Briser l'infamant carcan de la présomption de consentement qui pèse sur les victimes
« Dans ce livre, j'emploie le mot victime pour désigner la personne qui a dénoncé les faits, qu'elle ait, ou non, été reconnue par la justice, et agresseurs, violeurs, mis en cause pour désigner l'infracteur nommé par la victime, qu'il ait, ou non, été condamné par la justice ».
« Qu'ont en commun une enfant de onze ans, une femmes de ménage travaillant dans un grand hôtel new-yorkais, une jeune femme ayant participé à une fête populaire dans une ville espagnole, et deux femmes ayant sollicité de l'aide, l'une pour obtenir un logement, l'autre pour effacer une condamnation sur un casier judiciaire ? Elles ont toutes dénoncé des violences sexuelles ». En introduction,
Catherine le Magueresse revient sur des « affaires » où les interactions sexuelles n'étaient pas contestées mais où les hommes arguent d'avoir cru au consentement des femmes, «
le consentement est quasi systématiquement invoqué par les agresseurs pour effacer les violences sexuelles et les métamorphoser en simples relations sexuelles ».
le consentement ainsi utilisé devient un piège pour celles qui osent dénoncer les agresseurs.
L'autrice souligne que la question du consentement sexuel ne devrait pas se poser, « celui-ci est inexistant du coté de la victime et sans objet du coté de l'agresseur ». le code pénal ne définissant pas la notion de consentement «
le consentement de la victime est donc est donc apprécié à l'aune du comportement de l'agresseur ». C'est à partir de la seule expression des hommes que la légalité ou l'illégalité se construit. Les moyens judiciaires et le droit pénal pour lutter contre les violences sexuelles sont profondément imprégnés des préjugés sexistes.
L'autrice propose un rappel historique de la « prise en compte juridique et judiciaire du consentement sexuel dans les situations de violences sexuelles ». Elle discute, entre autres, du poids de la notion de « résistance », de la soi-disant disponibilité sexuelle des femmes, de la faible valeur de la parole des unes, des variations des codes pénaux sur le viol, de l'impunité masculine judiciairement construite, de l'incompétence du tribunal correctionnel pour juger des crimes de viol depuis 1975 et du renvoi en cour d'assises, de la caractérisation du viol comme crime et d'une certaine permanence du droit pénal, des débats autour du viol conjugal ou du consentement des personnes mineures, du vocabulaire accès sur le refus d'une sujette et non sur l'action de l'initiateur.
« Tout contact sexuel touche de facto à l'intimité, il est un franchissement des frontières physiques, et il paraîtrait donc cohérent d'exiger de l'initiateur ou l'initiatrice de ce contact s'assure de la volonté de l'autre de participer, d'autant que lorsqu'ils ne sont pas désirés, lorsqu'ils ne relèvent pas d'une relation de réciprocité, mais de l'utilisation de l'autre, ces contacts sexuels ont des effets dévastateurs sur les personnes qui les subissent ». L'autrice ouvre le débat sur la reconceptualisation des violences sexuelles, la rupture avec la déresponsabilisation des agresseurs, les normes sociales et les victimes blâmées pour leur (non)comportement. « le projet de ce livre est de contribuer à cette réflexion et de proposer des modification du droit »
Dans le premier chapitre,
Catherine le Magueresse analyse « L'indifférence des agresseurs au consentement des femmes », l'inversion des responsabilité, l'absence d'interrogations sur les agissement ou le pouvoir des agresseurs, les manifestations de refus des femmes, « des moyens déterminés par des contraintes spécifiques à chacune et en fonction de la réception de leur refus par les agresseurs », le coût des stratégie de « vigilance » ou d'évitement, « Parce que des femmes osent résister, contester les droits que s'arrogent des hommes agresseurs, elles sont rappelées à l'ordre patriarcal par la violence, quelle qu'en soit la forme ». L'autrice discute du « céder » ou « se laisser faire » (en rappelant que « céder n'est pas consentir » –
