Comme l'expliquait l'excellent Timothée Rey dans sa fabuleuse préface de l'intégrale de "L'Île des morts", dans le monde merveilleux de la Science Fiction qui explore toutes les dimensions de l'espace-temps on peut avoir une approche géographique ou une approche historique comme Olaf Stapledon, Isaac Asimov, Poul Anderson, Cordwainer Smith, James Blish ou Roger Zelazny... de 1939 à 1963 il rédige un ensemble de nouvelles qui racontent de petits zooms humanistes en petits zooms humanistes "L'Histoire du Futur", c'est-à-dire la grande histoire de la conquête de l'espace et des étoiles par l'humanité des années 1920 aux années 2600 (humanité qui quitte enfin l'adolescence pour atteindre la maturité) ! L'homme est la mesure de toute chose, par lui elles sont ou ne sont pas : ses écrits n'ont pas pris une seule ride, et franchement en redécouvrant L'Histoire du Futur j'ai l'impression de relire le manga "Planetes" de Makoto Yukimura réalisé 2001 à 2004 ! Je ne suis pas très porté sur les nouvelles, mais ici j'ai adoré car elles sont touchantes et émouvantes, profondément humaines et résolument humanistes... (et les bobos hipsters qui ont qualifié leur auteur d'Antéchrist de la Science Fiction réactionnaire et totalitaire ont sans doute fumé la moquette une fois de trop)
"Oiseau de passage" (1958, "The Menace from Earth")
Holly Jones, 15 ans, est un surdouée, mieux encore une working girl avant l'heure. Sans se l'avouer, elle a le béguin pour Jeff Hardesty de 3 ans son année et a fondé avec lui un entreprise de conception d'engins spatiaux. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, quand débarque à Luna City la menace blonde platine dénommée Ariel Brent Brentwood, une actrice venue faire du tourisme, jeune, belle, riche, aux mensurations bombesque de 90-60-90 (on t'as reconnu Norma Jeane Baker ^^). Plus Jeff fréquente Ariel, et plus Holly broie du noir : ses dons innés en sciences ne lui permettent pas de résoudre des problèmes vieux comme le monde... L'amour et la jalousie ! (au point de risquer sa vie, pour se casser les deux bras avant de gagner une amie et un mari ^^)
Les sentiments candides tranchent avec les détails réalistes sur la vie la vie lunaire, notamment les conditions de vol en apesanteur considéré comme le sport national des lunatiques.Un nouvelle toute simple qui traite avec tact et pudeur, donc avec humanité, des problèmes du quotidien : se lier aux autres, construire un avenir avec les autres. Car ainsi vont les choses : par les hommes et les femmes elles sont ou ne sont pas... Sinon un récit d'un point de vie féminin, avec justement un personnage féminin fort qui sort de tous les stéréotypes caractérologiques de l'époque à laquelle il a été écrit : oui mais non, la cabale des bobos hipsters et des féminos fanatiques continuent de qualifier l'auteur de dangereux machiste et sexiste... Les méfaits de la drogue sûrement, ça ne peut être que ça sinon ça n'a aucun sens !
Cette dernière nouvelle aurait eu davantage sa place dans le recueil précédent, et de la même manière la nouvelle la Logique de l'Empire aurait eu davantage sa place ici. Car il y a un hiatus dans la chronologie du cycle, puisque l'auteur jamais pu écrire la nouvelle traitant de la prise de pouvoir par les christianistes américains. Comme je le comprends : il avait déjà eu tellement de mal à leur échapper, il avait consacré tellement d'énergie à combattre leurs idées fondamentalistes, que cela devait être un véritable crève-coeur d'y revenir en le faisant triompher, même virtuellement
"Si ça arrivait" (1940, "If This Goes On—", peut-être le premier « What If ? » de la SFFF américaine !)
Quand Robert Heinlein et d'Aldous Huxley partent en guerre contre la Bête Immonde, on ne peut que surkiffer !
