AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782080280886
352 pages
Editions Arthaud (12/04/2023)
4.62/5   82 notes
Résumé :
"C'est pas la Corse ici. On te tue pas. C'est plus subtil. C'est sournois. La peur..." Depuis les années 1960, le "système" agro-industriel fait naître des empires transnationaux et des baronnies rurales. Il crée des usines et des emplois. Il entraîne la disparition progressive des paysans, l'asservissement de nombreux salariés de l'agroalimentaire, l'altération des écosystèmes et la généralisation de la nourriture en boîte. Il s'impose au nom de la realpolitik écon... >Voir plus
Que lire après Silence dans les champsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
4,62

sur 82 notes
5
15 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Cet essai du journaliste Nicolas Legendre, lui-même fils de paysans d'Ille-et-Vilaine, est l'histoire d'une utopie progressiste, généreuse de syndicalistes, coopérants agriculteurs, tous issus dans la catholique Bretagne de la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) qui imaginent dans les années 60 de se fédérer en créant des CUMAS, SICAS, GAEC, coopératives d'agriculteurs pour moderniser l'agriculture et la Bretagne, sortir les paysans d'une relative misère, (on verra ensuite que la doctrine dominante exagéra sans doute cette misère prétendue pour mieux s'imposer, cela dépendait des cantons et des pratiques), mettre en commun leur matériel, leurs ressources, puis leurs savoir-faire pour accéder à la modernité libérale productive, basée sur la technique et des capitaux sous forme de parts sociales. Sauf qu'en 60 ans, le système est devenu un Moloch qui dévore ses enfants, il a salement foiré en devenant une féodalité mettant en coupe réglée les paysans qu'elle broie en les assujettissant à des coopératives devenues des monstres industriels, les terres et les paysages qu'il détruit, la biodiversité qu'il effondre, les cours d'eau et les plages qu'il pollue d'algues vertes. le "miracle" a fait long feu. le système ne tient que sur le déni, des anathèmes, des exclusions bien décrites via des témoignages terrifiants, la violence symbolique et réelle du syndicat majoritaire, la FNSEA, seul syndicat à se réjouir de la perte de 25 % de ses adhérents tous les 10 ans, des féodalités bancaires et industrielles, des fiefs électoraux où des politiques collabos ou tétanisés votent tout ce que veut le lobby agro-industriel, devenu industrie lourde à l'instar de la sidérurgie, ils parlent d'ailleurs comme elle, de minerai. "En Bretagne, la ligne rouge politique n'est pas le front national mais les écolos". Honnis par l'agro-business, soumis à des pressions et des intimidations, la sémantique utilisée contre eux emprunte au vocabulaire religieux : secte, jihadistes verts, Amish..., pour mieux les renvoyer à l'obscurantisme, la Raison étant bien entendu du côté de l'Industrie de l'agro-pétrochimie capitalistique des intrants de synthèse. Lesquels ne font jamais les comptes ni ne paient les externalités négatives (pollution, maladies professionnelles niées par la MSA, destructions environnementales et des paysages) qu'ils provoquent.
Ouvrage très documenté, revenant sur l'histoire bretonne du XXème siècle, basé sur de multiples témoignages "ici, ce n'est pas la Corse, on ne tue pas, mais on utilise des méthodes mafieuses pour faire taire les réticents et les "têtes de cochon" qui vont chercher des noises à leurs puissantes coopératives", notamment la puissante Cooperl de Lamballe (plus gros abattoir breton) une ou deux fois citée nommément, irrigue en fait tout le livre et les témoignages de ses adhérents traités en serfs voire en esclaves selon l'arbitraire du Prince Commault, fils d'archevêque, frère de curé, ancien JACiste pourtant, aux méthodes brutales, toute trahison de son statut coopératif bue. Sa condamnation par la justice au titre de participation au "cartel du jambon" en 2020 est racontée, et son comportement auprès du ministère au moment de payer une lourde amende de plusieurs millions d'euros est édifiant.
Système crépusculaire, avec en face trois sortes de personnel politique, la droite style le Fur, soutient indéfectible du modèle, la gauche pétocharde modèle le Drian qui met plein d'eau dans son vin, et enfin les écologistes et leurs associations, honnis et persécutés, on peut se demander comment on en sortira et quand. Nicolas Legendre essaie de conclure sur une note positive en citant l'agroforesterie, les cultivateurs bio, mais on peut être pessimiste et penser que le modèle agro-industriel n'aura de cesse que d'avoir éliminé tous les paysans pour les remplacer par des mandants, des salariées techniciens agronomes, le Capital étant détenu par des consortiums anonymes ou des fonds de pension investissant là comme ils investiraient ailleurs. On nous le vendra comme un mal nécessaire pour avoir "des lardons et du jambon sous vide pas cher pour tous trois fois par jour", puisque les classes moyennes se sont laissé endoctriner par le tout protéines animales -de mauvaises qualité, les animaux, dont pas un mot n'est dit dans l'ouvrage, étant aussi les victimes, servant de minerai principal, et à tout faire à cette industrie lourde ayant abdiqué toute morale et éthique. A LIRE.
Commenter  J’apprécie          244
Publié aux Éditions Arthaud le 12 avril 2023, ce livre a été couronné par le prestigieux prix Albert Londres en novembre 2023 : " le jury du Prix Albert Londres applaudit ce travail d'enquête au long cours sur un sujet essentiel, vital, qui concerne chacun d'entre nous. Cette immersion dans l'agro-industrie bretonne est un travail difficile, brillant, documenté qui révèle une atmosphère sournoise de féodalité, et décortique les méthodes, ce que l'on pourrait aussi appeler la « Breizh mafia »." Est-ce ce qui explique qu'à cette approche de noël le livre version papier est introuvable ? Heureusement, la version numérique reste accessible.

