AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,74

sur 246 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Été 2019, le Monde titrait: "La sixième extinction de masse est en cours..."

Un rouge-gorge! "Il était là, si vif. Si menu. Il me regardait de son oeil timide et noir."
Et dans cette confusion d'ailes autour de la mangeoire, "le rouge pivoine d'un bouvreuil sur fond de neige... Les sittelles, cendrés et lavés surlignés d'un long trait noir... Et puis un pinson!"

Pamina se souvient de ce pinson du Nord, "une boule de plumes colorées", acheté à un type, sur les quais de l'Ile de la Cité. Et elle l'avait relâché, ici, dans la montagne. "Si ça se trouve, ce sont ses descendants !"

Pamina et Nils vivent dans les Vosges (comme l'auteure Claudie Hunzinger, nominée pour le prix du Roman d'écologie en 2020)

Dans le Grand Vallon, un renard. " Les yeux aigus, les oreilles rousses, l'effillement démesuré du museau noir, traversant toute la longueur du dos jusqu'au bout du toupet..."Et enfin "un grand cerf, un cerf cathédrale, un cerf de légende !"
Il bramait peu, restait dans sa sapinière infranchissable, si majestueux que les biches venaient à lui, tout naturellement sans qu'il ait à se battre."

La chasse était ouverte depuis le 1er août. Et Pamina apprend que des cerfs et une biche ont été... tirés.
Une biche !
Dans la forêt, un petit faon, un "Bambi" demande d'une voix apeurée : Maman?

On ne parle pas de bêtes tuées, mais tirées. On ne dit pas massacre mais... régulation!
"La dévastation de la Terre avait touchée la petite parenthèse où je vis. Ça s'est produit sous mes yeux". Interview de Claudie Hunzinger pour Littérature.green"
Commenter  J’apprécie          12111
Un grand bol d'air pur, de nature et d'espaces de liberté...J'ai fait la connaissance de cette auteure avec une autofiction, qui m'avait enthousiasmée, il y a quelques années. Je voulais nommer "La Survivance"... pour poursuivre avec autant de plaisir avec "La Langue des oiseaux"...Et voici le troisième écrit de cette écrivaine que je débute avec entrain !...

"Dans mon sac, il n'y avait pas seulement Lucrèce. Les albums du Père Castor aussi. Je les avais tous gardés et emportés là-haut. -Froux, le Lièvre, Panache, L'Ecureuil. Et il y avait Francis Ponge. Et c'était comme si j'avais pris avec moi beaucoup mieux que des jumelles, dont d'ailleurs je me suis longtemps passée, comme si j'avais pris avec moi de quoi scruter La nature des choses et la fabrique du pré. Ils faisaient la paire, Lucrèce et Ponge pour illuminer l'intérieur de notre maison pourrie d'humidité, une vraie caverne "(...)(p. 29)

Un roman, toujours plus autofiction que fiction pure, car Claudie Hunsinger y met beaucoup de sa propre vie, entre cette vie à l'écart dans la montagne , librement choisie il y plusieurs décennies, le goût de la nature et la passion de l'écriture. Dans ce texte, après les avoir ignorés, elle se met à s'intéresser aux cerfs qui vivent dans leur coin reculé... depuis toujours. Elle rencontre Léo, un jeune photographe, fasciné par ces animaux, qui il va lui apprendre à les comprendre... à savoir devenir invisible, à l'affût... dans l'attente et le silence... Une sorte de fable dans le réel... qui induit aussi moult réflexions, constats sur les questions de protection de notre planète, sur notre monde actuel, fort mal en point...

Un monde où les compromis s'accumulent...et où, en dépit de nos volontés , de nos convictions profondes, on se retrouve un jour ou l'autre les mains salies...ou par si nettes que l'on aimerait croire ! Un très beau texte où la nature est au premier plan, son souci qu'on la préserve... sans omettre les mots amoureux, admiratifs de la narratrice pour son mari,Nils, l'homme qu'elle aime, anticonformiste et complice de
toujours... !