Nous sommes 3 générations après la chute de la liberté, car après l'élection du prédicateur évangéliste Nehemiah Scudder celui-ci s'est nommé dictateur à vie avant de transformer la démocratie en théocratie. Les fondamentalistes christianistes ont pris le pouvoir, et les mécréants ont droit aux ghettos en ville et aux camps de concentration à la campagne. Après avoir endoctriné toute la population, on a bunkerisé les frontières avec le Canada et le Mexique, et abandonné toute relation avec le reste du monde considéré comme maudit car abandonné de Dieu (à la date de rédaction du récit la WWII a déjà commencé et la ligne politique des USA c'est toujours l'isolationnisme et la Destinée Manifeste).
Nous découvrons tout cela avec le récit à la première personne de John Lyle, bon élève de West Point qui grâce à ses excellentes notes en piété a été nommé à un poste honorifique élevé à la capitale de New Jerusalem dans la garde rapproché du Prophète Incarné. Mais il est trop honnête et trop intègre pour son propre bien, et exclu par ses supérieurs des formations en psychologie des masses et en miracles appliqués il ne peut pas faire carrière dans les Anges du Seigneur. Mais tout bascule le jour où Frère John rencontre Soeur Judith, destinée à devenir la servante du Prophète Incarné...
En découvrant que le Guide Suprême est un gros connard prétentieux et libidineux (oh quelle surprise, on se s'y attendait pas du tout), il découvre l'envers du décor et par amour entre dans la résistance... John et Judith sont trop naïfs, trop candides pour survive à la Bête Immonde, c'est donc pour qu'ils aient une chance de survie que l'auteur leur offre le vieux roublard Zebadiah Jones (alias Machiavel chez les fachos ^^) et la wonder woman Soeur Maddy (alias l'as de la vibrolame ^^). Cette partie est magnifique, car très intimiste : l'auteur qui IRL s'est échappé du fondamentalisme christianiste du Bible Belt a utilisé son expérience personnelle pour construire le personnage de John Lyle, et le suspens est à son comble contre ce dernier est soumis à la question par le grand Inquisiteur en personne !
Ensuite c'est moins fort, parce que c'est hétérogène : beaucoup de sujets sont abordées en peu de pages, et d'une partie à l'autre l'ambiance du récit change énormément…
- Il y a une partie pulpienne, où sous l'identité d'Adam Reeves l'agent John Lyle doit gagner le QG de la résistance avec moult péripéties qui annoncent les récits d'espionnage de la Guerre Froide ^^
- Il y a une partie tranche de vie très touchante, où le narrateur poursuit à distance son amour de jeunesse avec Soeur Judith, et où il retrouve Zebadiah Jones le gentil macho et Madeleine Andrews la strong la independant woman pris au piège du « je t'aime moi non plus »... Mais notre candide se rend compte que l'amour est aveugle, que son attachement pour Soeur Judith n'était qu'une belle illusion, alors que son attachement pour Soeur Madeleine devient lui de plus en plus réel... Lui qui a été élevé dans un univers où les femelles sont sommées de rester au foyer peut-il se lier d'amour avec l'incarnation de la femme de demain, libre et indépendante ? (c'est écrit en 1940 messieurs les bobos hispters et mesdames les féminos qui ont voué l'auteur aux gémonies : avez-vous fait mieux que lui en votre propre temps ?)