Voilà en effet un travail d'enquête de sept années devenu un incontournable pour tout breton et tout curieux de la Bretagne, une oeuvre si documentée que la mention des sources occupe plus de deux cents pages sur les 451.

Le livre se présente comme une série d'enquêtes jalonnées de témoignages et réparties en trois grandes étapes :

I Les fondements de l'empire armoricain

Après le rappel de ses racines agricoles, l'auteur assène quelques témoignages qui donnent le ton. Ainsi celui d'Emmanuel, éleveur — Mes parents ont commencé avec cinq vaches. On vivait bien. Moi, j'ai débuté avec soixante, aujourd'hui j'en ai cent cinquante. On gagne 2 000 euros par mois à deux. On travaille entre douze et quatorze heures par jour. Comme on dit avec ma femme : le week-end, pour nous, ça commence le dimanche à 12 heures et ça finit le même jour à 18 heures, pour la traite. On se retrouve obligés d'investir, mais c'est juste pour garder notre revenu. Pour continuer à remplir le Caddie. On est dans la course à l'échalote pour pouvoir rester là. Heureusement que ma femme travaille à l'extérieur, pour qu'on puisse payer les courses. Je ne peux pas me permettre d'engager quelqu'un. Je peux vous présenter des amis éleveurs chez qui le grand-père continue de travailler sur la ferme, à 70 ans… Y a des moments, quand on perd de l'argent à travailler… Quand j'ai commencé, y avait dix-sept producteurs laitiers dans la commune. Aujourd'hui, on n'est plus que trois. Ma laiterie ? C'est les mêmes gangsters que les autres… Ça n'a pas de sens… Mais je suis là, j'ai des prêts à rembourser. Faut bien que je vive. J'ai des amis qui se sont suicidés. Mon voisin, il est parti avec son télescopique 3 , il a pris une corde, il s'est pendu dans un coin de la ferme. Et voilà."

Le chapitre s'attache alors à remonter le fil qui a mené à cette croissance qui appauvrit les agriculteurs, élimine les plus petits et les désespère parfois en leur livrant une guerre sourde pour peu qu'ils aient émis quelques velléités de rébellion.

