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Louis Martinez (Traducteur)Leonid Heller (Préfacier, etc.)
EAN : 9782221088982
235 pages
Robert Laffont (12/09/1999)
4.15/5   10 notes
Résumé :
"Vous entrez dans l'immense territoire d'un roman russe, contrée légendaire où jaillissent les eaux splendides de la réalité historique, pâte sordide ou sublime travaillée par l'imaginaire. Fable russe, rêve universel." Jorge Semprun
Lecteur, prépare-toi à affronter un récit à la fois limpide et étonnant de complexité. Que raconte-t-il ? l'ultime détresse d'un peuple de déshérités oubliés dans un désert turkmène. Son nom : Djann, qui signifie "âme" -- car l'â... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Le peuple Djann, qui vit dans les salines infernales de la fosse de Sary-Kamych en Asie central est un peuple qui n'a rien eu d'autre que son âme et la précieuse vie que lui ont donné les femmes-mères en l'enfantant. Ils n'ont que leur coeur et leur vie, une fois franchie la limite de leur corps, rien ne leur appartient, leur vie n'étant qu'apparence.
Tchagataiev le protagoniste de ce roman est un djann. Sa mère , enfant, l'éloigne de cette communauté pour le sauver. Mais Tchagataiev une fois ses études de pédologie terminées à Moscou , chargé en mission par le Comité Central du Parti de sauver son peuple égaré et le rendre heureux, va y retourner . Or ce peuple a depuis longtemps cessé de souffrir pour avoir connu trop de misère, son esprit s'est abêti, par conséquent pour sentir son bonheur, il ne lui reste rien. Un peuple qu'il vaut mieux laisser en paix…. Pourtant……

Un texte étonnant , terrible et poignant, une étrange tentative de déplacer le réel totalement détraqué du monde stalinien , une utopie, un voyage dans le désert. Un texte qui force les limites de la misère humaine . Sa version courte étant été interdite de publication , Platonov y rajoute trois autres chapitres pour amadouer le régime, qui n'auront aucun effet positif ultérieur . Platonov, lui-même ingénieur pédologue, spécialisé dans l'étude des sols et leur amélioration était un communiste passionné , qui se mit au service du socialisme. A l'époque l'unique possibilité de survivre pour la gent écrivaine était de solliciter des missions pour partir à deux, trois ou seul dans tous les recoins de l'immense Soviétie, et en rapporter leurs «  témoignages » , dans la lignée propagandiste du Parti. le but étant de redresser « L'homme ancien » et en faire un « homme nouveau ». Avec Platonov le problème fut que sa passion pour le communisme était à double tranchants, il soutenait la révolution bolchevique , était inscrit au Partie communiste, mais ses livres qu'on pouvait lire à plusieurs niveaux, richement détaillés, ne montraient aucune pitié envers le régime stalinien, exposant une société totalitaire construite sur un mensonge. Une écriture effectivement très ambigue que celle de Djann, qu'on peut lire en somme à l'envers comme à l'endroit, « Tchagataiev savait que toute exploitation de l'homme commence par l'altération, l'adaptation de son âme à la mort, à des fins de domination , ou sinon l'esclave ne serait pas un esclave. Et cette dégradation forcée et monstrueuse de l'âme se poursuit , s'accentue toujours plus jusqu'à ce que la raison de l'esclave se mue en déraison ….. ». Comment être plus explicite sur cette ère monstrueuse stalinienne. C'est pourquoi ce texte sera interdit, et dans le sort des écrivains et artistes de l'époque qui ressemblait à un jeu de roulette russe, Platonov sera épargné comme Boulgakov et condamnés à végéter dans des limbes littéraires , pas ou très peu publié. A ce point là une pensée pour Chostakovitch , déclaré ennemi du socialisme suite à une représentation de son opéra Lady Machbeth de Mtsensk auquel assista Staline et ses acolytes ( je n'ai toujours pas compris quel argument dans sa musique pouvait être périlleux pour le régime , sûrement le talent 😊) , lui aussi épargné par hasard.
Un livre dur à lire, mais précieux.