- Il y a une partie guerre de l'ombre, où les inquisiteurs du régime spécialistes en propagande et les combattants de la liberté spécialistes en contre-propagande s'affrontent dans une lutte des esprits sans merci : la psychologie est devenu une science exacte grâce aux Big Data, et on utilise les coefficient négatifs et positifs des mots, les fameux « éléments de langage » si chères aux spin doctors, pour faire de la novlangue à grande échelle... L'auteur reprend les travaux sur la sémantique de Alfred Korzybski déjà évoqués dans le tome 1 dans Il arrive que ça saute, et j'avais l'impression d'être chez Isaac Asimov avec le lutte entre la Fondation et la Seconde Fondation ! Et c'est tout à fait normal : en matière de Science- Fiction, Isaac Asimov (Spock dans "Star Strek" : merci Gene Roddenberry ! ^^) a beaucoup appris en travaillant avec Robert Heinlein (Kirk dans "Star Strek" : merci Gene Roddenberry ! ^^) dans la Navy durant la WWII... Mieux, l'auteur reprend de larges pans du "Meilleur des mondes" d'Aldous Huxley, et j'ai kiffer ma race comme jamais quand le narrateur Gary Stu de Robert Heinlein découvre que le chef de la résistance est son ancien mentor à West Point : le Général Huxley, Gary Stu d'Aldous Huxley... Je suis mort et au paradis des geeks !
- Il y a la Grand Soir, où quand les astres et les statistiques sont propices la résistance tente le tout pour le tout en utilisant la religion contre la théocratie religion ! (et le Docteur Novak qui depuis des années et des années cherche le Graal psychologique, l'ultime message qui permettrait de toucher le coeur de chaque homme et de chaque femme, lance sans hésiter son arme de destruction émotionnelle sur la population américaine dans l'espoir de faire revenir du Côté Obscur de la Force le maximum d'individus possibles !)
- Il y a la Seconde Révolution américaine, traité sur le ton de la chronique quand le narrateur raconte les exploits des rebelles mormons, de la légion catholique, des Soldats du Christ et de l'Armée de Joshua contre les Loyalistes des Anges du Prophète, mais qui devient très immersive avec le siège de la forteresse du Prophète Incarné à New Jerusalem... Faute d'armes atomiques on recourt à l'aviation et la marine pour le centre du régime, les combats sont très violents, et les deux camps abattent leurs cartes en dévoilant leurs armes secrètes que sont les télépathes ! Et quand le Général Huxley est porté disparu, c'est le transfuge John Lyle qui doit commander l'ultime assaut contre le régime aux abois... Qui vie par l'épée meurt par l'épée, et la mort très biblique du dictateur est équivoque...
Du début à la fin, le fil conducteur reste la déradicalisation du narrateur qui comprend que malgré tous ses efforts et toutes les aides apportées par ses compagnons, il restera marqué à jamais par l'endoctrinement religieux dont il a été l'objet, regrettant d'avoir été un Soldat de Dieu au lieu d'avoir pu devenir un ingénieur spatial comme cela aurait pu être le cas dans un monde où la religion serait restée à sa place... Ce récit est donc le négatif d'"Étoiles, garde à vous !", où on suivait l'endoctrinement de John Rico, autre Gary Stu de l'auteur qui au fil des pages épousait l'idéologie militariste qu'on lui inculquait à grands coups de bourrages de crânes et de caissons hypnopédiques...
Alors oui ça n'a pas le côté magistral du "Meilleur des mondes" et de "1984", mais l'auteur qui comme le narrateur a connu de sombres heures met ses tripes dans son récit et cela se sent, du coup les côtés humains et humanistes le rendent très attachant (peut-être même que rédigé comme un vrai roman et non comme un novella ce texte aurait pu les égaler, voire les dépasser). Je suis déjà en train d'imaginer le casting qu'on aurait pu avoir s'il avait été adapté au cinéma à l'époque : Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Charlton Helston, Olivia de Havilland... Encore une fois, je suis mort et au paradis des geeks !!! ^^
"La Réserve" (1940, "Coventry")
Nous sommes 3 générations après la Seconde Révolution américaine, et parmi les nouveaux pères fondateurs ce ne sont pas les idées du Général Huxley (oui, toujours celui du "Meilleur des mondes" ^^) qui ont prévalu mais celle du Docteur Novak. Dans une société traumatisé c'est l'adéquation à la norme qui prévaut
Suite à un fait divers, David McKinnon critique littéraire spécialisé en culture romantique des XIXe et XXe siècles a été convaincu d'inadaptation : il se voit offrir le choix entre une cure de réorientation psychologique, et l'exil dans la Réserve qui regroupe tous les récalcitrants à la société nouvelle. Après un long monologue sur la liberté qui peut se résumer à « vous n'aurez pas ma liberté de pensée, David choisit la Réserve qu'il pense être un utopie anarchiste à la Jack London où chacun fait ce qu'il lui plaît...