Il remonte ainsi aux années 60 qui a vu le développement en Bretagne de l'agro-industrie autour de quelques personnalités souvent issues des Jeunesses Agricoles Catholiques et assez souvent aussi du lycée agricole du Nivot. Parmi celles-ci, Alexis Gourvennec. . "Au début des années 1990, il pouvait prétendre au titre de premier éleveur porcin breton, avec trois mille huit cents truies pour une production annuelle de quatre-vingt mille animaux, soixante-cinq salariés et 550 hectares au total répartis sur trois sites. Il a possédé un élevage au Venezuela (cinquante salariés, mille sept cents truies), ce qui revenait, d'une certaine façon, à participer au dumping social à l'encontre de ses propres confrères français. À cela s'ajoutait une importante entreprise piscicole, adossée à une société de transformation et de surgélation de poissons." Ce système de croissance exponentielle, c'était le modèle qu'il voulait développer en Bretagne, quitte à éliminer tous les petits producteurs qu'il désignait comme "minables" Mais ce développement n'est pas à la portée de n'importe qui. Alexis Gourvennec était aussi président du Crédit agricole qui finançait son développement, président et créateur de la Britanny Ferry, créateur de la SICA de St Pol de Léon et du lobby Breiz-Europe ! Il côtoyait la sphère politique de droite. Bref, il avait tous les atouts en main.

Le comte Hervé Budes de Guébriant, un catholique royaliste, agronome de formation, est autre figure de cette transformation de la Bretagne, il dirigeait l'Office central (assemblage d'organismes agricoles) et possédait une centaine de fermes en Bretagne. Lui voulait la modernisation des campagnes, mais pas le capitalisme ni le libéralisme. Il est à l'origine de la création du lycée agricole du Nivot. L'Office central s'est disloqué dans les années 60 : " le Crédit Mutuel de Bretagne, la coopérative Coopagri (rebaptisée Triskalia, puis Eureden : 3,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2021, dix-neuf mille cinq cents coopérateurs), la caisse bretonne de l'assureur Groupama, la Mutualité sociale agricole de Bretagne ainsi que l'hebdomadaire Paysan breton, principal organe d'information professionnelle du monde agricole breton (fondé quant à lui par un résistant, Pierre Guillou), sont tous des « enfants » de l'institution landernéenne"

Ces années sont aussi celle de la création de l'un des plus grands empires de la grande distribution : Leclerc dont le but est de vendre à des prix imbattables. Leclerc possède les abattoirs de Kerméné et avec Intermarché, autre mastodonte breton, ils abattaient en 2018 un tiers des porcs bretons, pour vendre la viande au plus bas prix possible.

L'élevage hors-sol est emblématique de cette modernisation à tous crins : Volailles et porcs (comme fraises et tomates !) sont élevés par des agriculteurs qui se retrouvent liés à des firmes ou à des coopératives auxquelles ils achètent les animaux, leur alimentation, leur médication et auxquelles ils revendent les animaux destinés à l'abattoir. Au fil des crises, on assiste à l'élimination des plus fragiles, et cela, même au niveau des abattoirs : Gad, Doux, Tilly, des abattoirs ferment, victimes de la concurrence acharnée, des centaines de salariés perdent leur emploi, les patrons, comme Loïc Gad quittent le navire avec des parachutes dorés. On assiste par la même occasion à l'invasion des algues vertes sur les côtes et des nitrates dans l'eau des rivières.

