudits, précis et passionnants. Et surtout jamais pénibles, ce
qui est souvent le danger, pour les exégètes. Rien de tel ici. La passion n'est pas tapageuse, elle
s'épanouit dans l'élégance de la connaissance.