Après avoir adoré «
Watership Down » de
Richard Adams, c'est avec confiance que j'ai entamé cette histoire de taupes de plus de 700 pages. Cette chronique allie un anthropomorphisme captivant et une épopée pleine de suspense, de rebondissements. C'est également une belle histoire d'amour, d'amitié, de haine, de sauvagerie, de souffrance, de courage, de résilience et de pardon.
Tout doucement, le conte a déployé sa beauté littéraire tout autant que l'intelligence des idées qu'il sous-tend. Dans ces conditions, comment ne pas tomber sous le charme de cette joyeuse bande de petites taupes ?
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Alors, c'est vrai que lire un récit animalier peut sembler étonnant, enfantin, mais il ne faut pas s'y tromper : ce conte est violent, brutal, ces petites bêtes s'avèrent d'une grande agressivité. J'imaginais ces petits mammifères à la vue basse, fragiles, sans défense, paisibles. Mais au contraire, elles se révèlent être belliqueuses, guerrières, sanglantes, pouvant se battre férocement jusqu'à la mort.
De plus, cette histoire est plus profonde qu'il n'y paraît à première vue, car c'est bien une dénonciation des régimes totalitaires et une caricature de notre société que l'auteur développe ici.
Pour savourer pleinement ma lecture, je me suis mise à hauteur de taupes. Pour cela, comme Alice au pays des Merveilles, je me suis mise à rétrécir jusqu'à devenir aussi petite qu'elles.
Et là, un monde nouveau s'est déployé devant mes yeux ébahis : un monde où les parfums de la forêt aux fragrances fleuries, boisées ou humiques, m'ont enivrée ; un monde souterrain mystérieux dans lequel j'ai pu pénétrer en catimini pour lever le voile sur la vie secrète de ces petits animaux, mal aimés de nos jardins.
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Dans ce monde qui mêle imaginaire et réalité, le lecteur ne s'étonne donc pas de voir les taupes parler, avoir des coutumes et des rites. Vous apprendrez qu'il existe des taupes scribes qui se déplacent d'une communauté à une autre pour transmettre les récits et légendes d'un autre temps ; des Anciens, gardiens des anciens rituels ; des guérisseurs.
La religion joue un rôle central dans le livre : au sommet de la colline de Duncton, au coeur d'un ancien réseau de galeries de taupes, se dresse une pierre mystérieuse, majestueuse. C'est une pierre remplie de force et de magie, capable de soutenir la petite communauté, d'aider comme de punir.
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J'ai retrouvé quelques similitudes avec le merveilleux conte animalier de «
Watership Down » écrit par
Richard Adams.
Chaque taupe a un petit nom : Rune, Bois-de-Houx, Mekkins, Mandrake, Bourrache, ...
Si certains sont pleins de sagesse, de bienveillance et d'expérience, d'autres sont teigneux, irascibles, fourbes, manipulateurs, malveillants, querelleurs ou autoritaires.
Dans « le bois de Duncton »,
William Horwood assume pleinement l'anthropomorphisme des taupes, mais très habilement, l'auteur y mêle également leur vraie nature et leurs vrais comportements. Ainsi, nous apprenons beaucoup sur ces petits mammifères et c'est passionnant.
Aussi, si elles vivent comme les vraies, elles ont également la capacité d'aimer, d'aider, de haïr, de comploter, de se venger.
Malgré ces ressemblances, je me suis laissée prendre par le souffle épique du récit, par le charme de ces petits habitants des bois, par la beauté des paysages champêtres, par son atmosphère à la fois singulière et sombre.
J'ai craint pour leur vie, j'ai eu de la peine devant les épreuves à affronter, j'ai souffert de leurs blessures, j'ai compati à leur sort.
« …il y eut un grondement, un rugissement, et le tunnel à l'extérieur de leur terrier parut secoué de la présence d'un millier de prédateurs. C'était Mandrake. Avec à l'esprit ce que lui avait dit Rune, ou ce qu'il avait semblé lui dire, il avait ébranlé la quiétude morose des derniers instants de la nuit et s'était rué dans la galerie qui menait au terrier. Ses griffes s'apprêtaient à ôter la vie, avec violence, à quiconque, mâle ou femelle, montrerait le bout de son nez. »
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Alors qu'en est-il de l'histoire, me direz-vous ? J'y viens.
C'est au moment où Mandrake prend le pouvoir que Brin-de-Fougère, le héros de notre histoire, voit le jour, dans les profondeurs du bois de Duncton, dans le nord du pays de Galles. C'est un petit être solitaire et sensible auquel le lecteur s'attache très vite.