Joyeux Noël et Bonne Année !

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Dans la Russie soviétique, Andreï Platonov compose un récit sur l'âme slave, sa déréliction face aux troubles et aux famines, mais aussi sa possible évolution et survivance sous la houlette stalinienne. Tel un berger, son héros éduqué à Moscou revient dans son lieu d'enfance, afin d'initier les siens aux bienfaits du communisme. Mais sa patrie est devenue une terre sombre et stérile, où ses semblables ressemblent moins à des hommes en chair et en os qu'à des âmes en peine dans l'Enfer de Dante. La misère et la souffrance oblitèrent la conscience de ces êtres qui ne vivent plus que par « habitude ».

Possible avatar de l'auteur, le héros Nazar Tchagataïev tente d'insuffler une vie vertueuse à son peuple, d'aviver l'âme du peuple Djann, qui symbolise l'âme éternelle et immortelle de tous les déshérités de la terre : « Djann » signifie « âme » en persan et dans le dialecte de ce peuple imaginaire. Platonov n'est pas loin de Platon, mais ses idées du bien commun sont adaptées au communisme : solidarité et fraternité d'un peuple subsistant directement à partir de son travail de la terre et du vivant, un biotope et une biocénose qui nous apparaissent ici dans leur richesse symbolique malgré leur aridité de surface, surface où il faut ramper, creuser, se blottir pour trouver la (sur)vie. La formation de Platonov (ingénieur pédologue, c'est-à-dire spécialisé dans l'étude des sols) transparait dans cette dimension tellurique intense, associée à un espace immense où circulent les âmes, les hommes, les animaux et les panicauts en une errance métaphysique.

La langue étonnante de Platonov se met au diapason des thèmes évoqués. La narration se montre à la fois détachée et pénétrante, comme si elle émanait d'une entité extérieure à la vie terrestre mais compatissant envers celle-ci, même envers les animaux dont les émotions intimes sont perçues et décrites. Comme celles des vautours dans une scène extraordinaire de prédation réciproque entre l'homme et la bête. Cette langue cosmique serait-elle celle d'une nouvelle déité (stalinienne ?) supervisant la genèse et l'exode d'un peuple élu dans le désert ?

Cependant, la portée politique de ce roman demeure très ambivalente : le désespoir des Djanns n'est-il pas une conséquence du bolchevisme ? Mais leur possible salvation ne l'est-elle pas tout autant ?

Impossible de trancher, sauf à décider comme la censure que cette langue nouvelle est trop dangereuse pour la laisser proliférer comme le panicaut.

