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EAN : 9782070738229
98 pages
Gallimard (24/03/1994)
4.11/5   9 notes
Résumé :
«Les événements du monde, depuis des années, autour de nous, proches ou lointains – mais plus rien n'est vraiment lointain, du moins en un sens, si plus rien n'est proche non plus –, l'Histoire : c'est comme si des montagnes au pied desquelles nous vivrions se fissuraient, étaient ébranlées ; qu'ici ou là, même, nous en ayons vu des pans s'écrouler ; comme si la terre allait sombrer.
Or, quand à cela, quant à l'Histoire, nul doute : il s'agit bien – ce qu'on ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique

Philippe Jaccottet, sans doute le dernier des grands poètes français du 20ème siècle encore vivant. Français, en fait francophone puisque ce poète est natif de Suisse romande, mais vit en France depuis 1946, et s'est établi à Grignan en 1953, où il réside toujours à plus de 95 ans. Jaccottet, qui fut aussi un traducteur éminent d'auteurs allemands et italiens.

Dans ce recueil qui date de 1994, le poète s'exprime dans la forme si originale qui est devenue la sienne à partir des années 1970 et du recueil « A la lumière d'hiver. »

Une prose fluide, musicale, simple, sans lyrisme affecté, s'efforçant de saisir le mot juste, et non le mot rare, l'invisible derrière le visible, l'instant éphémère et incertain, une prose dont le discours n'est pas métaphysique, mais qui pourtant nous parle de ces choses essentielles, la mort, l'amour. Et d'une façon merveilleuse de la nature dans tous ses états. Parfois ce discours en prose alterne avec, ou bien se termine par des vers libres.

C'est le cas du poème qui donne son titre au recueil, « Après beaucoup d'années », un poème magnifique, avec une première partie en prose qui oppose, en cette fin de siècle (le recueil date de 1994) aux montagnes sinistres « des camps d'anéantissement.....de la pullulation des guerres... », aux montagnes immenses de l'Histoire de l'humanité, ce peu de choses qu'est l'histoire intime de chacun de nous et notamment de «quiconque écrit ou lit encore ce qu'on appelle la poésie » et se trouve capable de voir autre chose, « ce qui est vu autrement, ce qui est vu, en quelque sorte de l'intérieur, bien que vu au dehors ».
Puis suit un texte en vers libres, d'une beauté extatique, dont je joins sur le site la citation, et qui se termine, et c'est la fin du livre, par ces phrases mystérieuses :
«Et pour dernier office, enfin:
replier seulement ces pages, ces étoffes,
et qu'on n'entende plus, né de ce soin,
qu'un froissement, très loin, de l'air. »
Une sorte de dernières notes de l'adagio du concerto 21, ou du concerto 23 de Mozart.

Le reste du recueil est fait de poèmes tous aussi beaux qui sont une sorte d'approche poétique, cherchant à cerner le sens, à discerner « l'autre chose» du réel de la nature, mais aussi à évoquer en quelques mots, le passage du temps, le malheur et la mort. Il y a notamment le merveilleux texte « Eaux de la Saulve, eaux du Lez », qui dit le bondissement de torrents nouveaux au printemps, un texte d'une grâce infinie, qui vous transporte d'allégresse, et se termine ainsi: « Eaux prodigues, et qui ne reviendront jamais sur leurs pas. »
Et puis, « Au col de L'arche », «Les pivoines », «Une couronne », « Deux ébauches » «Notes nocturnes », où se trouve ce texte émouvant en vers libres:

« Il y avait (dans une chambre
où nous ne sommes plus)
un lit désordonné,
à croire que la nue brûlante
l'avait défait
comme on déchire une chemise.

Plus tard viendront les larmes,
celles qui cousent une fois pour toutes
le fourreau de drap rêche. »

C'est très beau, méditatif, empreint de sérénité et de mystère, et puis aussi, ça chante, ça vous transporte et ça vous calme, ça vous rend meilleur.
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"Après beaucoup d'années" est un recueil de 1994 de Philippe Jaccottet, cueilli sur les quais de Seine par un dimanche de printemps.

En cette époque de ruines et d'anéantissement, où l'avenir est obscur et la vue bouchée, le regard autre de Philippe Jaccottet est resté intact, sur les chemins de cette écriture sans mensonges imprégnée de sensibilité, de nature et des textes anciens, parcours poétique où la modestie affleure. J'aime cette plume qui semble parfois tant se méfier d'elle-même, plume limpide de celui qui se voit comme un "dérisoire survivant".

Dans une interview, Philippe Jaccottet disait : "Mes poèmes sont toujours nés un peu tout seuls comme la chaleur dans une casserole d'eau qui produit des bulles. Presque paresseusement."

Les bulles poétiques éclatent avec le réveil de la nature, l'éblouissement du printemps qui ne rend pas aveugle mais bien, plus affûté, oeil ouvert, esprit et plume déliés. La plume de Philippe Jaccottet est empreinte de délicatesse comme celle du grand Bashô, quand la terre et les fleurs côtoient le plus haut, quand le regard voit loin dans les choses si proches, quand le regard capture ce qui brûle dans la vie, ce qui est invisible, les émotions-racines de la nuit, et enfin les images de la vie enfuie.