Sous le règne de Mandrake, les temps de paix, de quiétude, de douceur laissent la place à un climat d'incertitude, de vulnérabilité, de peur, de soumission et d'obéissance : les traditions, le culte de la Pierre sont balayées. Ceux qui s'opposent au dictateur sont éliminés de manière systématique et sanglante.
« Mandrake se pencha pour examiner ses griffes. Les combats et les meurtres les avaient déformées. »
C'est sous la Grande Pierre que Brin-de-Fougère rencontre par hasard la fille de Mandrake, Rébecca. Contrairement à son père toujours habité par la rage et la colère, Rébecca séduit par sa simplicité, son empathie et sa joie de vivre. Juste quelques mots échangés avant que chacun retourne à sa propre vie, mais ces quelques instants, indélébiles, marqueront le début d'un changement dans la vie à Duncton.
« Je l'ai rencontrée sous une averse diluvienne près de la Grande Pierre, au sommet de la colline. Elle était aussi perdue que moi, mais d'une autre façon, et elle m'a touché de sa patte. »
Ainsi commence cette formidable épopée, où les despotes assoient leur autorité par la violence et le meurtre, où les plus sournois attendent le bon moment pour supplanter leur chef, où les plus courageux et les plus bienveillants essaient de rétablir la paix, où l'amour et le bonheur sont à portée de pattes.
Chacun ronge son frein en attendant des temps meilleurs.
« Une douce brise passait parmi les branches, agitant les feuilles des hêtres de telle façon que leur côté le plus brillant captait l'éclat des rayons de la lune. On aurait dit un frisson d'eau dans le ciel. L'astre éclairait aussi le pelage de Bois-de-Houx, qui dans cette clarté paraissait jeune et le poil lustré. Mais, là où se tapissait Rune, dans le repli tortueux d'une racine de hêtre qui courait comme un serpent s'enfoncer dans la marne du sol, l'ombre était dense et noire, et noircissait davantage quand il se mettait à bouger. Ses griffes pénétraient dans la racine du hêtre lorsqu'il regardait le vieillard, tant il brûlait d'envie de le tuer sans plus attendre. »
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La vie dans le sous-bois semble paisible et silencieuse pour qui aiment à s'y promener. Mais cette quiétude n'est qu'apparente et la forêt est bien souvent le théâtre de petits drames. Entre les prédateurs, les mauvaises conditions climatiques, les maladies et les combats pour s'approprier un territoire ou des femelles, les dangers qui les menacent sont permanents.
Les taupes ont développé des compétences surprenantes pour survivre dans un environnement impitoyable et se protéger des dangers. Malgré tout, les jours s'écoulent avec leurs joies et leurs drames. Les saisons défilent et les plus étourdies, les plus malingres, les plus rêveuses, les plus téméraires, les plus rebelles sont assurées de trouver une mort rapide et violente qui ferait passer des frissons dans le dos de quiconque.
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L'auteur a mis tout son talent pour nous dépeindre le bois de Duncton et son atmosphère, parfois légère, ouatée, réparatrice ; d'autres fois lourde, mélancolique, triste, sinistre, funeste, terrifiante.
Les descriptions de la forêt en constante évolution, des plantes et des animaux sont superbes.
« Une douce brise passait parmi les branches, agitant les feuilles des hêtres de telle façon que leur côté le plus brillant captait l'éclat des rayons de la lune. On aurait dit un frisson d'eau dans le ciel. »
L'écriture voyage entre ses différentes ambiances qui offrent un univers tantôt bucolique, mélodieux, coloré, parfumé, lumineux, tantôt sombre, rugueux, menaçant, angoissant, ou funeste. Ainsi, les émotions sont toujours présentes, comme un flot continu, joie, douleur, tristesse et l'on se rend compte à quel point on s'est profondément attaché à ces petits héros, Brin-de-Fougère, Rébecca, Bois-de-Houx, Mekkins, Bourrache, Boswell, Marouette, Rose.
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Pour conclure, après quinze jours de lecture, il m'est difficile de quitter la forêt galloise, le chant des oiseaux, le bruit du vent dans les arbres et surtout, le monde caché des petites taupes de Duncton, mais il faut se faire une raison : d'autres livres, d'autres ambiances m'attendent. Je garderai tout de même une petite pensée pour ce texte touchant.
Paru aux éditions L'Atalante en 1997, ce beau roman animalier n'est plus publié et c'est bien dommage. Je le verrai bien réédité par les éditions
Monsieur Toussaint Louverture, mais c'est une autre histoire.
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Un grand merci à mes babel-ami.es, Dominique (Domm33), Onee-chan (LaBiblidOnee) , Eric (CasusBelli) pour leurs billets qui m'ont orientée vers ce beau récit, véritable méli-mélo d'émotions.