Merci à Bookycooky pour cette découverte envoyée vers ma steppe reculée ;)
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C'est une histoire qui se déroule loin, très loin, vers l'Amou-Daria, le fleuve qui se perd dans les sables.
Un pays où il n'y a pas d'eau pour apaiser la soif, mais du sable humide qu'on peut mâcher.
Un pays où un homme peut attendre, sur le sable, appât vivant destiné à attirer les charognards pour s'en nourrir. Un pays où les animaux, les plantes, les hommes errent, en cercle selon le vent.
C'est un conte qui allie l'imaginaire messianique révolutionnaire et le mythe de Moise libérant son peuple pour le ramener vers la terre promise.
Le personnage principal de l'histoire, Tchagataiev, enfant illégitime d'une femme turkmène et d'un soldat russe, vient d'achever ses études à Moscou. Il est envoyé par le parti pour remplir une mission : retrouver les membres du peuple Djann, dispersés et les rassembler dans un endroit viable, leur offrir le communisme.
Après bien des aléas, tel Moïse, Tchagataiev conduit les siens à travers le désert jusqu'au berceau historique de son peuple.
Arrivé chez lui, le peuple Djann revient d'entre les morts. Mais un matin, Tchagataiev qui avait souhaité «la vie véritable» dans ce «fond infernal du monde ancien», voit son peuple se disperser au loin : « Mais les gens savaient mieux que personne ce qu'ils avaient à faire. Il suffisait qu'il les ait aidés à rester en vie, ils pouvaient toujours aller chercher le bonheur au-delà de l'horizon… »
A un moment où, sous prétexte d'universalisme communiste, le colonialisme slave vers l'Asie centrale se conforte, on comprend que ce conte chargé de mythes bibliques, russes, et persans, à l'exotisme épique et effrayant où les chameaux s'assoient à la manière des hommes et ne savent comment pleurer, où les chardons comme vivants, obliquent et s'éloignent, loin du matérialisme historique et dialectique n'ait pas reçu l'aval des autorités staliniennes.
Par censure ou autocensure PLATONOV a conçu plusieurs fins, espérant mieux répondre au canon socialiste. Des fins où le peuple « Djan revient de lui-même vers sa terre et où Chagatayev revient vers Moscou, mission accomplie.
Mais rien n'y fait et le livre ne paraitra jamais du vivant de Platonov. L'un des écrivains les plus talentueux de l'URSS, qui croyait sincèrement à l'utopie communiste, sera persécuté, puis considéré comme un paria.
Pour Platonov le communisme est l'avatar de cette quête du bonheur à travers les temps, de ce rêve qui n'est que le sens de la vie humaine même. Pas le bonheur des prophètes qui nous font tourner en rond dans les sables mais le bonheur, palpable, sensible à nos mains.
C'est sans doute à sa réputation de « doux dingue », qu'il partageait avec ses personnages (des « cinglés », disait Gorki), qu'il doit sa survie à l'époque où ses confrères, se suicidaient, étaient assassinés, prenaient le chemin du Goulag ou, au mieux, celui de l'exil.

….………
Quant à la nouvelle qui accompagne ce texte, c'est une histoire des « vieux croyants ». Ceux qui ont refusé qu'un tsar s'interpose entre eux et Dieu. Ils ont dû fuir les persécutions vers la Sibérie. J'ai en rencontré une communauté sur la rive nord du Baïkal, à Severobaïkalsk. Aujourd'hui, ils ont peur des codes-barres cousus sur nos vêtements !!
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Djann est un roman court, suivi dans cette édition d'une nouvelle d'une trentaine de pages. La nouvelle, sur une rébellion d'hérétiques au 18e siècle, est bien écrite, avec une chute surprenante, mais ne m'a pas captivée, contrairement à l'histoire principale (qui se passe, je dirais, dans les années 1930).

Nazar Tchagataiev est natif d'une tribu turkmène extrêmement pauvre qui se nomme "Djann" - l'âme - parce qu'ils n'ont rien d'autre. Abandonné par sa mère une année de famine, il a survécu miraculeusement, a été recueilli par le parti communiste, et revient dans son désert natal pour apporter à sa tribu le communisme, et donc le bonheur.

Ce n'est pas le premier livre de Platonov que je lis. D'après mon expérience, Platonov est un déçu de la révolution, et ses personnages communistes sont en général adorables, très bien intentionnés, et complètement incapables. Tchagataiev peut sembler de la même eau au début, avec sa compassion brûlante et son idéalisme naïf, mais en fait... peut-être qu'il a plus de chance que les autres, ou que ses liens réels avec sa tribu changent vraiment quelque chose. Ici, l'horreur, la mort et le dénuement ne semblent pas être la seule issue (même s'ils planent toujours). Ce livre ressemble à Platonov qui essaie sincèrement d'écrire du réalisme soviétique, et, pour une fois, réussit à peu près la partie soviétique. Par contre, pour la partie réalisme, ce n'est pas encore ça, mais je ne vais pas m'en plaindre. Djann est extrêmement dense en symboles, en mythes, chrétiens, zoroastriens, et oui, communistes aussi, en allégories, et la vie est partout, pas seulement dans les corps et les âmes des humains (endormie par la misère, mais toujours là), mais aussi bien dans le peuple en soi que dans les animaux les plus humbles et peut-être même les objets, qui sait ? En tout cas, j'ai été émue plusieurs fois, même pas à cause de ce qui se passait, juste par la façon de l'auteur de le dire.