Nicole-Claude Mathieu), de la sidération, « l'impression d'assister, en spectatrice, à la scène dans laquelle elle est directement impliquée », des manifestations de refus délibérément ignorées par des hommes, de la culture du viol et du « Droit d'imposer des propos sexistes, droit d'imposer leurs désirs, droit de contrôler les femmes, droit de s'approprier leurs corps »…
Dans le second chapitre, l'autrice analyse Un droit pénal construit sur une présomption de consentement de chacun·e à l'activité sexuelle, la présomption de consentement jusqu'à preuve du contraire, l'intégration par la justice d'un consentement « forcé » ou « extorqué », la soumission obtenue par coercition, la fiction légale et culturelle « qui dispense celui qui initie un contact sexuel » de s'assurer du consentement effectif de l'autre, les représentations collectives de ce que serait la violence, les situations de dépendance et les contraintes, « La notion de contrainte est celle qui permet le mieux d'apprécier les rapports de hiérarchie ou de domination, au coeur des violences sexuelles », l'état de sidération, la notion d'emprise, les violences « non répréhensibles en droit », le comportement de la victime face aux agressions sexuelles au coeur des décisions des juges, l'inversion de culpabilité, « Ces tribunaux n'hésitent pas à poser la norme de ce qui acceptable ou non, au mépris de ce que les plaignantes dénoncent », les visions masculinistes de la « séduction », la volonté d'agresser, les femmes agies comme parti pris du droit pénal, « Objets de « violence, contrainte, menace ou surprise » et non sujets pensants, à même de décider er de choisir, dont la volonté bafouée devrait pourtant constituer le coeur de l'infraction ».
Je souligne les derniers paragraphes de ce chapitre :
* « En ne posant pas clairement qu'en toute circonstances l'accord librement exprimé ou manifesté est un préalable nécessaire à l'activité sexuelle, en ne sanctionnant que les cas dans lesquels il y a manifestement abus, la justice organisa de facto le droit des hommes à disposer du corps des femmes »
* « Compte tenu de cet état du droit pénal, plusieurs propositions ont été avancées afin que la loi garantisse effectivement le droit à l'intégrité physique des personnes. La place donnée au consentement à une activité sexuelle marque une ligne de départage entre entre ces propositions, selon que l'objectif est de se passer d'une analyse du consentement ou, au contraire, de proposer une définition pénale du consentement sexuel ».
Historiquement, les femmes étaient supposées consentir, les homme se passaient d'un consentement clairement formulé. Dans un troisième chapitre,
Catherine le Magueresse discute des « pièges du consentement », des travaux de
Carole Pateman et de
Nicole-Claude Mathieu.
Des travaux importants que l'autrice examine en détail. Elle cite
Carole Pateman, « une relation sexuelle égalitaire ne peut être fondée sur
le consentement », les femmes exclues de la citoyenneté et de l'égalité et paradoxalement perpétuellement consentantes, «
le consentement doit toujours être donné à quelque chose ; dans la relation entre les sexes, ce sont toujours les femmes qui sont tenues de consentir aux hommes » (C.P.). Elle revient sur « le céder n'est pas consentir » de
Nicole-Claude Mathieu, « le mot consentement appliquée aux dominé(e)s annule quasiment toute responsabilité de la part de l'agresseur » (N.C.M.). Comme l'écrit
Muriel Fabre-Magnan, citée par l'autrice, « Sans liberté de dire « non », le « oui » n'est que le signe du renoncement et de la résignation ».
Catherine le Magueresse aborde aussi l'« effet ardoise magique » du consentement dans la justification de la prostitution ou de la GPA. Il convient de confronter la question du consentement à celle « de la liberté et du pouvoir des femmes de se définir, d'exprimer leurs désirs et de les voir pris en compte », les approches basées sur
le consentement ne peuvent que renforcer les asymétries entre les hommes et les femmes. L'autrice discute d'autres approches, modèle centré sur les circonstances coercitives (violences, menace, surprise, contrainte), modèle qui redéfinit le viol comme une discrimination liée au sexe, modèle qui se fonde sur la négociation ou sur la liberté de négocier. Elle souligne les limites de ces propositions pour explorer une autre voie.
