Instrumentaliser des aliens ? Mauvaise idée.
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Ce tome est le premier de la nouvelle série consacrée à Alien, après la reprise de la licence par l'éditeur
Marvel Comics en 2021. Il regroupe les épisodes 1 à 6, initialement publiés en 2021, écrits par
Phillip Kennedy Johnson, dessinés et encrés par
Salvador Larroca, avec une mise en couleurs réalisée par les studios
Guru-EFX. Les couvertures ont été réalisées par InHyuk Lee. Il contient également les couvertures variantes réalisées par
David Finch,
Patrick Gleason, Larroca (*3),
Steve McNiven, Peach Momoko,
Todd Nauck,
Ron Lim,
Skottie Young,
Stéphanie Hans,
Carlos Pacheco,
Adam Kubert,
Philip Tan,
Olivier Coipel,
Ken Lashley, Valerio Giangiordano,
Mico Suayan,
Jay Anacleto,
Leinil Francis Yu.
En janvier 2200, à bord de la station orbitale de recherche et développement Epsilon, Gabriel Cruz est en train de parler à l'androïde psychologue Bishop : il évoque son cauchemar récurrent. Il se trouve à bord d'un vaisseau spatial, et il ressent les ténèbres comme étant papables, pas simplement l'absence de lumière. Il fait face à une dizaine d'aliens et parmi eux se trouve une forme féminine, une véritable déesse bien plus supérieure à eux, et pourtant elle l'a remarquée. Cette fois-ci, Gabe se souvient d'un détail supplémentaire : juste avant tout ça, Sears a indiqué qu'il allait prendre des jours de congés. Mais il ne sait pas ce que cela veut dire, c'est juste qu'il pense plus à la mort ou à la fin au moins. La séance est finie et Cruz se lève ne disant que c'était vraisemblablement la dernière et que Bishop va lui manquer. Ce dernier indique que non : l'entreprise Weyland-Yutani suit ses retraités et il y a d'autres conseillers sur Terre. Cruz pourra aller consulter un autre psychologue sur Terre, dans lequel les fichiers de Bishop auront été transférés. Il pourra même retrouver un autre modèle Bishop. Il est important de continuer car la femme dans ses rêves a une signification.
Gabriel Cruz se rend ensuite à sa cérémonie de départ, où le discours est prononcé par Ted Reynolds. Juste après, Gabe prend la parole pour expliquer qu'il va prendre sa retraite sur Terre, pour s'occuper de sa famille. En février 2200, Danny Cruz arrive en voiture devant la propriété de son père. Sa copine Iris Humphries le rassure : il va réussir à parler avec lui, mais aussi le Mouvement a besoin de lui et il faut qu'il récupère les données que son père doit avoir gardées. Elles doivent se trouver dans un dispositif de stockage qu'il conserve vraisemblablement dans le tiroir de sa table de nuit. Il sonne à la porte. Son père lui ouvre, et ce dernier le serre dans ses bras. Puis le fait rentrer dans l'immense pièce qui sert de salon. Il le félicite sur le fait qu'il continue à se maintenir en forme, et sur son emploi stable à bosser comme responsable de sécurité pour une boîte de logiciels. Il lui demande s'il joue toujours aux échecs. Son fils Danny lui répond que c'est son autre fils Lucas qui pratiquait les échecs. Son père s'excuse : il était en mission quand c'est arrivé, une mission qui est partie en sucette. Danny lui dit que ce n'est pas grave. Il ne souhaite pas repenser à ça. Il demande s'il peut aller aux toilettes.
Le film Alien, le huitième passager est sorti sur les écrans en 1979, réalisé par
Ridley Scott. Depuis il est devenu une franchise, avec des suites cinématographiques, des romans des jeux vidéo, des croisements avec la franchise Predator, et des comics. C'est l'éditeur Dark Horse Comics qui commence à en publier avec une suite au premier film en 1988, épisodes réédités par
Marvel Comics dans Aliens Omnibus Vol. 1. le xénomoprhe est devenu un genre et s'est un peu banalisé. Il n'en est que plus difficile d'écrire une histoire originale dessus. Néanmoins, Marvel ayant acheté la franchise, une nouvelle série ne pouvait guère tarder. le lecteur de comics sait que la première histoire sera vraisemblablement la plus intéressante, car les responsables éditoriaux vont faire en sorte d'y affecter des auteurs bien qualifiés pour attirer le chaland. de fait, le scénariste reprend la trame classique : un alien dans un vaisseau, avec une petite variation car il s'agit ici d'une station orbitale. L'artiste donne à voir son interprétation des monstres dès les pages 2 & 3, et c'est impressionnant. le coloriste sait trouver le bon degré de ténèbres pour que les dessins restent lisibles sans difficulté, avec un contraste brutal quand les coursives sont inondées du rouge de la lumière d'alerte. Chaque créateur a disposé du temps nécessaire pour réaliser une intrigue et des pages assez denses, pour que le récit ne se limite pas à des courses-poursuites, des échanges de coups de feu et d'éventration.