En fait, j'ai aussi été émue de nombreuses fois par ce qui se passait. C'est terrible comme la description de la pauvreté peut parfois être terriblement crue sur ce à quoi les hommes en sont réduits, tout en gardant une forme de grandeur mythique. Comme, par exemple, un flashback de l'enfance de Nazar où le peuple a cru sincèrement qu'ils allaient se faire exterminer par le khan voisin et se sont mis à chanter et à danser parce qu'ils n'auraient plus jamais faim.

Les romances m'ont semblé surprenantes, pas forcément en bien. Tchagataiev a beaucoup de mal à placer les limites entre l'amour romantique et la compassion, et parfois c'est un peu bizarre. Et il y a plusieurs romances avec une grande différence d'âge juste parce que les deux personnes se connaissent, et dans une population qui se réduit, ils n'ont pas tant de choix que ça, et ce n'est pas que ce n'est pas crédible, mais cela reste dérangeant.

Il y a deux fins possibles, celle du texte entier, et celle de la première édition. Je suis contente de pouvoir lire le texte en son intégralité, je serais trop frustrée sinon, mais malgré tout, il est possible que je préfère encore la fin d'origine, plus ouverte, plus mystérieuse.
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" Nous sommes Djann, répondit le vieil homme ; il apparut alors, selon ses dires, que toutes les petites tribus, les familles, ou les simples groupes d'hommes et de femmes en train de s'éteindre progressivement qui peuplent les endroits inhospitaliers du désert, de l'Amou-Daria et de l'Oust-Ourt se nomment indifféremment Djann. C'est leur commun surnom; il leur a été donné jadis par les riches baï parce que Djann c'est l'âme, et que les malheureux en train de disparaître n'ont à eux que leur âme, c'est-à-dire la capacité de sentir et de souffrir. Par conséquent le mot 'Djann' n'est qu'une moquerie de riche aux dépens du pauvre. Les baï pensaient que l'âme c'est uniquement le désespoir, mais eux-mêmes ont justement péri à cause de djann - leur propre dajnn, leur propre capacité à sentir, à souffrir, à penser et lutter était chez eux portion congrue, c'est la richesse des pauvres..."

Issu de ce groupe, Najar Tchagataïev a été envoyé à Moscou par sa mère, et maintenant, diplômé, il est missionné en Asie Centrale (on est parfois près de Khiva) retrouver son peuple et l'amener vers de meilleures conditions de vie. "Il se bornait, ce peuple, à creuser des canaux dans le sol, mais le courant amenait de nouveaux dépôts et le peuple recommençait à déblayer, à rejeter la terre inutile, puis les flots troubles rejetaient un nouveau limon qui recouvrait une nouvelle fois leur travail, et de ce travail, il ne restait plus trace."

Il faut dire qu'ils vivent ou survivent dans un coin désertique, sans eau, abandonné... C'est la famine, beaucoup meurent. Najar lui-même doit livrer un dur combat contre des vautours (hallucinant, ce passage) pour les sauver.

Drôle d'histoire, qui demeurerait floue et intemporelle sans quelques indications (Staline, Khiva) et dont l'atmosphère et l'écriture ont su me plaire, une sorte de poème (en prose) épique, pas forcément réaliste, mais décrivant cependant fort bien l'environnement :

"La nuit obscure recouvrit de ténèbres la ville d'argile, dans la tchaïkhana les voix des hôtes se turent (...) et le patron ferma la cheminée du samovar avec un solide couvercle pour que le charbon non brûlé languisse dans le conduit jusqu'au matin."

