Cette rencontre avec l'écrivain belge
Thomas Gunzig (1970 - ) permet à une trentaine de personne de se retrouver au premier étage de ma librairie favorite (la seule de Wavre). Chouette ! Carine est là avec son lumineux sourire. Et nous voilà, bien installés, chacun sur sa chaise noire, serrés comme les troènes d'une haie, au milieu des collections de livre de poche. Tiens, j'ai les « Espaces Nord » à ma droite.
Georges Rodenbach veille sur moi. Les conversations vont bon train : Wavre, son bourgmestre, son jardin urbain sur la place de l'Eglise, Mel Gibson, le Japon, le mariage de raison …
Et lorsque l'écrivain paraît, le monde applaudit. le cheveu sombre et bouclé, l'oeil brun et pétillant, la lèvre légèrement ourlée de rose, le sourire franc. le premier trait d'humour fait mouche. Il nous conquiert une seconde fois.
Venu pour parler de son nouveau roman, il laisse à Sylvie Roland le soin de résumer succinctement l'intrigue : Jean-Jean, l'agent de surveillance d'un supermarché, tue, par un malheureux concours de circonstances, Martine la caissière. L'ami de celle-ci prévient ses quatre fils, quatre loups assassins, qui vont se lancer à la poursuite de Jean-Jean. Pour Sylvie, l'action se déroule dans un futur proche où le consumérisme règne en maître totalitaire, au mépris de tout humanisme. Très vite,
Thomas Gunzig apporte la précision suivante : il n'y a pas plus contemporain ; cette époque, c'est la nôtre ! Et derrière les péripéties cocasses de l'intrigue, il y a la voracité du marketing, la logique implacable de la productivité, le tout teinté d'ironie et d'humour noir. Ce qui nous mène à une réflexion et, bien entendu, à une mise en garde vis-à-vis de notre société de consommation. Mais rien n'est caricatural, tout est vrai, tout est documenté. Un travail de deux années, soutenu par des lectures de théories de marketing, de technique de vente, de rencontres et d'interviews de gérants de grands magasins.
Mais l'impulsion vient de l'enfance (encore ? oui, encore). Une image d'un lieu où tout peut s'acheter, un grand magasin d'Auderghem, où il est venu en famille, au milieu des formes, de la lumière, des couleurs, des odeurs. Au coeur de cette dynamique de séduction. Puis sur ce souvenir, vient se greffer l'expérience du job d'étudiant : caissier. Et ainsi la prise de conscience du rapport des clients avec cette fonction (et avec la personne qui l'incarne). Ensuite, dix années comme libraire ont peaufiné cette approche de ce monde à la déontologie élastique, à la méthodologie implacable, au vocabulaire guerrier, à la hiérarchie mesquine et inique.
Ceci expliquant cela : peu de personnages du roman suscitent de l'empathie. À un moment ou l'autre, ils se révèlent tantôt lâches, tantôt violents. Mais très souvent bêtes et veules. Il n'y a donc pas de héros sur la continuité du roman. Si bien que chaque personnage a son moment de méchanceté, son étincelle de compassion, son morceau de bravoure …comme tout un chacun en ce bas monde (même Gandhi ? oui, même Gandhi). Et
Thomas Gunzig d'avouer une réelle connivence avec tous ces personnages dont il a respecté la logique interne.
Son style relativement visuel est très probablement nourri par une enfance passée devant la télévision et la vision de nombreux films en DVD. Sans oublier que l'ennui pendant les études primaires l'a poussé vers la lecture, surtout la science-fiction (
Isaac Asimov,
Philip K. Dick,
A.E. van Vogt, mais pas
J.G. Ballard, m'a-t-il répondu !). Plus tard,
Boris Vian et de nombreux auteurs américains,
Charles Bukowski,
Hubert Selby,
John Fante,
J.D. Salinger, pour leur humour, pour leur marginalité assumée, pour leur caractère sexué. Les classiques seront lus plus tard, après les études. Aujourd'hui, il lit aussi bien
Guy de Maupassant que
Fédor Dostoïevski, sans oublier Murakami (Haruki ET Ryo). Voilà ce qui a nourri l'homme et l'auteur dont l'humour, ce soir, a été souvent rapproché de celui de
Pierre Desproges. Et, nous dit-il, sa lucidité face à notre monde occidental conduit naturellement à cette vision et à cette expression de celle-ci que beaucoup qualifieront de pessimiste. L'écrivain tente, humblement, tout doucement, de générer une part de bonheur aussi infime soit-elle pour le lecteur.
Le succès des ventes vient le cueillir. Mais le rassure, un peu …