"Alors, comment fait-on quand on veut écrire le roman du réel , aujourd'hui ? Quand on veut l'aborder frontalement ? Comment parler du monde et de ce que l'écrivain y a découvert et qui le ronge, puisque c'est le monde d'aujourd'hui qui le passionne, qu'il veut connaître et faire savoir ? Ce monde qu'on hallucine, les yeux grands ouverts.
Oui, comment fait-on ?
En passant outre.
Et en recomposant le réel pour qu'il ait la force de la fiction qu'il est. Même si la fiction reste indéchiffrable. Même si on n'a rien résolu. Même si quand on ouvre la main, on voit ses doigts touchés d'un sang qu'on n'arrive pas à essuyer en le frottant avec la manche de son pull. Même si on en éprouve un étrange effroi. "(p. 186)

J'aime très fort les textes de Claudie Hunzinger, remplis de poésie, d'amour pour Dame Nature, passionnée de belles choses, ainsi que de son travail d' ECRITURE... A tout cela, une admiration et une reconnaissance sans bornes pour le mari, compagnon "complémentaire" , complice toujours présent...et bienveillant !
Commenter  J’apprécie          570
Ce roman, un hymne à la liberté et à la sauvagerie, enchantera les amoureux de la nature et contemplateurs de la vie sauvage.

L'histoire de Pamina, la narratrice, qui vit dans le massif Vosgien en compagnie de Nils son mari, nous entraîne sur la trace des grands cerfs et de leurs hardes qui peuplent les futaies secrètes de ces forêts. C'est au contact de Leo, photographe animalier, qu'elle découvre sa passion pour ces animaux fabuleux. Elle va découvrir les nuits passées dans des affûts pour apercevoir l'un ou l'autre de ces grands cerfs jusqu'à l'oubli de soi devant tant de beauté, de majesté. Elle va épouser le parti de l'animal sauvage contre celui de l'ONF qui pense exploitation du bois et rendement ou encore celui des chasseurs chargés par l'ONF de tirer les bêtes qui saccagent les arbres. La course pour les trophées est aussi la quête des chasseurs et le ramassage des mues le passe-temps de beaucoup
Peu à peu, Pamina va constater le changement de comportement de Leo. Est-il toujours du côté des cerfs, lui qui les connait tous et leur donne des noms inspirés de la mythologie comme Apollon ou Paris ou des légendes celtiques comme Arador ou Merlin ? Ou bien sa complaisance envers les chasseurs cache-t-elle des aspirations moins nobles ? Pamina, elle, a choisi, elle se sent proche de ces animaux traqués, victime elle-même d'un monde en constante évolution où le vivant compte moins que le confort matériel. Retranchée dans sa ferme loin de l'agitation des villes, elle observe les oiseaux qu'elle nourrit et, dans son approche des grands cerfs, cherche une complicité avec l'animal.

On avance dans la narration par petits bonds, avec des détours où l'on rencontre l'écrivaine Fabienne Jacob, ou encore Petitdem la plasticienne, mais toujours on en revient à la quête quasi obsessionnelle de ces grands animaux, à leur observation minutieuse. On découvre aussi leurs moeurs durant le brame, on apprend le nom de leurs bois, andouillers, cors, on découvre la fonction du velours, cette peau qui vascularise les bois et dont le cerf se débarrasse en frayant contre le tronc des arbres. Ces termes techniques se rapportant à la zoologie s'intègrent bien à la tonalité du récit.
J'ai terminé cette lecture enivrée et curieuse de cette nature sauvage qui vit à nos portes et dont j'ignore presque tout.

Commenter  J’apprécie          372
"Les grands cerfs", est un bien beau roman, porté par une très belle écriture ! C'est un véritable hommage à la beauté et à la noblesse de la nature, qui sonne comme une ode à la grandeur et à la liberté menacée. L'écriture de Claudie Hunzinger, est sensible et efficace ; et elle sait décrire toute la beauté des régions vosgiennes. On sent sa passion pour la nature, et en particulier les cerfs, ces beaux et nobles seigneurs de la forêt...
Le personnage principal est infiniment attachant, avec son amour des cervidés, qui m'a tout de suite ému, plu et séduit.
Le propos de Claudie Hunzinger, est aussi un propos très large, sur l'homme et le danger qu'il fait peser sur la biodiversité.
Un roman d'une grande beauté et d'une grande élégance, qui m'a davantage plu qu'"Eden", de Monica Sabolo, ou que, "La panthère des neiges", de Sylvain Tesson, qui sont simillaires, à bien des points de vue !... A ne pas manquer.
Commenter  J’apprécie          360
Les hommes et les femmes passionnées ont parfois d'étranges passe-temps. Un de mes amis s'est passionné pour les zouaves pontificaux, étrange non ! Un autre pour les Morgans, ces voitures dont la carrosserie est en bois.
Ainsi les grands cerfs, peuplent les yeux de Claudie, et tous les animaux qui hébergent ses quartiers.

