Marrakech, années 1970, une jeune jolie sexy prostituée abandonne son enfant né.e intersexué.e à ses parents résidant en médina ; l'enfant âgé de 5 à 6 ans voit les fesses voluptueuses de sa mère s'éloigner à jamais et grandit entre une grand-mère berbère, parlant l'arabe marocain, priant, trompant son époux avec un voisin, suçant le porte-monnaie de son mari pour des dépenses d'apparat, elle se « venge » ainsi de l'avoir arrachée à sa culture, son village, sa famille, sa vie ; et un grand-père, ancien officier français se réfugiant dans l'alcool et la littérature, pour échapper à sa femme, à la vie, se laissant branler par la jeune bonne avant de se retrouver au lit avec elle, sans que l'on sache précisément s'ils baisent ; on suit alors le.la narrateur.rice : éducation à l'école coranique,
Baudelaire en tête Coran aux lèvres, passage au hammam, poussées hormonales en zieutant derrière les moucharabiehs, la vie s'écoule ; à la fin de l'adolescence, le grand-père lui paye le voyage à Paris pour poursuivre ses études, reprise d'une librairie, rencontre buccale avec l'entrejambe d'une marocaine divorcée récemment arrivée ; retour au bled, mort de la mère, balade dans la fange de Marrakech, départ final avec le grand-père pour la ville des Lumières.
Chaque membre féminin d'une famille marocaine cuisine un couscous unique, pourtant les ingrédients restent les mêmes. Huriya n'écrit pas, elle cuisine : une dose de sexe cru + une dose d'apitoiement sur la condition féminine en terre d'Islam + une dose d'arabe marocain (la merguez du couscous qui n'existe qu'en France) inutile (et avec une translittération étonnante, quartier dreb au lieu de derb) comme si au lieu d'écrire directement blanc j'écrivais white, blanc, parce que je raconte un truc qui se passe dans un pays anglo-saxon + la mention de quelques auteurs (pas d'autrices) français,
Proust,
Stendhal,
Flaubert,
Baudelaire, et aussi Tolstoï (lu en français) ; auteurs faciles à citer car même si on ne les a pas lu on peut aisément trouver leur style avec Wikipédia + une dose d'humour, celui des séries télévisées avec rires préenregistrés, manque juste la didascalie « attention rires » + quelques saillies sur les sociétés arabo-musulmanes du même niveau que le discours de
Sarkozy à Dakar, l'Homme Africain et
L Histoire. Cette recette, comme le couscous, plaît aux critiques littéraires. Huriya rejoint ainsi une nouvelle cohorte d'écrivain.e.s marocain.e.s qui fascinée par la langue de
Molière, seule clé vers l'émancipation, essaye de se faire une place dans la production littéraire moderne en oubliant ses contemporains.
Vers la page 200, je compris que le récit tournait en boucle, que les incohérences prenaient le dessus : un carré musulman dans un cimetière marrakchi, une berbère illettrée parlant l'arabe (encore aujourd'hui dans les zones montagneuses, malgré les nombreux accès goudronnés, des femmes berbères ne parlent pas l'arabe) et priant dans les années 1970 (la multiplication des mosquées, la montée du rigorisme musulman au Maroc est beaucoup plus récente, fin du 20° siècle ; le fait que le vendredi entre la prière de la mi-journée et celle de la fin de l'après-midi les villes soient quasiment mortes est très neuf), le retour à Marrakech avec changement de tenue dans les toilettes de l'aéroport pour passer d'un sexe à l'autre (je ne connais pas une toilette publique marocaine sans personnel, même dans les souks de campagne où il y a parfois des toilettes officie une personne qui est loin d'être aveugle), que l'autrice réglait des comptes plus qu'elle écrivait et c'est son droit le plus absolu. On nous parle d'un récit sur le mensonge, le sujet aurait été beau si l'écriture, la capacité à séduire au sens de conduire à l'écart, vers des lieux inconnus, avaient été au rendez-vous.
Idée saugrenue et a-démontrable que la littérature d'expression française, car c'est bien de cela qu'il s'agit ici, aurait des vertus libératrices, surtout pour les Femmes ; discours redondant et lassant sur l'oppression des femmes du Maroc, leur maintien en servilité. Tous ces romans actuels marocains qui se contentent de dénoncer superficiellement sans aborder la complexité, l'histoire de la place de la Femme dans la société marocaine actuelle et pas seulement ce que l'on perçoit dans les grandes agglomérations qui semblent faire croire que le Maroc a un pied dans la « modernité » occidentale. La réduction de l'émancipation de la Femme, de son désir à être l'égale des Hommes, à l'utilisation forcenée de son entrejambe, sans parler des descriptions du corps féminin comme les orientalistes les plus ringards les faisaient. Un regard sur la femme, une conception de la beauté au féminin que l'on retrouve dans des clips, comme « beauté marocaine » sur YouTube.
Comparer la phrase proustienne à la longueur et la finesse des jambes est affligeant :
" Je [le grand-père français] suis proustien, dit-il aussi.
- C'est quoi être proustien ? [l'autrice enfant]
- Être proustien, c'est ne pas avoir des jambes courtes et dodues, comme ta grand-mère. Tu verras plus tard, une longue phrase proustienne, c'est comme une belle femme. Ça doit évoquer des jambes longues, fines et interminables. Ça doit évoquer des formes sensuelles, une cambrure, une chute de reins et des seins bien arrondis. Une phrase proustienne c'est comme une femme qui te donne l'envie d'aller jusqu'au bout. C'est ça être proustien. »
En effet, grand-mère n'est vraiment pas proustienne avec ses babouches, ses gros seins et ses fesses énormes. Ça ne donne pas envie d'aller jusqu'au bout. Je comprends que grand-père préfère se réfugier dans ses livres. »
Je sais, rien qu'en lisant cela, ce qu'est une « belle femme », pas celle qu'on aime, celle qui traînasse sur les panneaux publicitaires, merci Huriya.
Enfin l'autrice évoque la bonne Aïcha. Il est exact que dans les années 1970 la bourgeoisie marocaine utilisait (pas employait) et encore aujourd'hui, de toutes jeunes filles issues des campagnes comme bonne à tout faire avec toute la dégueulasserie que sous-entend « bonne à tout faire » ; honnêtement je n'ai pas senti qu'Huriya dénonçait les liens de dépendance sexuelle entre Aïcha et son grand-père proustien, peut-être qu'être proustien c'est aussi, pour Huriya, se faire branler par la domesticité, dans ce cas MeToo n'est pas proustien.