La culture intensive de la pomme de terre et du maïs sont un autre aspect de la modernisation galopante : le maïs est destiné à l'alimentation animale, mais comme il n'apporte pas assez de protéines, il faut acheter du soja aux USA. Pour le cultiver et le récolter, de grosses machines sont nécessaires, ce qui a sonné le glas des talus lors du remembrement et ce qui a développé le marché des engins agricoles. La pomme de terre, aussi use la terre et draine des marchés de produits de traitement :" En itinéraire « conventionnel », en 2017, en France, un champ de pommes de terre recevait en moyenne 20,1 traitements (insecticides, herbicides, fongicides et adjuvants divers) entre la plantation et la récolte, soit près de trois fois la moyenne toutes catégories confondues (7,025 traitements par an)" La terre gorgée de ces pesticides glisse lors des pluies abondantes des plateaux d'Irvillac jusqu'à la rade de Brest où l'huitre plate a déjà disparu tandis que l'élevage des huitres creuses et des moules est devenu impossible.

II le bal des vampires

En somme, la modernisation de la Bretagne tant voulue par Gourvennec comme par de Guébriant et à leur suite par la FNSEA fait beaucoup de dégâts latéraux et ceux qui tentent de résister sont souvent incompris sinon malmenés, c'est ce que développe la deuxième partie de l'enquête. Refus de prêts, report de l'enlèvement des porcs vendus, livraison d'animaux de seconde classe dits "queues de lots", menaces de mort, intimidations diverses, mises au ban... Les procédés "mafieux" ne manquent pas et les victimes se taisent, se suicident ou rentrent dans le rang. L'auteur recueille plusieurs témoignages glaçants, mais les victimes témoignent presque toujours sous couvert d'anonymat. Cela pose bien sûr un problème au journaliste qui s'attache alors à croiser les sources.

III Une lumière d'automne

Dans cette dernière partie, l'auteur rassemble enquêtes et témoignages sur les prises de consciences, les alternatives et les solutions. Certaines maladies professionnelles commencent à être prises en compte. Des associations de défense de la nature parviennent à faire entendre leur voix. Des éleveurs assument des choix plus écologiques et humains et en font la promotion. Cette "lumière d'automne" n'est peut-être pas près de s'éteindre. Laissons Eluard conclure ainsi :

