Le site “La bibliotheque russe et slave” est une mine d'or pour ceux comme moi qui ne dedaignent pas les ecrans. J'y ai trouve ce livre dans une belle traduction parue en 1893 dans “La societe nouvelle, vol.1”.
L'auteure,
Sofia Kovalevskaia, n'est pas “un” des grands ecrivains russes du 19e. siecle, c'est “un” des plus grands mathematiciens russes, hommes et femmes confondus, c'est la premiere femme a avoir obtenu un doctorat en mathematiques, c'est, dans son vecu, une grande revolutionnaire, en fait une grande feministe, qui aurait pu peut-etre compter parmi les grands ecrivains russes si elle n'etait morte jeune, a l'age de 41 ans.
Ce roman lui sert a ventiler ses idees, progressistes diront les uns, revolutionnaires diront d'autres. Il met en scene Vera, une jeune russe de petite noblesse, juste apres l'abolition du servage. Elevee dans la peur de l'avenir, ses parents delaissent son apprentissage mais elle a la chance de rencontrer un intellectuel banni de Saint Petersbourg et exile dans son coin de campagne. Amuse par elle, charme en fait, il lui donne a lire d'autres livres que “La vie des martyrs", son seul livre jusque la, et lui inculque des idees progressistes et une comprehension plus aiguisee de la societe russe, au grand dam de ses parents. Sous son influence elle finira par fuir vers la capitale, chercher sa voie, pour finir s'affilier a un groupe de jeunes contestataires, marier l'un d'eux pour le sauver d'une peine de mort, et le suivre dans sa deportation en Siberie.
Si la premiere partie du roman est un peu bucolique, l'arrivee de Vera a Saint Petersbourg plonge de suite le lecteur dans les convulsions politiques russes de la fin du 19e. siecle. La description du proces de jeunes revolutionnaires est saisissante, l'auteure reussissant, comme si elle le placait dans une caisse de resonnance, a en extraire un cri. “L'image de douze vieillards caducs prononçant un verdict impitoyable et fauchant à la racine le bonheur et l'avenir de soixante-quinze jeunes vies, cette image se perdait dans le brouillard et laissait à chacun l'impression d'une amère ironie”.
Ce n'est pas etonnant que le livre ait ete interdit en Russie a l'epoque. Et je me demande s'il n'a pas eu le meme sort plus tard, en des temps staliniens, parce qu'en fait c'est un roman sur le reveil des consciences contre toute oppression, un roman soutenant que l'opposition a un regime pervers est la seule possibilite morale, la seule voie a suivre, quel qu'en soit le prix. Un roman historique dont les conclusions peuvent voyager, au bon vouloir du lecteur, dans differentes epoques, en differentes regions du monde. Un roman emouvant, bien servi par l'ancienne traduction qu'en propose la Bibliotheque russe et slave, de Nadine Kontchewsky. Cherchez-le, et pas seulement parce que c'est gratuit.