Salvador Larroca a donc fort à faire : reprendre l'esthétique des films, que ce soient les aliens, mais aussi les vaisseaux, les uniformes, établir un environnement de science-fiction, réaliser des séquences d'action vives et brutales, avec une saveur horrifique. Il reste dans une veine réaliste presque photographique, avec un bon niveau de description. Il utilise des traits de contour très fins pour des formes parfois un peu géométriques pour les décors, vraisemblablement du fait de l'usage d'un logiciel de modélisation 3D. le studio
Guru-eFX réalise une mise en couleurs très sophistiquée en apparence naturaliste : modelage des surfaces par des variations de teintes, ambiances lumineuses, effets spéciaux discrets, rehaussage du contraste en différents plans de l'image, etc. Au fur et à mesure, le lecteur peut relever que de temps à autres, ce studio joue un peu avec les teintes, pour une touche d'expressionnisme. Grâce à ce travail, les cases n'en sont que plus riches, mêmes les quelques-unes qui auraient paru vides sans les couleurs, le lecteur peut aisément se projeter dans chaque lieu : les bureaux, les couloirs, les laboratoires de la station orbitale, la magnifique maison de Gabriel Cruz avec un salon d'une surprenante complexité. Les personnages correspondent à des êtres humains à la morphologie normale, sans exagération anatomique, avec des tenues conformes à celles des films, et cohérentes avec leur occupation du moment.
Comme dans tous les comics, l'artiste doit mettre en scène une séquence d'action par épisode. Il sait comment concevoir son plan de prise de vue pour créer une tension et un suspense, pour montrer la violence (un coup de feu à bout portant, faisant éclater la tête d'un garde), ainsi que la progression et les déplacements des combattants. Comme beaucoup d'autres avant lui, Larroca se heurte à deux obstacles. le premier est qu'il ne maîtrise pas le rythme de lecture et qu'il ne peut donc pas accélérer un passage comme il le souhaite pour prendre le lecteur par surprise. Il s'en sort bien avec des actions ramassées sur une page pour condenser l'action, et ainsi donner la sensation d'un rythme plus rapide. La deuxième difficulté réside dans le fait que tout le monde connaît déjà les xénomorphes, et qu'il n'y a plus de surprise sur leur apparence, sur leurs caractéristiques physiologiques (leur sang acide), ou leurs différentes phases de vie (les face-huggers). Il ne peut pas non plus surprendre le lecteur avec ces éléments. Il ne peut donc que se reporter sur l'horreur corporelle, sans trop en abuser non plus, au risque de l'affadir, ou de transformer le récit en une débauche de gore. Il parvient à un juste équilibre. le scénariste est lui aussi confronté à ce deuxième obstacle. le lecteur sait déjà que ramener des aliens à proximité de la Terre est une erreur colossale, et que plusieurs humains successifs vont devoir s'y coller pour combattre ces créatures que rien n'arrête, et vraisemblablement y laisser leur peau.
Il se produit donc une forme d'affrontements mécaniques : les humains y vont, se retrouvent face à un ou plusieurs aliens, tirent dessus, avec trois résultats possibles : le tuer (mais ça semble toujours un peu facile), le blesser (c'est reculer pour mieux sauter) ou y laisser leur peau. À partir de là, le scénariste doit concevoir un scénario soit avec une intrigue forte, soit avec un thème fort. Pour ce dernier cas, il s'agit souvent d'opposer la capacité de la biologie des xénomorphes toute entière consacrée à la perpétuation de l'espèce, à la pulsion de vie de l'être humain. Kennedy Johnson a plutôt choisi de construire une intrigue solide, avec des personnages un peu développés. Gabriel Cruz souffre donc d'un syndrome de stress traumatique dont la cause est révélée dans ce premier tome. Son fils est embringué dans un groupuscule luttant contre l'hégémonie du consortium Weyland-Yutani. Il y a une sorte d'alien femelle anthropoïde qui semble s'intéresser à Cruz. Ça ne suffit pas tout à fait à constituer une histoire vraiment originale. La progression de l'intrigue est bien menée, avec la mission inéluctable à bord de la station orbitale Epsilon et la découverte de ce concocte réellement son laboratoire, ainsi que l'antagonisme entre Cruz et Iris Humphries, alors qu'ils devraient plutôt faire front commun contre les aliens.
Une nouvelle série comics sur les aliens de
Ridley Scott, Dan O'Bannon,
Hans Ruedi Giger,
Walter Hill : Marvel reprend la licence et met une solide équipe de créateurs sur le coup. Ce premier tome est bien fait, en cohérence avec la mythologie du xénomorphe, avec une intrigue solide, et une mise en images soignée. Malgré tout,
Phillip Kennedy Johnson,
Salvador Larroca et le studio
Guru-eFX ne se montre pas tout à fait assez ambitieux, restant au niveau du film d'action, ce qui manque d'originalité.