La voie intérieure de la poésie lyrique cède ici aux Voix intérieures, celles mêlées du poète, de la foule et de l'Histoire. Dans sa préface,
Victor Hugo précise son projet poétique :
« le poète a une fonction sérieuse. Sans parler même ici de son influence civilisatrice, c'est à lui qu'il appartient d'élever, lorsqu'ils le méritent, les événements politiques à la dignité d'événements historiques. II faut, pour cela, qu'il jette sur ses contemporains ce tranquille regard que l'histoire jette sur le passé; il faut que, sans se laisser tromper aux illusions d'optique, aux mirages menteurs, aux voisinages momentanés, il mette dès à présent tout en perspective, diminuant ceci, grandissant cela. »
Concrètement, l'évolution des Chants du crépuscule à ce recueil est seulement subtile. Aux engagements parfois passionnés de l'auteur pour certaines situations historiques marquantes se découvre un regard plus détaché et critique. le rôle de pédagogue s'affirme et l'événement ponctuel devient prétexte au sermon du guide, par exemple dans « Sunt lacrymæ rerum », une ode de 400 vers dédiée à Charles X :
« A ce bruit qui jadis vous eût fait rugir tous
— le roi de France est mort ! – d'où vient qu'aucun de vous,
Comme un lion captif qui secouerait sa chaîne,
Aucun n'a tressailli sur sa base de chêne,
Et n'a, se réveillant par un subit effort,
Dit à son noir voisin : — le roi de France est mort ! –
D'où vient qu'il s'est fermé sans vos salves funèbres,
Ce cercueil qu'on clouait là-bas dans les ténèbres ? »
Et le poète de corriger les torts :
« Vous vous taisez. – Mais moi, moi dont parfois le chant
Se refuse à l'aurore et jamais au couchant,
Moi que jadis à Reims Charles admit comme un hôte,
Moi qui plaignis ses maux, moi, qui blâmai sa faute,
Je ne me tairai pas. Je descendrai, courbé,
Jusqu'au caveau profond où dort ce roi tombé ;
Je suspendrai ma lampe à cette voûte noire ;
Et sans cesse, à côté de sa triste mémoire,
Mon esprit, dans ces temps d'oubli contagieux,
Fera veiller dans l'ombre un vers religieux ! »
On comprend que les critiques contemporains de
Victor Hugo lui aient souvent reproché la prétention revendiquée de ses ambitions. Sans doute également ne trouvaient-ils pas de satisfaction poétique à lire ses
poèmes –ce qui est également mon cas. Les
poèmes sont souvent longs, parfois musicaux dans leur écriture formelle mais provoquant rarement la secousse véritable du rythme cardiaque. Lorsqu'ils sont courts, ils empruntent souvent aux lieux communs de la poésie lyrique, oubliant au passage de les densifier à nouveau. et ne transmettent pas de véritable émotion.
Les Voix intérieures méritent quand même lecture pour qui souhaiterait connaître l'évolution de la conception poétique de
Victor Hugo entre les Chants du crépuscule et
les Rayons et les ombres. On y présent également la relative nouveauté d'une poésie aux strates temporelles ajoutées : entre l'antiquité virgilienne et le fantasme de siècles apocalyptiques, les événements de l'actualité contemporaine au poète se muent parfois presque en prophéties.