Ce roman aurait dû se terminer autrement, ai-je appris, il faut dire qu'à l'époque on n'écrivait pas ce qu'on désirait. Né en 1899, mort en 1951, communiste mais pas fan de Staline, Platonov est interdit de publication à la fin des années 40. Certains (très très rares) passages paraissent ambigus, mais peuvent se comprendre dans le contexte, tels "Il ne savait ce qu'il devait faire ici en ce moment, pour apprendre à ce petit peuple le socialisme. Il ne pouvait plus désormais le laisser mourir seul, car lui-même, que sa mère avait abandonné dans le désert, avait été recueilli par un berger, et par le pouvoir soviétique. Et Staline, un homme inconnu, l'avait nourri et préservé pour qu'il vive et s'épanouisse."

Comme l'éditeur continue à contribuer gentiment à ma connaissance de la littérature russe (merci à lui), j'ai reçu aussi deux autres romans de Platonov, et si l'écriture est aussi délicate, je continue! J'ai déjà lu Makar pris de doute, assez acerbe (Staline n'a pas trop aimé, c'est un signe)
Lien : https://enlisantenvoyageant...
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Le tableau représentait une scène imaginaire, du temps où on croyait la terre plate et le ciel tout proche. Un homme de haute stature était dressé sur la terre, il avait crevé avec sa tête la coupole céleste et son corps ressortait jusqu’aux épaules de l’autre côté du ciel, dans l’étrange infini d’un autre temps, qu’il regardait avec fixité. Il regardait depuis si longtemps l’espace inconnu et étranger qu’il avait oublié la partie de son corps restée en-dessous du ciel habituel. L’autre moitié du tableau représentait la même scène, mais la situation avait changé. Le tronc de l’homme avait langui, s’était étiolé et avait fini sans doute par mourir ; quant à sa tête desséchée, elle avait roulé dans l’autre monde (à la surface d’un ciel pareil à une bassine en fer blanc), tête de chercheur d’un nouvel infini où il n’y a effectivement ni faim, ni retour vers la plate et maigre face de la terre.
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: «Toi et moi, nous sommes un fichu trésor, tu es maigre, tu n'as guère de forces, moi j'ai les seins qui se dessèchent, les os en dedans qui me font mal.» Lui: «J'aimerai tes restes.»
…………………….
"Parvenu au bord du Kounia-Daria, qui était à sec, Nazar Tchagataïev aperçut un chameau assis à la manière de l'homme, les pattes de devant appuyées à un petit monticule de sable. L'animal était très maigre, ses bosses étaient toutes flasques, il regardait timidement avec ses yeux noirs, comme un être intelligent et triste. Tchagataïev s'approcha, mais le chameau ne fit pas attention à lui : il suivait du regard le mouvement des herbes mortes chassées par les courants des vents : viendraient-elles à lui ? Passeraient-elles outre ? Un brin d'herbe voleta sur le sable à portée de sa bouche; alors le chameau le mâchonna avec les lèvres et l'avala. Au loin zigzaguait un gros chardon rond; le chameau suivit du regard cette grande herbe vivante avec des yeux attendris par l'espoir, mais le chardon obliqua et s'éloigna; alors l'animal ferma les yeux, car il ne savait pas comment on fait pour pleurer."
………………………..
Nulle part le ciel n'est plus proche de la terre que dans le désert - il se mélange simplement avec lui et est presque impossible à distinguer l'un de l'autre, surtout au crépuscule, dans la chaleur et la nuit, à une heure indéterminée, quand on voit que le temps est une horloge - un mécanisme, non une action de la nature : il n'y a pas de temps, et l'espace des substances de l'air et de la terre n'est pas clairement délimité, comme il devrait l'être .
…………………….
Chagataev essaya de se relever pour mieux voir, tous les os émaciés de son squelette craquèrent, tout comme ceux des gens de son peuple. Il écoutait et il avait pitié de son corps et de ses os - sa mère les avait autrefois récupérés pour lui à cause de la pauvreté de sa chair - non par amour et passion, non par plaisir, mais par nécessité quotidienne elle-même. Il se sentait comme la propriété d'autrui, comme la dernière propriété des pauvres, qu'ils voulaient gaspiller en vain, et il devint furieux. Chagataev s'est immédiatement assis fermement dans le sable.