Eaux de la Sauve, eaux du Lez (extrait) :
"On pourrait presque croire qu'elles rient, que leur hâte est façon de rire. Mais, pas plus que leur hâte n'est anxiété ou frénésie, leur rire ne serait insolent, ou simplement moqueur.
Elles auraient appris à rire, comme les chèvres, dans les rochers, la pierraille, à l'ombre des derniers aigles.

Si je me laissais aller, j'en ferai volontiers l'attelage scintillant du Temps.

Elles ont bondi, comme ce que l'on aurait tenu trop longtemps serré dans un poing de pierre ou de glace.

Messagères dépêchées des crêtes, petites-filles du long hiver, coursières trop longtemps bouclées dans leurs noires écuries de pierre.

Ce sont les eaux du Lez, en avril, au gué dit de Bramarel. On les regarde encore un instant avant de rentrer chez soi : brèves, et comme éternelles. Quand on se tourne vers l'ouest, on voit qu'elles s'évasent, qu'elles s'élargissent à la mesure du ciel, dont la lumière éblouit.

Eaux prodigues, et qui ne reviendront jamais sur leurs pas."
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Tout à la fin de l’hiver
Il y a ceci encore de fidèle
Autant que les premières fleurs

Une fraîcheur comme de neige très haut dans le ciel,
une espèce de bannière
(la seule sous laquelle on accepterait de s’engager).

une espèce de fraîche étoffe qui se déplierait
au plus haut, comment dire?
indubitable! Bien qu’invisible dans le bleu du ciel,
aussi sûre que chose au monde que l’on touche.

Je ne sais pas, je ne sais quoi dire
sinon que cela semble, un soir se déplier très haut,
hors de la vue,
même pas se déplier:
être là, être grand ouvert
(ce n’est pas assez ou c’est trop dire,
mais on ne peut ni l’oublier, ni le taire)

Un mouvement de toile, très haut; presque hors de ce monde,
qui produirait ici de la fraîcheur
sur votre front.

Ce n’est pas de la neige,
ce n’est pas une bannière blanche ou bleue
ni rien qu’on puisse vraiment déployer :
il n’y a pas de place aussi haut pour rien de tel,
pas même pour la colombe!

Et c’est pourquoi aussi cela pourrait échapper
à toute espèce de chasseur.

(si les visages de ces ombres qui passent ici
sont pareillement tristes,
serait-ce d’être devenus aveugles à ce qui ne peut se voir?)

Et pour dernier office, enfin:
replier seulement ces pages, ces étoffes
et qu’on n’entende plus, né de ce soin,
qu’un froissement, très loin, de l’air.
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Oui: c’est la lumière qu’il faut à tout prix maintenir. Quand les yeux commencent à n’y plus voir, ou rien que des fantômes, rien que des ombres ou des souvenirs, il faut produire des sons qui la préservent, radieuse, dans l’ouïe. Quand celle-ci défaille, il faut la transmettre par le bout des doigts comme une étincelle ou une chaleur. Il faut essayer de croire que, de ce corps de plus en plus froid et fragile (dont souvent on aimerait mieux se détourner) est en passe de s’enfuir à tire-d’aile une figure invisible dont nos oiseaux familiers, le rouge-gorge, la mésange, ne seraient que les turbulents ou craintifs reflets dans ce monde-ci.

Une fois toute repliée la lumière du monde
qui nous empêchera d’aimer la servante invisible
commise au coin de ces piles et de ces plis?
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Nuages roses, bientôt nuages de suie, comme tout feu.
Dernière inflorescence, qui ne pèse ni sur l’horizon ni sur les yeux, dernière douce inflammation, incarnat laissé insaisi; la dernière de ce jour, ou de la vie.
La dernière rose, incueillie.
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Au col de Larche
AU-DESSUS DE NOUS



Extrait 1

… / …

  Au-dessus de nous, au-dessus de nos yeux, là où la pente se faisait encore plus abrupte et les obstacles à leur course plus hérissée, de vraies herses de pierre, elles se montraient tout à fait blanches, et plus drues, au point qu'on aurait parfaitement pu les croire, en cette venue de la nuit, une coulée de neige, si la neige n'était du silence amoncelé ; alors qu'elles, elles explosaient, qu'elles tonnaient avec impétuosité, fougueuses, au milieu de ces herbages troués d'antres de marmottes.
  Plus haut encore, tout à fait en haut, se dressaient des bastions, des forteresses (il y en avait même une à proprement parler, signalée sur la carte et désertée, à coup sûr, depuis longtemps, comme vides étaient les cimes).
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A tel ou tel endroit du ciel
c’est toujours, aux mêmes saisons
les mêmes cierges qui brûlent,
le rituel qui jamais ne change
même si ce sont d’autres visages
qui s’inclinent.
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Vidéo de Philippe Jaccottet
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L'Odyssée existe dans de très nombreuses éditions, je vous recommande la traduction magnifique de Philippe Jacottet, en poche, aux éditions La Découverte.
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