Ayant lu récemment –
La carte postale -, le magnifique roman d'
Anne Berest, je suis tombé au fil des pages sur des noms connus et sur quelques autres qui ne l'étaient pas, dont celui d'
Adélaïde Hautval, médecin psychiatre que la grand-tante d'anne Berest va croiser au camp de Pithiviers, après qu'elle et sont frère Jacques aient été raflés quelques jours auparavant par la police française en réponse aux sollicitations nazies concernant " la question juive ".
Si ce médecin français, qui va prendre sous son aile No(émie) Rabinovitch, exerce dans des conditions déplorables dans ce camp de transit, étape avant Auschwitz, c'est en qualité de détenue. Non pas parce qu'elle est juive mais parce que Vichy et les nazis la considèrent comme " l'amie des Juifs".
Dans le livre d'
Anne Berest, il y a ce qui s'appuie sur des faits prouvés, des témoignages irréfutables et sur ce qu'on pourrait qualifier face au manque de faits prouvés et de témoignages irréfutables, de déductions fictionnelles.
Pour la rencontre entre le Docteur Hautval, médecin psychiatre âgée de 36 ans et de Noémie Rabinovitch âgée de 19 ans,
Anne Berest s'est appuyée sur le plus irréfutable des témoignages ; celui d'
Adélaïde Hautval en personne, dans ses mémoires écrites en 1946 et publiées à titre posthume en 1991.
Il était dès lors impensable me concernant que je ne m'emploie pas à mettre la main sur ces mémoires et que je ne fasse pas connaissance avec
Adélaïde Hautval, figure héroïque méconnue de la résistance aux nazis et de la déportation.
Adélaïde Hautval est née en 1906 dans l'Alsace prussienne.
Son père est pasteur, la famille est très croyante, très unie.
Le pasteur Philippe Hautval est également un grand patriote. Il demande d'ailleurs à changer son nom
De Haas en Hautval après la Première Guerre mondiale.
De plus ce pasteur est "un précurseur de l'oecuménisme et du soutien aux Juifs en particulier." Il décrivait les Juifs comme le " peuple du livre " et se "sentait plus proche d'eux que de ses voisins catholiques et voyait une grande analogie entre la tristesse du peuple hébreu en exil et celle d'une famille alsacienne privée de sa terre natale qu'était la France avant la guerre franco-prussienne."
Cette "proximité" a marqué
Adélaïde Hautval qui déclarait : " Cette révérence envers les Juifs ne m'a jamais quittée. Je ne peux pas oublier qu'ils ont souffert plus qu'aucun autre peuple dans l'histoire."
Après des études de médecine et une spécialisation en psychiatrie en 1934, elle quitte l'Alsace en 1939 pour s'occuper de malades mentaux dans le sud-ouest.
Après une visite à sa famille après le décès de sa mère, elle est arrêtée fin mai 1942 par la Feldgendarmerie en gare de Vierzon à la limite entre la zone occupée et la zone libre.
Pour quel motif ?...Une valise.
Adélaïde a en effet égaré son bagage. En gare de Vierzon elle s'oppose à deux Allemands qui insultent la France.
Elle est alors emmenée à Bourges et incarcérée aux côtés de femmes juives.
Témoin de la maltraitance infligée à ces dernières, en solidarité avec ses compagnes d'infortune elle se confectionne une étoile en papier qu'elle accroche à sa poitrine.
En réponse, la Gestapo lui dit : " du moment que vous les défendez, vous partagerez leur sort." Quelques jours après, il lui apportent une bande de toile blanche sur laquelle est inscrite " Amie des Juifs ".
Le lendemain elle est transférée à Pithiviers...
Commence alors la longue errance de 37 mois qui va conduire Adélaïde Hauval des camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande, à la prison d'Orléans, au Fort de Romainville, puis dans les wagons à bestiaux qui la conduiront à Auschwitz I et II ( Birkenau ) puis à Ravensbrück et au camp de Watenstedt.
Elle va y côtoyer l'horreur sur terre et le "mal absolu".
En tant que médecin elle va "exercer" au Revier ( (abréviation de l'allemand Krankenrevier, le quartier des malades...l'infirmerie des camps... ), et là son témoignage recoupe celui d'un autre médecin français
Odette Abadi, laquelle a raconté son enfer dans un livre référence -Terre de détresse -.
Mais en plus, elle va être sollicitée pour seconder des médecins criminels nazis menant des expériences sur les déporté(e)s.
Parmi ces monstres, citons Carl Clauberg, Josef Mengele, Horts Schumann, Eduard Wirths.
Au péril de sa vie, elle va leur opposer des refus cinglants.
Berlin donne l'ordre de l'exterminer, mais elle réussit à miraculeusement passer entre les mailles des filets nazis.
Humaniste dotée d'une grande force de caractère, d'une compassion, d'une empathie et d'un dévouement admirables, elle se dévouera avec un courage, une exemplarité, une dignité hors du commun, allant même jusqu'à prolonger son séjour après la victoire dans le camp pour tenter de sauver les malheureuses qui essaient encore de s'accrocher à la vie.
Adélaïde Hautval est une de ces figures d'exception qui donnent un sens, une valeur, une noblesse au mot humanité.
C'est pour cette raison qu'elle a été nommée Juste parmi les Nations en 1965.
Certes la structure narrative de cet ouvrage est séquencée de telle manière qu'il y a pas mal de redites.
Mais l'essence de ce qui fait la force du témoignage en lui-même mérite que l'on passe outre, que l'on ne fasse pas preuve d'une intransigeance exagérée.
Les 37 mois vécus et racontés par
Adélaïde Hautval ont la force pénétrante du vécu et de la restitution concise qui interpellent, bouleversent, transmettent au-delà de "l'indicible"...
Une femme d'exception. Un destin unique. Un témoignage bouleversant.