L'EFFET
LE GUIN
Recueil compilé par l'autrice en 1994, il n'est malheureusement plus disponible en librairie (peut-être les passionnés pourront-ils en obtenir un ultime auprès de l'éditeur manceau ? Rien n'est moins assuré). C'est plus que dommage : l'ouvrage vaut aussi, assurément, pour sa préface intitulée avec ironie «Sur les raisons de ne pas lire de science-fiction», au cours de laquelle
Ursula K. le Guin explique, avec l'intelligence qu'on lui connaît, pourquoi la SF est un genre (plus que) digne d'intérêt d'une part, mais d'autre part, qu'elle réfute cette tendance humaine à la technophilie supposée sauver le monde, tout aussi bien qu'elle nie l'obscurantisme d'avant les Lumières.
Composé de huit nouvelles, ce recueil reprend des textes parus dans diverses revues entre 1983 (pour l'ascension par la face nord, une nouvelle très "gratuite" et très drôle) et 1994 pour la nouvelle titre,
Pêcheur de la mer intérieure, une véritable splendeur digne de
la main gauche de la nuit. Les trois dernières, les trois plus longues aussi, sont directement liées au cycle de l'ekumen par une invention du plus pur
Le Guin, dans le prolongement de l'ansible (procédé permettant des communications immédiates quelle que soit la distance) :
l'effet churten, une manière de rejoindre les mondes en quelques instants sans les effets des théories d'Einstein. L'autrice les reconnait elle-même plus littéraires que scientifiques, mais ils permettent des développements impossibles sans cette théorie de papier.
Comme bien souvent par ailleurs, les textes d'Ursula K le Guin ne prennent toute leur ampleur, tant intellectuellement et intérieurement, qu'après une certaine période de maturation - preuve s'il en est, selon nous, de leur importance littéraire - . Ainsi, cette belle et étrange nouvelle intitulée «La première pierre», condensé très leguinien de philosophie, de poésie, de spiritualité (sans recours à la religion, ce qu'il faut précieusement noter) et d'humanisme féministe dans laquelle on suit l'éveil - dans un sens presque bouddhique du terme - d'une jeune femme dont le peuple, on a envie d'écrire "la race" tant il est fait de différence avec l'élite autoritaire, violente, qui use et abuse de sa toute-puissance à l'égard de cette population, majoritaire, de quasi-serfs. Cette jeune femme, très ingénument, très précautionneusement, va bouleverser le destin des siens, leur donnant une singularité culturelle - autre constante leguinienne - jusque là refusée par les maîtres. Laquelle est, certes, un rejeton de la culture de l'élite, mais qui lui est tellement différente qu'elle en devient originale et suprême. Ne serait-ce que pour cette nouvelle, ce recueil mérite toute l'attention possible... Et il y en a bien d'autres, telle la nouvelle qui donne son titre à cet ensemble.
Ursula K. le Guin a l'intelligence de lui donner, en excellente conteuse, une origine quasi-mythologique, pour le moins légendaire. Puis, de la plonger dans la plus pure
Science-Fiction. Tout en faisant passer le lecteur par des motifs proches à tout un chacun : un amour déçu, des relations mère-fils aussi fortes que complexes, le passage des générations, le rêve (cette fois rendu possible par l'imaginaire) de refaire sa vie en évitant ses erreurs passées, etc. le tout contextualisé dans un univers tout à la fois compréhensible et incroyablement différent, socialement, du nôtre. Car
Ursula K. le Guin niait et illustrait, avec une acuité rare et sa très grande connaissance des peuples dit "premiers", le déterminisme culturel
Alors, bien sûr, cet ouvrage n'est plus disponible dans cette version en librairie. Mais que le lecteur attentif se rassure : quoi qu'en deux volumes au format poche dénués d'explication ou des vivifiantes explications de l'autrice, ce
Pêcheur de la mer intérieure est encore disponible dans les volumes N°67 et 151 des éditions Hélios, sous les appellations respectives de
L'effet Churten et de
Les voltigeurs de Gy. Par ailleurs, que l'on se rassure : ces deux ouvrages sont suivis de post-faces des plus éclairantes. Il n'y a, il n'y aura jamais trop de titres de cette grande dame de la SF traduite dans notre langue !