La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini

(Eluard, Dit de la force de l'amour)
Lien : http://www.lirelire.net/2023..
Commenter  J’apprécie          146
Originaire et toujours sensible au devenir du monde paysan breton,"Silence dans les champs" est tout naturellement venu à ma rencontre.
Enfant, j'ai vécu le remembrement sans comprendre cet "écocide" qui allait détruire la polyculture, l'élevage raisonné, la nature de nos champs (landes et zones humides),sans parler des rancoeurs laissées dans le monde paysan.Depuis, le réchauffement climatique a accentué ce que la disparition des talus et des chemins creux a amorcé.
En 1970, mon pére très méfiant des coopératives et de leurs conseillers envahissants a préféré fuir sa ferme natale pour la région parisienne pour un tout autre métier...
C'est donc 53 ans plus tard, que je reviens le plus souvent possible aux sources.Il y'a moins de fermes et donc moins d'agriculteurs...
Certains se sont suicidés suite à des crises, à un endettement massif.D'autres sont très malades ou fatigués physiquement et psychologiquement.De plus la relève est loin d'être assurée.
Je comprend grâce à cette lecture de Nicolas Legendre et à ma vie professionnelle tout ce que l'économie libérale de Landerneau (Gourvennec,Leclerc) fait subir aux producteurs "hors-sol".Il explique également ,témoignage à l'appui, comment ceux qui ne sont pas en conformité avec le "système" se voient privés de credit ou saboté dans leur activité.
Parce qu'en Bretagne, on est teigneux, on ne parle pas, c'est l'omerta...
On ne tue pas non plus mais on en meurt...
A l'heure où on subventionne la construction de talus, qu'il est plus dangereux d'être écologiste que d'extrême-droite, il faut absolument lire ce livre.
Cette enquête de 7 ans regroupe des témoignages et une analyse d'un "système" qui broie le monde paysan.
Commenter  J’apprécie          150
Les actrices et acteurs de ce théâtre jouent la pièce à guichets fermés depuis quelques décennies. L'intrigue s'est peu à peu transformé au fil du temps, l'âge venant, les protagonistes du début des temps ont laissé la place aux jeunes et fougueux entrepreneurs d'aujourd'hui. le décor a changé lui aussi, s'est aplani, les nouveaux entrants ont peu à peu lissé le paysage, la technologie a horreur du désordre, fut-il d'origine naturelle. L'échelle elle aussi a changé, de la terre battue, nous sommes passés au pavillon néo-breton, puis à la longère privée de sa terre d'origine. Les parcelles qui l'entourent ont elles aussi perdu leur terre d'origine, trop pauvre, trop lente. Elles ont grandi, se sont enrichies, produisent plus vite, tant et si bien que les hommes qui la cultivent courent derrière, avec des machines de plus en plus grosses, des troupeaux de plus en plus imposants et puis, un jour, l'homme s'arrête. Il ne peut plus, à bout de souffle, il regarde autour de lui, se souvient et se pose la question du comment il en est arrivé là. Son voisin passe à côté au volant de son pick-up flambant neuf, comme dans les films américains. Il toise l'homme essoufflé et s'enquiert de sa santé.
Fais comme moi, fais du bio ! lui dit-il d'un ton goguenard. Tu le vends deux fois plus cher, les étiquettes changent, c'est tout, tu graisses la patte de deux ou trois vérificateurs et ça roule.
L'autre reprends son souffle, regarde l'engin, se gratte la tête et répond :
-Pas très bio, ton 4x4, et les tracteurs sous ton hangar, ils n'ont pas l'air de sortir souvent.
A propos, il va bien, ton conseiller clientèle du Crédit agricole ? On a causé tous les deux, parlé du pays, de la campagne tout autour, de ce qu'elle est devenue. Il quitte la banque. Il a comme des scrupules à continuer de financer des gars comme toi, qui flambe, qui vive à crédit et se serve des relations familiales pour racheter les terres, faire bosser des gars pour eux, mal les payer, et frimer sur les routes. Il m'a conseillé de faire du bio, comme toi, sauf que moi, je vais vraiment en faire, mon père n'est pas administrateur, donc je suis allé le voir, ce sera son dernier dossier, aux petits oignons, pas trop gros le prêt et il a ajouté que tu devais te faire du souci car ton père commence à emm....tout le monde.