À l'affût dans une cabane aménagée, ou à observer les oiseaux comme les Pinsons du Nord, elle décide d'écrire ce qu'elle voit et ce qu'elle découvre d'incroyable malgré son âge. Partir sur les chemins à la rencontre de Jack London, ou se laisser guider par son humeur, va devenir une véritable passion, de celles qui ne s'épuisent jamais, comme la traque des grands cerfs, qui connaît plusieurs saisons et de multiples facettes.


Claudie Hunzinger en se retirant dans les alpes, avec son mari Pils aux Hautes-Huttes, vont bientôt être porteur du virus des cervidés ou grands cerfs, qualifiés parfois de grands bois.

"À l'étage des forêts, l'air avait retrouvé son goût, poivré, quand soudain, dans mes phares, un tonnerre de beauté a traversé le chemin d'un bond, pattes rassemblées, tête et cou rejetés en arrière, ramure touchant le dos, proue du poitrail fendant la nuit, écrit-elle page 11."

Passé le choc de la découverte de ces animaux incroyablement ramifiés et branchés, Claudie, est alors prête à écouter son mentor Léo, qui lui a donné un surnom Pamica. Léo avec enthousiasme et patience lui fera découvrir l'étendue des signes de présence et des habitudes de ces animaux farouches et fiers.


Claudie était sûre que c'était Wow, l'un des cervidés les plus intelligents, les plus habiles à se dissimuler, ou à sentir la présence des hommes.
Claudie découvre qu'il y a deux façons de s'y prendre pour approcher ces grands cerfs soit à l'approche soi à l'affût.
"A l'approche on se glisse dans les forêts, on avance, on dérange, on surprend, on fait fuir. A l'affût on attend."


Découvrir toutes les habitudes du clan, à propos desquelles son ami Léo a pu entrevoir la personnalité de ces redoutables combattants, est devenu une inépuisable addiction pour Claudie. Léo attribut des noms aux grands cerfs pour enrichir leur personnalité, comme Geronimo, Apollon, Prador, Merlin.

Le moyen le plus sûr pour distinguer chaque animal, c'est la ramure. Tenir dans ses mains un bois d'Apollon est un événement émouvant et rare. Celui-ci un bois simple et puissant, très ouvert c'est un 14-cors. Cette passion est une passion dévorante, qui instaure un dialogue, comme si l'animal lui aussi apprenait à vous connaître,


Comment concilier alors les objectifs de l'ONF, Office national des forêts qui impose, oriente, le nombre d'animaux a tuer chaque année, cerfs, biches, chevreuils, pour consolider une gestion rentable de la forêt.
Comment répondre à de telles injonctions, avoue Léo.


Cette symbiose avec la nature, dans cette montagne oubliée, s'exprime dans la vie de Léo et de Pamica, de façon très poétique ponctuée par la rencontre de multiples espèces sauvages.

Claudie vibre aux majestueuses allures des princes des forêts, elle devient plus tragique quand la survie des hôtes de ces bois, est menacée par L ONF, et ses adjudicataires les chasseurs.
Les prendre sous sa protection, et se battre au côté de Léo, se cacher, traquer comprendre devient comme une forme ultime d'hommage à la nature.
Commenter  J’apprécie          364
Excellent moment passé avec Claudie Hunzinger, un de plus, dans ses forêts alsaciennes. Cette auteure me donnerait presque envie de tout plaquer pour aller vivre en forêt, moi la fille des plaines et des montagnes, qui se nourrit d'horizons lointains.

Claudie et les grands cerfs … Quel magnifique animal, fascinant et mythique .. Il est d'ailleurs présent dans toutes les mythologies du monde (j'exagère peut-être, disons qu'il est présent dans beaucoup de civilisations), probablement à cause du renouveau annuel des cors, ou de la forme de ceux-ci, qui semble faire le lien entre la terre et le cosmos, ou encore peut-être à cause des sons graves et envoutants de leur brame (qui personnellement me rappellent le chant du violoncelle), qui ont le chic de me remuer les entrailles.

