Enfin, après un moment interminable, le chef fit entendre sa voix :
- Togoyab, dit-il, et l'atmosphère se détendit d'un coup.
- Clémence, traduisit Orbei dans un souffle. Nous allons vivre.
Batachikhan sauta de sa selle et étira ses membres courts. Gughlug et quelques autres se jetèrent à ses pieds. Le front dans la boue, ils proférèrent d'infinis remerciements. Le chef leur parla d'un ton tranquille, monocorde, puis leur tourna le dos pour aller caresser le front de Zopitok. Ce qu'il ordonna alors fit pâlir les habitants de la Toundoura.
- Que se passe-t-il ? s'enquit Gunnar tandis que Bata- chikhan, rejoint par deux de ses lieutenants, gravissait l'escalier menant à la grande salle de la forteresse.
- Il a donné des instructions pour le banquet de ce soir, révéla Orbei en se mettant debout. Il veut qu'on cuise Zopitok.
Le taureau bossu était une bête sacrée, vénérée par tous les membres de la tribu toundoure. Ils lui parlaient avec respect, le laissaient déambuler à sa guise sans jamais le réprimander pour les nombreuses bêtises qu'il faisait. Pendant notre court séjour à la Toundoura, je l'avais vu verser une dizaine de seaux à lait. Si Zopitok s'endormait au milieu du passage, s'il bloquait une issue, les Toundours s'interdisaient de le déranger, attendant patiemment qu'il se réveille et consente à bouger.
- Je ne pensais pas qu'une telle chose fût possible, dit Orbei.
- Quoi? demandai-je.
- Ordonner l'abattage d'un animal-dieu, aucun chef n'avait jamais osé, je pense. Il ne craint rien, ni les esprits guerriers du peuple toundour ni l'âme furieuse de Zopitok. Batachikhan est un homme fou.
Petit et trapu, Batachikhan demeura longtemps immo- bile sur sa selle de bois, promenant sur nous un regard vide. J'eus froid tout à coup, et je sentis mon cœur se rétrécir. Les bruits de l'armée nous parvenaient du dehors, évoquant le bourdonnement d'une ruche, et le sol tremblait de manière imperceptible. Soudain, Zopitok le taureau, animal énorme et bossu, au pelage noir, poussa un meuglement.
Avec la participation des autrices Caroline Lamarche, Stéphanie Leclerc et des auteurs-illustrateurs Simon Bournel-Bosson, Thomas Lavachery.
Et la classe de 4èmeA du collège Saint-Michel, Guéméné-Penfao (44).
Un grand merci à la professeure Claire Blet.
Avec la participation de Cécile Ribault Caillol pour Kibookin.fr
Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International et du Centre Wallonie-Bruxelles Paris.
Avec la séquence La Tête dans les images
Salah Elmour, Sauvage, texte de Layla Zarqa, trad. de l'arabe Nada Issa, le port a jauni