Le pick-up démarre dans un nuage de poussière.
L'autre reprend son footing.
Sur la scène du théâtre, il rentre chez lui, caresse son chien, embrasse sa femme qui le repousse gentiment ( il est en sueur).
- A propos dit-elle, j'ai eu Fanny au téléphone, elle quitte son homme, marre de tout ce bazar...
- Je viens de le croiser. Ce n'est pas son jour.
La roue tourne dans le bocage, ou ce qu'il en reste.
Ceci n'est qu'une modeste illustration de ce que j'ai ressenti en lisant ce gros travail. Les personnages ne sont que des archétypes.
Un autre monde est possible, comme disent les slogans publicitaires.
Le livre de Nicolas Legendre a le mérite d'exister avec ces multiples témoignages, à charge, ce qui ne signifie pas que rien n'est fait pour que cela change. L'avenir nous dira si la vallée des Saints ne se transformera pas en vallée des larmes. La statue d'Alexis est une référence à Gourvennec, grand humaniste du Nord-Finistère. L'on sait maintenant pour qui roulent les concepteurs d'une mythologie à deux balles, entre Arthur, Merlin et les barons du cochon.
A lire.
Commenter  J’apprécie          70
C'est en regardant « Planète info » sur France Info (émission toujours très instructive), que j'ai découvert Nicolas Legendre et son livre/enquête « Silence dans les champs ». le titre faisant référence à une certaine omerta dans ce milieu. Son interview m'avait intéressé et je m'étais dit qu'il serait bien de lire son ouvrage. Ce qui est fait. Je ne pense pas être particulièrement naïve, mais je ne m'attendais absolument pas à ce que j'étais sur le point de découvrir à travers ces pages. Cette lecture m'a véritablement atterrée, surprise, révoltée. Oui elle m'a vraiment horrifiée et consternée. L'enquête et les témoignages recueillis par le journaliste couvrent une période allant des années 1950 à nos jours. En France. En Bretagne. On ne parle pas d'une république bananière ! Non. La Bretagne ! Je ne suis pas une spécialiste du milieu agricole et je suis une vraie citadine. Mais j'aime me mettre au vert en vacances, en particulier en Bretagne. Malheureusement, je crois que je ne vais plus jamais voir les départements bretons avec le même regard. Je pense sincèrement être marquée à vie par la découverte de ce système agro-industriel productiviste qui a brisé des vies (physiquement, moralement… faillites, intimidations, menaces, suicides, mensonges, cynisme…), dénaturé des paysages ancestraux (arrachage des haies, destruction des talus, remembrement, pesticides, pollution des rivières avec le lisier etc.), brutalisé des animaux (installation hors-sol, production intensive…). Je ne me remets pas d'avoir compris la cruauté et l'inhumanité de nombreuses personnalités qui sous couvert de moderniser la Bretagne, avec l'appui des institutions et de l'Etat, sont responsables de ce désastre. Désastre pas pour tout le monde, car pour ces mêmes personnes, le pouvoir et l'argent ont été les seules motivations, et ils y ont bien réussi. Cette enquête s'appuie sur un très gros travail qui aura duré sept ans. Journaliste pour le Monde, Nicolas Legendre, lui-même fils de paysans bretons, a rencontré de très nombreux acteurs du milieu agricole breton (près de 300 entretiens et 29 fermes visitées) que ce soit des paysans, chefs d'entreprises, salariés et cadres de coopératives, techniciens, syndicalistes, fonctionnaires, élus locaux, régionaux et nationaux, ministres et anciens ministres, militants environnementalistes, etc. Cet ouvrage est très instructif, un peu voire beaucoup déprimant tout de même et par moment très émouvant. Pour comprendre le système et ce qui se passe dans l'agriculture en Bretagne mais aussi en France, je ne peux que vous conseiller cette lecture. Je vous conseille néanmoins d'être « en forme » pour le lire.
Lien : https://mapassionleslivres.w..
Commenter  J’apprécie          110