L'auteure partage avec nous les heures séances d'affût, dans la brume automnale, et sa joie intacte d'enfant de trouver une ramure abandonnée. Elle réussit à écrire un récit, mêlé de suspens (avec même une intrigue) et d'opinions (bien tranchées, les opinions d'ailleurs). Bref le bouquin idéal pour s'informer, se distraire et surtout réfléchir sur le monde en devenir…

Puissions-nous faire en sorte que ce monde enchanteur et merveilleux continue longtemps encore après nous car je crois cette témoin privilégiée qui nous dit « On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage : il va mieux sans nous. »
Commenter  J’apprécie          310
2015 : je découvre par je ne sais quel hasard (mais les hasards existent-ils vraiment?) le livre de Claudie Hunzinger : La Survivance. Coup de foudre ABSOLU. Je profite de quelques vacances pour trimbaler toute ma petite famille en Alsace et tenter de retrouver la fameuse « Survivance », une vieille métairie perchée dans la montagne. Livre ouvert dans une main et bâton de marche dans l'autre, j'ouvre la route tandis que mes quatre gamins s'égaillent joyeusement dans le massif du Brézouard, à six heures à cheval, comme le dit l'auteure, du couvent d'Issenheim, au bord de la plaine du Rhin.
J'ai pris des notes, consulte régulièrement mon bout de papier, nous perds, nous reperds et à chaque virage, je crois voir au loin la vieille maison en ruine que mes deux Robinson-libraires, personnages du roman La Survivance, ont décidé d'acheter après avoir vendu à contre-coeur leur librairie-maison de la vallée. Ils sont partis avec leur âne, leur chienne, leurs bouquins de Kafka, Walser, Bolano et Sebald, oui, ils sont partis au bout du monde, loin de la société de consommation et des Black Fridays en veux-tu en voilà. Loin. Près des cerfs, des hérissons, des chenilles dévoreuses et des buses aux serres jaune d'or. L'eau pénètre parfois dans la maison. La température peine à grimper. Ils ont froid. Mais tant pis.
Ils sont heureux. Ils lisent le de natura rerum de Lucrèce et c'est bien là l'essentiel.
Mes enfants finissent par oublier le but de notre grande balade. Ils ont soif et faim et froid. Des gosses, quoi. Quant à moi, je sens que je ne suis pas loin de cette vieille métairie du 18e siècle, qu'elle est là à la lisière de cette forêt, cachée derrière ces arbres que je vois au loin. Elle est là, j'en suis certaine...
Quel immense plaisir j'ai eu à retrouver « La Survivance » (appelée « Bambois » dans un précédent livre, puis « Hautes-Huttes » dans Les grands cerfs…) Il faut dire que les mots et les phrases de Claudie Hunzinger, je les goûte comme parmi les plus beaux écrits actuels : ils disent la nature, les plantes, les animaux, l'air, les arbres, la neige comme on ne sait plus les nommer.
Ils nous montrent ce que l'on ne sait plus voir. Et moi-même, ancienne citadine mutée depuis fort longtemps dans le fin fond du bocage normand et vivant maintenant à l'orée d'une immense forêt, ces mots m'apprennent à voir la beauté qui m'entoure, ce que j'ai refusé de faire pendant longtemps, perdue que j'étais d'avoir été parachutée au bout du monde… Maintenant, je SAIS que je vis au coeur de cette beauté mais il m'a fallu les mots de Claudie pour VOIR le monde où je vis et l'aimer…
Revenons à ce merveilleux livre Les grands cerfs. Il m'est arrivé, il y a quelques années de cela, tandis que je me promenais en forêt avec Onyx, mon chien, de me retrouver nez à nez avec un cerf, certainement poursuivi par des chasseurs. Il était resté immobile à quelques mètres de moi. Nous nous étions regardés, puis il avait repris son chemin. Mon pauvre chien vieillissant n'avait fort heureusement rien vu du spectacle. J'en ai gardé un souvenir puissant comme si j'avais assisté à une apparition. Depuis, j'aime retrouver dans les textes littéraires l'image du cerf. Cela me fascine. du Saint Julien l'Hospitalier de Flaubert à Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel, l'animal s'est emparé de mon imaginaire.
Dans son dernier roman (oui, je sais, j'ai encore fait un petit détour) la narratrice, Pamina, qui vit dans la montagne avec son compagnon Nils, s'est liée d'amitié avec un certain Léo, photographe animalier. Celui-ci passe tout son temps, jumelles au cou, à guetter des cerfs dans une cabane d'affût.
« À l'approche, on se glisse dans les forêts, on avance, on dérange, on surprend, on fait fuir. À l'affût, on attend. »
Initiée, guidée par cet homme, et affrontant des températures peu clémentes, elle va découvrir tout un monde qui lui était jusque là étranger : celui des cerfs, des clans, des traces, des excréments qui disent tant de choses, des odeurs, de la repousse, de la perte des bois, du brame, du vent qu'il faut avoir pour soi, de leur larmier qui n'a rien à voir avec des larmes… Un monde nouveau et fascinant s'ouvre à la narratrice...
