UNE SEULE MAIN NE SUFFIT PAS
POUR ÉCRIRE
Une seule main ne suffit pas pour écrire
Par les temps qui courent
il en faudrait deux
Et que la deuxième apprenne vite
les métiers de l'indicible :
broder le nom de l'étoile
qui se lèvera après la prochaine apocalypse
reconnaître entre mille le fil qui ne casse pas
coudre dans l'étoffe des passions
langes, capes et linceuls
sculpter l'aube dans un tas d'immondices
Deux mains ne suffisent pas pour écrire
Par les temps qui courent
et les misères qui grondent
il en faudrait trois, quatre
pour que la vie daigne visiter
ce terrible désert blanc
p.47
LES RÊVES VIENNENT MOURIR SUR LA PAGE
Un à un
les rêves viennent mourir sur la page
Ils se sont donné le mot
ils viennent de partout
pour mourir sur la page
comme les éléphants dans leur cimetière
J’assiste à leurs convulsions
ne peux tendre un verre d’eau
je les regarde pour la première fois
pour la dernière fois
avant de les envelopper dans le suaire de mes mots
et les déposer sur la barque menue
qui fut jadis leur berceau
Le courant les emporte
et bien vite me les ramène
comme si le large n’était pas là-bas
mais ici sur la page
p.32
L'ICÔNE M'EST APPARUE
L'icône m'est apparue
m'a parlé
Elle avait le visage coupé en deux
par le sourire
Ombre et lumière
vice et vertu
Les cheveux étaient une terre rebelle
soumise au couvre-feu
Les lèvres faisaient le tour
du calice de Socrate
Le miel des pupilles n'était pas à boire
L'icône m'a parlé
de la danse du poignard
et des petits pas de l'automne
de la dernière nuit du nomade
dans la civière de l'amour
d'une croix d'or enterrée sous le sein
L'icône est repartie
sur le dos d'un aigle d'acier, à Jérusalem
sans attendre l'an prochain
p.44
LE PAYS S'ÉLOIGNE MAINTENANT
Le pays s’éloigne maintenant
avec ses mouettes orphelines
et sa lourde porte
Il y a
en guise d’aube
une ombre et son sarcasme
L’homme sans tête
court dans le labyrinthe
avec ce qui lui reste de cœur
Dans sa main
il tient l’inutile
une clé souillée
par la guerre et ses mensonges
L’œil
exilé de sa lumière
s’épanche sur le sable
p.31
ABRÉGÉ D’ÉTERNITÉ
Sur le radeau, j'allumerai un cierge
et j'inventerai ma prière
Je laisserai à la vague inspirée
le soin d'ériger son temple
Je revêtirai de ma cape
le premier poisson
qui viendra se frotter à mes rames
J'irai ainsi par nuit et par mer
sans vivres ni mouettes
avec un bout de cierge
et un brin de prière
J'irai ainsi
avec mon visage d'illuminé
et je me dirai
ô moitié d'homme, réjouis-toi
tu vivras si tu ne l'as déjà vécu
un abrégé d'éternité.
p.59
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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