critiques presse (2)
OuestFrance
18 décembre 2023
Le journaliste Nicolas Legendre a plongé dans le monde agro-industriel breton, interrogeant paysans, cadres des coopératives, élus et syndicalistes.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
LaViedesIdees
08 septembre 2023
L’essai de Nicolas Legendre [...] permet de renouveler le débat public sur les devenirs divergents des territoires et du complexe agroindustriel.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Avec les six jours de vacances annuels passés en compagnie de mes parents.
Avec la fatigue qui harassait mon père. Avec ses colères contre « la laiterie », cette entité lointaine qui achetait sa production mais fixait elle-même les prix – toujours trop bas. Avec les centaines de litres de lait qu’on jetait parfois dans le ruisseau près de l’étable, parce qu’on avait dépassé le « quota », parce qu’on risquait de payer des « pénalités » – on tuait alors, sans trop y penser, à la fois l’écosystème du ruisseau et notre honneur de paysans, mais il n’y avait « pas le choix ». Il fallait avancer, nom de Dieu, et se conformer aux règles, aux normes, à la marche en avant de… Quoi, au juste ?
On ne savait pas trop.
Mes parents n’avaient que vingt-cinq vaches et 30 hectares. Ils n’ont jamais cédé aux sirènes de l’agrandissement et de l’élevage hors-sol. Lors de leur installation, une conseillère du Crédit Agricole les avait pourtant
exhortés de « faire des poulaillers » (comprendre : construire des bâtiments d’élevage hors-sol). La banquière avait juré que la ferme, sans cela, ne serait pas rentable. Pas rentable pour ceux qui y travaillaient ou pas rentable pour la banque ? La conseillère s’en est allée avec une fin de non-recevoir. À défaut de gérer des poulaillers, mes parents ont utilisé le temps que les vaches leur laissaient pour s’occuper de leurs enfants et petits-enfants, accueillir tous les amis de passage et s’assurer une certaine autonomie : ils produisaient eux-mêmes leurs légumes, leurs œufs, leur viande, leur cidre et leur bois de chauffage. Le « système », magnanime, les gratifie en retour d’une retraite de misère.
Certains de leurs alter ego ont plongé dans le bain du « toujours plus » : plus d’hectares, plus de machines, plus d’animaux, plus de pesticides, plus de maïs, plus de dettes. Chacun avait ses raisons. Chacun pensait bien faire. La banque, l’État, la coopérative, la chambre d’agriculture et le « syndicat » conseillaient de tirer dans ce sens. Les plus exaltés fonçaient tête baissée, sans trop réfléchir à qui tirait les marrons du feu, à qui était l’esclave de qui, ou de quoi. À l’époque, dans le monde rural, remettre en cause cette logique, même timidement, revenait à blasphémer contre les dieux du productivisme – cette religion dont on ne disait jamais le nom.
On ne disait jamais son nom parce qu’on ne savait pas qu’il était possible de la nommer. Mes parents, comme bien d’autres paysans, étaient les indispensables petites mains d’un complexe agro-industriel dont le fonctionnement s’appuyait sur une idéologie (le productivisme)
répondant à des choix politiques et économiques dans un contexte de pétrole bon marché, de libéralisation des échanges commerciaux, de consumérisme triomphant et d’indifférence à l’égard des enjeux écologiques.
Commenter  J’apprécie          141
Elles ont saccagé les locaux de l’association environnementaliste Eau et rivières de Bretagne, à Guingamp et Brest, en 2007. Elles ont déposé une lettre anonyme au ton cinglant chez Yves Pucher, militant écologiste, le jour de son mariage. Et cætera.
Combien de Bretonnes et de Bretons les ombres ont-elles poursuivis ? Combien de destins ont-elles enrayés ? Combien, qui ne sont plus là pour raconter leurs mésaventures, se sont pendus à la branche d’un vieux chêne,
derrière le tas d’ensilage, près d’une désileuse rouillée ou de quelque cuve à fioul, parce qu’ils ne supportaient plus, bien sûr, le travail exténuant, le manque de considération de la part de la « société », le poids des dettes et
l’absence de revenus, mais aussi, dans certains cas, la sournoise présence des ombres ?
Combien de fois m’a-t-on dit « Si ma femme n’avait pas été là », « Si mon oncle ne m’avait pas aidé » ou « S’il n’y avait pas eu les enfants » ? Sous-entendu : je
me serais foutu en l’air. Un jour, au téléphone, un gars m’a déclaré : « Normalement, je devrais être mort. »
