Je suis donc convaincu pour ma part que certaines variétés végétales rapportées de ces mondes lointains par nos équipes scientifiques ont atteint un stade d’évolution qui amenuise encore la séparation avec le règne animal. Nous avons prouvé qu’elles détenaient des facultés d’adaptation et d’assimilation bien supérieures à tout ce que nous avions pu observer sur notre bonne vieille flore terrestre jusqu’à ce jour. Mieux encore, qu’elles pouvaient générer d’autres comportements que ceux liés de près ou de loin aux seuls impératifs de la conservation ou de la reproduction.
Dire qu’il y a de la place chez plusieurs d’entre elles pour une forme de pensée singulière, certes embryonnaire, mais parfaitement réelle néanmoins, ne me paraît pas si grotesque qu’on a bien voulu le laisser entendre. Et de toute façon, un vaste champ d’expérience nous reste encore ouvert pour affiner cette certitude. Mais si je devais comparer l’un de ces appareils végétaux surdoués à une usine de production quelconque, je dirais sans hésiter qu’il est déjà entré de plain-pied dans la plus formidable révolution industrielle depuis sa création.
Car je vois là le premier pas effectué en direction de l’entendement, de la compréhension et du discernement. Et n’avons-nous pas coutume de rassembler toutes ces qualités sous un seul vocable ?
L’intelligence ? »
Les paroles de Cheval Bandant résonnèrent à mes oreilles : une menace… pris forme derrière la Limite… mais sous quelle apparence ? Eh bien moi je venais de comprendre laquelle et ma peau se hérissait en y songeant ! Dans un flash, je revis Huxley se tirant une balle dans la tête, et puis Montgomery empli de terreur, fuyant comme un damné… Et moi maintenant qui… Je réalisai brusquement que je n’étais plus en sécurité ici. Ni nulle part, d’ailleurs. Il voulait ma peau, mais il ne l’aurait pas. Il n’y avait pas à hésiter. Le premier moment d’angoisse estompé, je recouvrai ma complète lucidité d’esprit. Le monde entier semblait m’avoir décroché dans sa course, abandonné dans un trou sans issue. Mais je m’en foutais. Avais-je jamais suivi vriment son mouvement fou ?
Pendant plusieurs minutes, nous restâmes silencieux à observer le complexe de tours de la Société Strand Import, déguisé pour l’occasion en arbre de Noël ; puis les gigantesques néons publicitaires couronnant l’hôtel New Savoy. Cette fausse gaieté dégageait a contrario une tristesse infiniment plus perceptible qu’à l’ordinaire.
Mille yeux, mille oreilles, mille ruses, disait sentencieusement Cheval Bandant. Comme démon sournois qui te sent et agit sur ton point faible. Jamais céder.
Michel Honaker : L'enchanteur de sable .Michel Honaker est à l'aise dans tous les styles. Il y a quelques mois, nous l'avions rencontré pour parler de sa trilogie Terre Noire (Voir l'interview) et aujourd'hui c'est dans un parking souterrain, lieu énigmatique ou débute le troisième volet de Chasseur noir, L'enchanteur de sable, que l'on se retrouve. du piano au parking, les ambiances se suivent mais ne se ressemblent pas. RencontreInterview réalisée pour le site spécialisé en littérature jeunesse Les Histoires Sans Fin (http://www.leshistoiressansfin.com)