Eh bien quel livre ! Issu de la mouvance néo-polar fin 70 /début 80 inaugurée par
Jean-Patrick Manchette (je crois bien), "
la mariée rouge" s'implante dans cette tendance à inscrire l'intrigue criminel le dans le tissu social contemporain le plus décomposé :auto défense, délinquance sauvage, chômage, fascisme rampant, corruption politique, affairisme véreux, diktats des marchés etc.
Ce qui différencie Jaouen de ses pairs, c' est l'extrême crudité et l'extrême style.
La crudité ici est édifiante. Témoin ce début où un flic compulse un jeu de clichés ignobles qui résument la sauvagerie à venir. La violence de ce récit de 1979 est d'une atrocité qui se situe loin de la veine de romans plus récents critiqués pour leur violence (je pense à des livres comme "les Bienveillantes" ou "le Programme Lazare" , pour n'évoquer que deux titres qui m'ont récemment choquée). Non, il s'agit d'une atrocité brute et banale, que n'atténue aucune perspective tragique ou philosophique et qui ne peut renvoyer qu'à un monde vide de sens. D'ailleurs l'histoire, si on peut dire, est déparée de tout romanesque, de tout lyrisme. Il s'agit d'une relation de faits divers plus vrais que nature, avec cette seule touche dramaturgie qu'ils vont se rejoindre pour une apothéose odieuse où le tout sera plus grand que la somme des parties. Une scène de viol si ignoble que je me suis sentie gênée de la lire, comme un boomerang de sororité dans la tronche...
Le style ensuite. le name-dropping avant la lettre, la noirceur proche de
Jim Thomson ("1275 âmes" notamment au lu de ce défilé de personnages et de silhouettes médiocre, où pas un n'en prend pour son grade), l'ironie constamment aux aguets, le passage en toute fluidité du passé composé au futur, l'inventivité des expressions, l'uppercut des métaphores, les enchaînements de phrases dynamiques et suprenants:
Hervé Jaouen est juste un grand écrivain. Certes certains détails ont vieilli. le fascisme ne se dénonce plus avec ces grosses ficelles. La France décrite fleure une absence totale d'immigrés. Les "dancings" ont vécu. Mais qu'importe ce chromo de France giscardienne: le style demeure au fil des années. Et que dire, toujours surprenante, d'une intrigue ultraviolente qui se déroule entre Quimper, Huelgoat et Riec sur Belon, parangons des clichés cuculs laridalonlaires ? Rien qu'une pincée de monstruosité en plus qui vous ramènera à une vision adulte de la Bretagne, pour qui connaît le passé farouche, riche et violent de cette civilisation -je n'ai pas dit : cette province loin des nunucheries auxquelles on persiste à l'associer.
Oui,
la mariée rouge est plus qu' une sublime saloperie:de la littérature au delà des étiquettes fugitives.