Le premier volume, consacré à la correspondance de
Sony-Labou-Tansi avec José Pivin, de 1973 à 1976, et avec Françoise Ligier, de 1973 à 1983, est une extraordinaire introduction à l'ensemble de l'oeuvre de l'écrivain. Toute une philosophie de l'écriture et de la vie – ces deux termes ne sont pas loin d'être synonymes pour
Sony-Labou-Tansi - anime ces lettres envoyées aux deux personnes qui l'ont accueilli en France, lors d'un séjour organisé en été 1973 pour les besoins d'un feuilleton radiophonique présentant les réactions d'un jeune Africain se rendant pour la première fois en France. Ce séjour estival dans le Midi chez Françoise Ligier, et en Bretagne chez José Pivin, joue le rôle de référent vital pour l'écriture :
« À quel point je les revois : la pendule, les chaises, le chat, Lala, tous. Dagot. Les murs. La photo. C'est étourdissant vois-tu ? C'est assassinant la belle douleur de manquer tout ça. St-Leu. Je me suis cloué des trucs que j'aime violemment. Tous ces mots ; c'est des morceaux de moi ; ça ne tombe pas ; ça ne reste pas. Jeu de cellules. C'est vivant José ces mots-ci. Sont pas morts. C'est des guirlandes d'anguille ; tous vivants. Ça m'ajoute. J'écris avec la photo sous les yeux » (vol. I, p. 34).
Les lettres qu'envoie
Sony-Labou-Tansi sont de redoutables forces d'appel à la vie. Il écrit à ses correspondants au nom d'une expérience partagée qui les lie à lui, en dépit de leurs silences parfois prolongés que Sony se refuse obstinément de comprendre.
Sony-Labou-Tansi a passé sa vie à lutter contre l'inertie des mots. Ce combat était pour lui pleinement politique. Lui, le jeune Congolais encore inconnu au début des années 1970, ne ménage pas ses correspondants lorsqu'il surprend chez eux des propos attendus ou conventionnels, lorsque leur langue tourne au slogan, lorsqu'ils « cèdent à leur gueule ». Sony est toujours pleinement présent dans ce qu'il écrit, c'est la condition de son écriture, il ne fait aucune concession à ce qui n'est pas lui. Ce moi depuis lequel écrit Sony n'est certainement pas la petite personne que le système social voudrait profiler (l'Africain, le professeur, ou, pire, l'intellectuel…) mais un conglomérat de viande et de mots, un mixte de chair et d'émotions qui cherche à crier son expérience unique du monde.
Un véritable écrivain se reconnaît au fait que ceux qui ont rencontré son oeuvre deviennent des initiés, qui sauront se battre contre les grands déterminismes éditoriaux pour la faire vivre envers et contre tout. La publication de trois livres d'inédits de
Sony-Labou-Tansi, dix ans après la mort de l'écrivain congolais, est le signe que cette oeuvre est encore active, qu'elle commence à peine à parler au monde. Un volume de correspondance, trois recueils de poésie et un roman, voilà la matière de ces trois livres édités par
Nicolas-Martin-Granel et
Greta-Rodriguez-Antoniotti
On comprend que ces trois livres ne sont pas des compartiments supplémentaires dans l'oeuvre publiée de S. Labou Tansi, mais vont directement au coeur de cette oeuvre. On sait que le cloisonnement de la littérature en genres littéraires distincts a peu de pertinence à ses yeux. On pourrait aller plus loin et se demander si l'idée même de littérature a un sens. Seule l'écriture pour lui compte, et celle-ci absorbe tout. Une écriture gratuite, paresseuse ou lâche est pour lui proprement scandaleuse, elle participe de la mise à mort du monde, contre laquelle il se bat.
Écrire est un acte politique, tout comme respirer, pour celui qui a compris qu'il n'est limité par aucune possession, et surtout pas par des idées.
Sony Labou Tansi n'en veut pas aux idées mais à ceux qui s'imaginent les posséder. Les mots, au contraire, sont à la disposition de tous, ils ouvrent à la démesure, ils sont les molécules d'air de l'écrivain.
https://etudesafricaines.revues.org