Seuls les mots de Claudie Hunzinger sont capables d'exprimer avec autant de justesse et de poésie toute la beauté d'une horde de cerfs, de leurs folles ramures aux 12 ou 18 cors, de leurs terribles rivalités. Les voir, les observer, les nommer… Comment s'appelle celui qui a l'oreille gauche coupée net ? Est-ce le Vieil Apollon ? Et l'autre et son double maître andouiller ? Est-ce Wow, Arador ou bien Pâris ?
La narratrice se fond dans la nature, devient la nature, devient le cerf.
« C'était ça le but. le but et le délice. le délice de ne pas me sentir assignée à résidence dans le genre humain, mais de m'en affranchir pour m'élargir, m'augmenter dans une sorte de bond vers la nuit, y affronter un air si âpre que j'en tremblais. »
« Je découvrais à quel bord j'appartenais. À celui des proies. Étrangeté amplifiée par le genre qui m'incarnait, comme si depuis toujours le féminin et l'animal allaient ensemble, passionnément, dans le même qui-vive. »
Allez, je ne résiste pas à l'envie de vous livrer la page 73, si belle, la voici : « C'était devenu une obsession. Contempler des cerfs. J'aurais aimé approcher leurs présences, connaître leurs pensées, pénétrer leurs méditations, dormir dans leurs yeux, écouter dans leurs oreilles, me glisser dans leur mufle, être leur salive verdie du suc des herbes, frémir sous leur pelage, bondir dans leurs muscles, m'enfoncer profondément dans leurs sabots, dans leur fonds d'expérience, parcourir le temps qui existe et le temps qui n'existe pas, nager dans les vapeurs qui montent des prairies ou dans celles qui montent des grottes, cinq cerfs nageant dans la brume aux parois de Lascaux, porter le poids de leur couronne, connaître une seconde, une seule, leur souveraineté, la mêler aux branches des forêts traversées, ne plus savoir si je suis cerf ou forêt en train de nager, de bondir. D'exister. »
Silence...
Mais ce dont nous parle l'auteure, c'est aussi des oiseaux qui disparaissent. Et des insectes. Elle se rend compte qu'elle est témoin de la fin d'une époque. Un témoin impuissant. Et terrifié.
« En dix ans. Ça s'est passé en dix ans. Sous nos yeux. Et j'en ai pris conscience seulement cet été-là. En dix ans, quelque chose autour de nous, une invention, une variété de formes, une extravagance, une jubilation d'être qui s'accompagnait d'infinis coloris, de moirures, d'étincelles, de brumes, tout ça avait disparu pour laisser place à un monde simplifié, appauvri, uniformisé, accessible aux foules et aux masses où les goûts se répandaient comme des virus. Et ce n'était pas un phénomène cloisonné mais un saccage général. »
Et puis, il y a les chasseurs et les gardes forestiers de l'ONF... Et ce Léo, l'initiateur, le guide. Quel est son camp ? le sait-il lui-même ?
Un texte sublime qui dit toute la beauté du monde.
Celle que l'on peut admirer.
Pour combien de temps encore ?
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
Commenter  J’apprécie          293
"Un tonnerre de beauté", telle est la première métaphore pour désigner l'un de ces êtres magnifiques qui donnent son titre au nouveau roman de Claudie Hunziger. Cette apparition nocturne, dans la lumière des phares le 29 octobre 2017 va déclencher une nouvelle étape d'un processus né de la rencontre avec un photographe animalier se consacrant uniquement aux cerfs, Léo.
Ce dernier a demandé à la narratrice -qui ressemble fortement à l'autrice-,des années auparavant, l'autorisation d'installer un affût sur un terrain des Hautes-Huttes, nouvelle appellation à ce lieu retiré ,parfois appelé Bambois dans d'autres textes de Hunziger. A commencé alors une amitié en pointillés, Léo toujours sur la réserve, pendant laquelle le photographe a distillé ses connaissances sur les différents cerfs de ce coin des Vosges.
La narratrice , fascinée par la beauté des cervidés, prend aussi conscience des enjeux économiques qu'ils représentent pour des intérêts contradictoires: ceux des chasseurs et ceux de l'Office National des Forêts. Intérêts contradictoires mais ayant quand même pou runique résultat la destruction des cerfs.
Ce roman est une splendeur, par la langue, à la fois ultra précise concernant le vocabulaire spécifique lié aux cerfs, que poétique. C'est à un véritable bain de nature que nous convie Claudie Hunziger, bain alarmiste toutefois car l'autrice tire aussi la sonnette d'alarme sur la disparition des espèces animales et végétales, qu'elle a pu elle-même constater en une dizaine d'années.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Commenter  J’apprécie          200
Lecture très poétique qui m'a emporté au coeur de la forêt, du bruissement des arbres, du brame des cerfs, du son des oiseaux, ...
Mais il m'a bouleversé dans les trophées des chasseurs et surtout les intérêts économiques de l'ONF. Elle adopte un point de vue plutôt neutre entre ces deux instances : faut-il privilégier la vie des cerfs ou celle des forêts ?
Ce livre nous laisse un gout amer quant à ces deux questions essentielles mais elle décrit tellement bien cette nature, la montagne, les différents cerfs, les différents gazouillis des oiseaux qu'elle sait reconnaître.

