Chœur des cèdres du Liban.
Aigles qui passez sur nos têtes,
Allez dire aux vents déchaînés
Que nous défions leurs tempêtes
Avec nos mâts enracinés.
Qu'ils montent, ces tyrans de l'onde,
Que leur aile s'ameute et gronde
Pour assaillir nos bras nerveux !
Allons ! leurs plus fougueux vertiges
Ne feront que bercer nos tiges
Et que siffler dans nos cheveux !
Fils du rocher, nés de nous-même,
Sa main divine nous planta ;
Nous sommes le vert diadème
Qu'aux sommets d'Éden il jeta.
Quand ondoiera l'eau du déluge,
Nos flancs creux seront le refuge
De la race entière d'Adam,
Et les enfants du patriarche
Dans nos bois tailleront l'arche
Du Dieu nomade d'Abraham !
C'est nous quand les tribus captives
Auront vu les hauteurs d'Hermon,
Qui couvrirons de nos solives
L'arche immense de Salomon ;
Si, plus tard, un Verbe fait homme
D'un nom plus saint adore et nomme
Son père du haut d'une croix,
Autels de ce grand sacrifice,
De l'instrument de son supplice
Nos rameaux fourniront le bois.
En mémoire de ces prodiges,
Des hommes inclinant leurs fronts
Viendront adorer nos vestiges,
Coller leurs lèvres à nos troncs.
Les saints, les poètes, les sages
Écouteront dans nos feuillages
Des bruits pareils aux grandes eaux,
Et sous nos ombres prophétiques
Formeront leurs plus beaux cantiques
Des murmures de nos rameaux.
Dans l'extase de joie où son coeur s'abîmait,
Il lui semblait que tout aimait ce qu'il aimait,
Que tout, autour de lui, partageait son ivresse.
Or c’était dans ces jours où le souverain Juge
À peine retenait les vagues du déluge,
Quand tout être voisin de sa création,
Excepté l’homme, était dans sa perfection.
La lune dans le ciel, pâle sœur de la terre,
Comme aux bornes des mers la voile solitaire,
S’élevait pleine et ronde entre ces larges troncs,
Et, des cèdres sacrés touchant déjà les fronts,
Semblait un grand fruit d’or qu’à leur dernière tige
Avaient mûri le soir ces arbres du prodige.
De rameaux en rameaux les limpides clartés
Ruisselaient, serpentaient en flots répercutés,
Comme un ruisseau d’argent, qu’une chute divise,
En nappes de cristal pleut, scintille et se brise ;
Puis, s’étendant à terre en immenses toisons,
Sur les pentes en fleurs blanchissaient les gazons.
On voyait aux lueurs de la nocturne lampe
Des files de troupeaux gravissant une rampe,
Troupeaux qu’une tribu de pasteurs, pris du soir,
Chassait dans le lointain derrière un tertre noir.
Hommes, femmes, enfants, ils s’enfonçaient dans l’ombre.
Cette famille humaine était en petit nombre ;
Sous ce ciel sans ardeur et sans humidité,
Seul un léger tissu couvrait leur nudité ;
Les femmes ombrageaient de feuilles leur ceinture
Et se voilaient le sein avec leur chevelure ;
Et les hommes nouaient sur leurs flancs nus les peaux
Des plus beaux léopards, ennemis des troupeaux ;
La taille, la grandeur, la force de ces hommes
Passait l’humanité des âges où nous nous sommes,
Autant que la hauteur de ces arbres géants
Surpasse en vos forêts vos chênes de cent ans.
Leur voix qui s’éloignait mourut dans la distance,
Et tout fut sous le bois solitude et silence.
Il est, parmi les fils les plus doux de la femme,
Des hommes dont les sens obscurcissent moins l'âme,
Dont le cœur est mobile et profond comme l'eau,
Dont le moindre contact fait frissonner la peau,
Dont la pensée, en proie à de sacrés délires,
S'ébranle aux doigts divins, chante comme des lyres,
Mélodieux échos semés dans l'univers
Pour comprendre sa langue et noter ses concerts...
Le cours du fleuve est moins capricieux
Que le coeur d'un enfant pris d'amour par les yeux.
Poésie - Le papillon - Alphonse de Lamartine