Le pauvre découvre une triple dystopie avec la ploutocratie corrompue de la Nouvelle Amérique (Far West dixneuvièmiste ou Chicago des années folles, faites votre choix), l'État libre du Libérateur (parodie de régime totalitaire européen : Allemagne, Italie, URSS, faites votre choix), et les Anges survivants de la théocratie fondée par le prédicateur évangéliste Nehemiah Scudder. Il ne fait que tomber de mal en pis, avant d'être pris en main par le dénommé Discret Magee qui souhaite le faire entrer dans la grande fraternité de la criminalité. Mais quand il apprend que la Grand Capital et la Bête Immonde ont fait alliance pour renverser le Monde Libre (refrain bien connu depuis l'entre-deux-guerres), il décide de franchir la Barrière de la Réserve avant l'armée conquérante pour avertir les compatriotes qu'il avait pourtant voué aux gémonies...
Le background n'est pas assez exploité, mais fort heureusement il le sera dans "Prisoners of Power" le chef-d'oeuvre des frères Arkady et Boris Strugatsky (fort malheureusement toujours non traduit en VF : mais que foutent les éditeurs français bordel de merde???)
Le récit pulpien est trop court et trop précipité, mais tout est compensé par le dénouement : achtung spoilers !
David de retour au pays se résout à subir un cure de réorientation psychologique, mais le rapport de Discret Magee, agent des États-Unis d'Amériques dans la Réserve, a prouvé par A + B que tous les actes d'altruisme et d'héroïsme qu'il avait réalisé l'avait définitivement guéri de son « inadaptation »... C'est là que David demande à devenir à son tour agent des États-Unis d'Amérique dans la réserve ?
Au final une astucieuse façon de traiter le plus vieux dilemme du monde : tous pour un ou un pour tous ? ^^
"L'Inadapté" (1939, "Misfit")
Le système de la Réserve ayant touché ses limites, les individus inadapté à une société pacifiée qu'ils jugent aseptisée sont envoyés dans le Corps de Construction Cosmique afin de faire quelque chose de leur vie en participant à l Conquêt des l'Espace (parallèle avec les États-Unis qui ont envoyé leurs têtes brûlées à la conquête de l'Ouest, ou avec l'Europe qui a envoyé ses têtes brûlées à la conquête des colonies). Parmi eux Libby, un petit gros raillé par tous qui lui-même est persuadé d'être un incapable parmi les incapables. Sauf que l'instructeur McCoy comprend que l'adolescent est en réalité un génie parmi les génies, qui n'a pas eu la chance d'aller à l'école après 12 ans parce que ses parents étaient dans la Réserve... Libby redécouvre Pythagore, Thalès, Newton, Kepler et Einstein, et le terrien inadapté devient ainsi l'architecte de l'infini ! (et un personnage récurrent des mondes créés par l'auteur)
C'est avec cette nouvelle courte, simple, mais humaniste que j'ai été convaincu, si je ne l'étais pas déjà avant, que Lois McMaster Bujold était un héritière de Robert Heinlein avec son Tyrion Lannister dans l'Espâce en croisade intersidérale contre les forces obscures de la la crevardise...
1/2 étoile en moins juste parce qu'après deux excellents récits, l'auteur n'est pas au top niveau par la suite... Sinon c'est que du kif en mode humanisme pour toutes et pour tous !
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