………………………
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Ce pays d'enfance se trouvait dans l'ombre noire où s'achève le désert ; là le désert laisse glisser sa terre comme une profonde dépression, comme s'il préparait son propre enterrement, et des montagnes plates, rongées par un vent sec, protègent ce bas-fond de la lumière céleste, recouvrant la partie de Tchagataïev de ténèbres et de silence. Seule une lumière tardive y parvient et éclaire d'un crépuscule triste les rares herbes d'un terre trop salée dont les larmes avaient séché sans que sa peine disparaisse.
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(…) il connaissait depuis l’enfance tous les sentiments des animaux sauvages et des oiseaux. Ils ne peuvent pas pleurer et trouver dans les larmes et l’alanguissement de leur cœur à la fois le réconfort et le pardon de l’ennemi. Ils agissent, afin d’épuiser leur souffrance dans la lutte, que ce soit dans le cadavre de leur ennemi ou dans leur propre mort.
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Sa vieille mère, la Turkmène Gultchataï, l'avait coiffé d'un bonnet floconneux, avait mis dans un sac un morceau de vieille fougasse, y avait ajouté une galette faite à base de racines broyées de joncs, de chou sauvage et de plantes rampantes, puis elle lui avait mis un roseau à la main qui cheminait à ses côtés comme un ami - et lui avait ordonné de partir.
- Va, Nazar, avait-elle dit, désireuse de ne pas le voir mort à côté d'elle. Si tu reconnais ton père, ne l'approche pas. Tu verras des marchés et de la richesse à Kounia-Ourgentch, à Thachaouz, à Khiva, n'y va pas, passe devant tout le monde et va-t-en au loin, chez les autres. Que ton père soit pour toi un étranger.
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Video de Andreï Platonov (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Andreï Platonov
Michel Eltchaninoff, Françoise Lesourd et Anne Coldefy-Faucard présentent la pensée du philosophe Nikolaï Fiodorov.
Totalement inconnue en France, la pensée utopiste de Fiodorov a influencé la culture du XXe siècle russe et demeure à ce jour une référence importante en Russie. de nombreux écrivains y trouveront des échos de leurs préoccupations, de Tolstoï à Dostoïevski ou à Vladimir Soloviov. Parmi ses héritiers, le futuriste Velimir Khlebnikov et les écrivains Andreï Platonov ou Maxime Gorki, mais également des savants comme Tsiolkovski, le père de l'aéronautique soviétique. Ses idées trouveront indirectement leur expression dans des textes de la science-fiction soviétique ou dans le cinéma d'Andreï Tarkovski et son adaptation de Solaris (1972). La pensée de Fiodorov se situe au croisement des nouvelles disciplines émergentes de son temps, telles que la linguistique et l'anthropologie, mais également la sociologie, l'agriculture, l'économie. Il est attentif aux phénomènes sociaux engendrés par l'urbanisation, l'appauvrissement de la campagne, et pressent, comme d'autres penseurs de son époque, l'avènement d'une crise mondiale majeure. Exhortant l'humanité à s'unir pour vaincre la mort, Fiodorov lui assigne aussi le devoir moral de ramener à la vie toutes les générations disparues, ces victimes du « progrès » : c'est « l'oeuvre commune ». Sur le climat, objet d'attention privilégié, ou encore, sur les transformations biologiques que connaîtra l'humanité, sa réflexion se rapproche de la question du transhumanisme, qui connaît actuellement un véritable engouement dans la Silicon Valley et ses grandes entreprises. Utopique, la pensée de Fiodorov ? Sans doute. Il n'en demeure pas moins que les idées, les interrogations du philosophe sont toujours aussi stimulantes, particulièrement lorsqu'elles sont exposées avec la spontanéité de la Correspondance: les rapports avec la nature, les questions de météorologie, l'urbanisation excessive, la maladie, la mort, la faim, la conquête de l'univers…
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