Pour une autre définition du « consentement sexuel.
Catherine le Magueresse discute d'une définition qui serve « un objectif de garantie de liberté sexuelle » compris comme la possibilité de choisir d'avoir ou non une activité sexuelle, de l'interrompre à n'importe quel moment, d'en définir les modalités.
« Contribution à la réflexion sur le rôle et la part du droit pénal dans la lutte contre les violences sexuelles, ce chapitre se focalise sur le sujet du consentement. Il me paraît nécessaire de définir légalement cette notion et les critères d'un consentement valable afin de servir les perspectives d'émancipation des femmes ». L'autrice précise que « les développements qui suivent, fruits de travaux de recherche et mon expérience professionnelle, ne sont en rien définitifs. Ils comportent des propositions, soulèvent des questions, sont un appel à une réflexion commune. Ils visent en outre davantage à poser des lignes directrices qu'à présenter des solutions prêtes à l'emploi ».
En regard de ses engagements internationaux et européens, l'État français est en infraction, la demande de l'Onu est d'en finir avec la présomption de consentement, l'absence de consentement comme élément constitutif de la définition du viol. En regard des différentes législations, l'autrice souligne, entre autres, la nécessité « de recueillir l'accord explicite et librement communiqué de l'autre en préalable à une activité sexuelle, et tout au long de celle-ci », la notion de « viol par négligence » (sanction des situations dans lesquelles l'absence de consentement est établie, mais l'intention de violer absente),
le consentement positif, l'objet du consentement, les résistances politico-juridiques aux changements légaux, les stéréotypes maintenus de la « bonne victime »…
Le chapitre cinq est consacré aux mineur·es, aux exemples de
Vanessa Springora ou de Julie.
'autrice aborde, le présumé consentement des mineur·es à toute activité sexuelle, le délit d'atteinte sexuelle, « une échappatoire taillée sur mesure pour les pédocriminels », les disqualifications de viol en délit jugé par un tribunal correctionnel. Elle propose de « poser un interdit légal à toute forme de sexualité entre adulte et mineur e » – Jamais un enfant ne peut donner un consentement éclairé à des relations sexuelles avec un adulte –.
Certain·es proposent de poser une présomption de contrainte pour les personnes majeures commentant un acte sexuel sur mineur·e (sous un âge déterminé, le seuil de 13 ans souvent avancé reste totalement inadéquat) ; d'autres que la minorité soit un élément constitutif de l'infraction de viol ou d'agression sexuelle (ce qui est différent de « circonstances aggravantes »). L'autrice répond aux objections soulevées sur ces propositions et précise « Il s'agit d'exclure des débats judiciaires tout questionnement relatif au consentement en posant un interdit légal explicite, et d'imposer à l'adulte de s'assurer de l'âge de la jeune personne pour, à défaut d'informations fiables sur celui-ci, s'abstenir d'avoir des contacts sexuels ave elle »…
En conclusion,
Catherine le Magueresse revient sur la loi pénale et ses fonctions, l'interdit qui autorise de nombreuses formes de violences sexuelles, les nouvelle dispositions pénales à repenser, le carcan de la présomption de consentement, la présomption d'innocence, la charge de la preuve, la culture du viol, l'impact de la pornographie, les expressions mensongères qui recouvrent des « sévices sexuels », un droit expurgé des présupposés sexistes, les politiques publiques en matière de prévention…
Un livre important qui devrait permettre d'irriguer les débats loin des présupposés et des clichés qui garantissent le statu quo en faveur des agresseurs.
Comme l'écrit eliane Viennot, citée par l'autrice : « Déconstruire cette culture est indispensable pour rompre les amarres avec le monde où l'on considérait les femmes comme une sous-espèce de l'humanité, une espèce au service des homme ».
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