Je me suis reconnue dans la beauté observée des cerfs quand j'aperçois dans la réserve naturelle juste derrière mon jardin les quelques chevreuils qui viennent brouter, les jeunes qui sautillent comme des cabris. le temps se suspend devant cette beauté sauvage, qu'il faut préserver à tout prix.

Et le dimanche, entendre ces coups de fusils ...une horreur , et j'espère tout comme Pamina les revoir le lendemains matins par la fenêtre de ma cuisine.

Une bel ôde à la nature, qui nous fait réfléchir.

Un grand merci à Netgalley et Grasset !
Commenter  J’apprécie          192
« Look what they've done to my song ma
Well it's the only thing
That I could do half right
And it's turning out all wrong ma »

Voilà le plan :
« le village, puis le chemin sombre dans la forêt sombre, prendre à gauche la voie indiquée par une pancarte « SANS ISSUE », ou plutôt sans issue générale, une voie qui s'écartait de la tyrannie du nous, du nous-politique, du tous-ensemble, prendre donc la voie barrée à franchir ; voie qui sentait l'aventure, le vent et les secrets, qui sentait la singularité, la ferveur singulière, la découverte de soi, du monde, la voie du libre; voie qui menait droit à un endroit clandestin bourré de connaissances ésotériques ... »
Un très beau voyage dans lequel il ne faut pas craindre d'être trempés, essorés, lacérés par la pluie. C'est peut-être ça le vrai voyage, comme le dit l'auteure : « survivre au froid, à la peur. »
Pour perdre la notion du temps.
Être à l'affût de la splendeur.
Contempler la liberté.
La noblesse. La splendeur.
Savourer.
S'éveiller.
Prendre conscience de l'appauvrissement de notre monde.
S'en émouvoir...
Se faire invisible pour voir l'invisible,
Curieuse d'un monde inépuisable de détails et de précisions.
« [...] ce n'était pas poète seulement qu'il fallait que je sois pour le livre que j'avais commencé à bâtir, mais poète de la nature, lui donnant la voix. Ce qui signifiait un autre genre de travail. Des précisions. Des faits. Tout, scientifiquement exact. La science comme méthode, mais avec l'aide de Vénus, son aide sensible, amoureuse, passionnée, si je voulais obtenir un soulèvement des consciences. »
Un excellent moment de lecture, qui respire la nature et qui m'a davantage touchée que le prix Femina 2022 "Un chien à ma table". La narration y est un poil moins fluide j'ai trouvé.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          140




Lecteurs (525) Voir plus



Quiz Voir plus

Un chien à ma table

Comment s’appelle le lieu-dit où habitent Sophie et Grieg ?

Les Bois-Bannis
Les Bois-Damnés
Les Bois-Maudits

12 questions
14 lecteurs ont répondu
Thème : Un chien à ma table de Claudie HunzingerCréer un quiz sur ce livre

{* *}