LIRE, HIC ET NUNC !
«Ce livre se propose de mettre en exergue le rôle fondamental que jouent encore les bibliothèques dans notre société, et de montrer que les "bibliothécaires" parviendront toujours à transmettre des livres aux lecteurs. Depuis l'essor du mouvement égalitaire international "Little Free Librairy" (dont la devise est : "prenez un livre, rendez un livre") jusqu'au développement des bibliothèques d'hôtels de luxe, que l'on soit dans une station de métro au Chili, sur un bateau fluvial au Laos, dans une yourte en Mongolie, ou que l'on reste chez soi, on peut toujours trouver, fort heureusement, un bon livre qui ne demande qu'à être lu.»
C'est en ces termes que s'exprime dans son éclairante introduction le journaliste britannique
Alex Johnson. Les bibliothèques, ça le connait : ses deux parents ne sont-ils pas eux-mêmes bibliothécaires ? L'homme était ainsi tout indiqué pour faire à la fois une tournée mondiale - un peu rapide sans aucun doute, tant le sujet est vaste - mais cependant dominée par un tour d'horizon très, très, très anglo-saxon, avec une dominante américaine puis britannique. Mais comment lui en vouloir puisqu'il est anglais ?
En ces temps de réflexion lancée par l'actuelle ministre de la Culture (et éditrice) Françoise Nyssen avec comme "ambassadeur" l'écrivain
Erik Orsenna, ce petit ouvrage donne quelques directions, quelques idées originales qu'il ne serait pas vain d'apprécier, peut-être d'imiter, du moins de servir de source d'inspiration, plutôt que d'imaginer qu'en ouvrant plus et plus tard on contribuera à régler le problème de la lecture dans notre pays... Mais laissons-là nos têtes pensantes penser et dépenser pour nous autres, pauvres mortels, et plongeons-nous plutôt dans ces expériences tour à tour ravissantes, telle cette bibliothèque d'un complexe hôtelier thaïlandais, véritable tricot de bambou à la forme de raie manta, ou à cette émouvante bibliothèque éthiopienne tirée par des ânes. Il y a, bien entendu, ce vaste mouvement d'abandon volontaire de livre, les "Little Free Librairy", qui tiennent plus, reconnaissons-le, de l'échange que de la bibliothèque au sens strict, mais qui est une manière de faire circuler le livre et la lecture.
Il y a encore toutes ces bibliothèques ambulantes, voguant au gré des flots à travers les îles de Finlande où, pour le plus grand bonheur de ces enfants du bout du monde, sur les eaux limoneuses du Mékong, au Laos. Il y a encore des bibliothèques bus, des bibliothèques pousse-pousse, des bibliothèques taxi, des bibliothèques chameau, des bibliothèques éléphant ; il y a encore des bibliothèques immenses, devenues de véritables lieux de vie sociale, communautaire, populaires et intellectuels tout à la fois ; il y a des micro-bibliothèques, n'emportant que le minimum lisible vital - parce que pour beaucoup, même parmi les plus déshérité, la lecture peu s'avérer aussi nécessaire que le boire et le manger - ; il y a ces bibliothèque de station de métro (qui semble être une typicité du monde hispanique et hispano-américain, mais quelle excellente idée !), ces bibliothèque d'aéroport, ces bibliothèques sous tente de fortune (durant le mouvement "Occupy Wall-Street") ; il y a toutes ces bibliothèques présentes dans des lieux méconnus, oubliés ou inattendus, bibliothèques de pub, d'hôpital, de prison ou encore à même le sol des rues.
On regrettera cependant qu'à force de survol, l'ouvrage ne prend jamais le temps de s'arrêter pour aller un peu plus dans la profondeur des exemples donnés. On pourra aussi estimer que ces bibliothèques d'hôtels de luxe n'ont d'autre véritable sens ici que de faire rêver, à la manière de ces brochures de mobilier de luxe, sans rien apporter à la réflexion qui sous-tend ailleurs, à savoir comment donner (et non "faire") à lire, partout, à n'importe quel public (et, principalement, vers tous ceux pour qui le prix ou l'accès au livre sont compliqués voire impossibles sans la médiation des bibliothèques), et avec des moyens qui vont du somptuaire parfois tape-à-l'oeil au plus humble mais toujours immensément généreux.
On regrettera un peu ce choix très déséquilibré - selon nous - entre expériences américaines (plus d'un tiers des exemples auxquels il faut ajouter les exemples britanniques, moins nombreux mais plus détaillés) tandis que les pays du tiers monde sont très rapidement survolés, de même que l'Asie. Quant à l'Europe, c'est surtout celle du Nord qui est visitée (le seul exemple français n'est même pas explicitement signalé... comme étant lyonnais, par exemple). Admettons que nous avons beaucoup de créativité à libérer en la matière mais il est étrange de voir si peu de créations venant d'Afrique tant nord saharienne que sub-saharienne, tandis que le continent fourmille pourtant d'idées et d'énergie à défaut, trop souvent, de moyens.
Pas grand chose non plus sur les ONG qui promeuvent la lecture et les livres à travers le monde. Tandis que l'auteur se penche très largement sur des expériences très "arty" un rien élitistes que l'on eut trouver aux USA en particulier, du moins dans les exemples qu'il donne. Quant ce ne sont pas tout simplement des bibliothèques strictement privées, modèle de design pour "happy-few" fortunés... Les résultats sont sans aucun doute esthétiquement superbe mais c'est strictement décoratif.
Pour résumer, un ouvrage à l'idée séduisante, passionnante-même, mais qui souffre d'une part d'être l'un de ces trop nombreux ouvrages maquettés pour un public anglo-saxons et dont les éditeurs français se contente de faire des traductions sans aucune espèce d'adaptation. D'autre part de survoler sans profondeur ce monde éminemment fascinant dès lors qu'on traverse les frontières. Enfin, mais l'idée était sans doute de demeurer économiquement abordable, son petit format carré ne permet pas de donner avantage des belles prises de vues réalisées, les cantonnant à de la photo de type magasine de déco.
Au final, un pur "coffe table book" comme le disent nos voisins britanniques : un livre pour table à café, que l'on ouvre et lit distraitement, sans véritablement prendre le temps de s'appesantir. Sympa, mais anecdotique.