Je tourne et retourne, encore, dans mon lit. Je songe au brouillard qui nimbe les questions agricoles agroalimentaires, aux tabous, aux mythes, aux clairs-obscurs du tintamarre médiatique, aux recoins mal éclairés de l’inconscient collectif breton. Oui, me dis-je, les « ombres » existent. La Bretagne en est remplie. Elles sont filles de nos cupidités, mères de nos dénis, passagères de nos névroses. Je pense à tout cela et je vacille.
Le sommeil me happe.
Je ne sais pas quand cette enquête a commencé. Je veux dire : quand elle a vraiment commencé. Peut-être quand mes parents, éleveurs de vaches laitières en Bretagne, évoquaient, à table, les dessous du monde agricole. Je grappillais des bribes d’informations, sans comprendre ce que « remembrement », « quotas », « paye de lait » et « Pac 1 » signifiaient précisément.
Comme tant d’autres Bretons, mes parents ont migré vers Paris durant les Trente Glorieuses alors qu’ils étaient à peine majeurs. Ma mère, d’abord employée de maison chez des Russes blancs fortunés, a ensuite été
embauchée comme secrétaire par une entreprise de télécommunications. Mon père a appris le métier de carrossier. Ma sœur et mon frère ont grandi là-bas. La famille a acquis un petit appartement en banlieue et savouré les
douceurs de la classe moyenne : loisirs, sécurité de l’emploi, pouvoir d’achat.
Vingt ans après son arrivée dans la capitale, mon paternel a fomenté un projet loufoque consistant, grosso modo, à tout plaquer. Il s’agissait de revenir au village dans lequel ma mère et lui avaient grandi et de reprendre la ferme de mon oncle et de ma tante.
Commenter  J’apprécie          90
Quelques années après cet échange, Michel transmit sa ferme à son fils, Vincent, qui a vu (encore) plus grand. Qui a avalé d’autres fermes. Qui a robotisé son exploitation. Qui s’est endetté. Qui passait des journées entières
sur son tracteur, du fait de son engouement pour la belle mécanique mais aussi à cause des distances faramineuses qui séparaient désormais ses parcelles. Vincent a arraché des arbres vénérables, dézingué d’antiques talus,
comblé des chemins creux immémoriaux pour agrandir encore sa surface exploitée et grappiller davantage de « prime à l’hectare » – des subventions versées dans le cadre de la Pac.
Vincent s’est épuisé. Il a arrêté avant la faillite, l’infarctus ou le suicide. Il a vendu la ferme. Jadis, dans les campagnes, une telle décision relevait de l’hérésie, mais désormais, on ne s’offusque plus quand un paysan, accablé par le poids du fardeau, cède le patrimoine familial au plus offrant. Vincent a changé de métier.
Game over. Un paysan de moins. Une ferme de moins.
Commenter  J’apprécie          90
'Deux mille agriculteurs qui cassent tout, c'est plus payant que dix mille manifestants qui défilent dans le calme', résumera Alexis Gourvennec.
Six décennies plus tard, on ne compte plus les tonnes de pneus et de palettes brûlés sur la voie publique, les hectolitres de lisier répandus devant les préfectures, les kilomètres de routes bloquées, auxquels s'ajoutent des installations ferroviaires sabotées, du mobilier urbain saccagé, des véhicules de police détériorés à coups de barre de fer, des motos de gendarmes incendiées, des voitures de pompiers endommagées, des porcelets pendus devant les grilles de bâtiments officiels, des glissières de sécurité arrachées, des portiques écotaxe 'démontés', des sous-préfectures et des hôtels des impôts mis à sac, des bureaux d'élus 'visités', des gendarmes séquestrés, des militaires et des sapeurs-pompiers malmenés, des carcasses d'animaux calcinées devant une préfecture, un camion espagnol transportant de la viande étrangère brûlé, un mouton mort déposé dans la propriété d'un député-maire, une voiture de gendarme jetée dans un canal, une prison attaquée (c'était à Quimper en 1983) ainsi qu'un centre des impôts et un bâtiment de la MSA incendié (à Morlaix, en 2014).
Commenter  J’apprécie          60
Y en a qui aimeraient voir un hiatus idéologique dans cette affaire des pesticides. Mais c’est pas idéologique. C’est une réalité sanitaire ! On met des intrants qui appauvrissent la terre, puis des produits pour « rebooster » les cultures. La terre est morte et ça contribue à la tuer un peu plus. Nous, à la boîte, on était à peu près tous convaincus du cynisme de ce système. Quand vous faites tous les jours des livraisons de récipients sur lesquels vous avez des petits pictogrammes morbides, si vous prenez pas conscience du problème, c’est que ça va pas dans votre tête. Les collègues ne mettaient jamais ces trucs-là dans leur jardin ! Ils faisaient du bio. Ça allait jusqu’au mal-être. La mauvaise conscience… Devoir gagner sa croûte en vendant du poison… La majorité des collègues en préparation de commandes faisaient leur boulot à contrecœur, écœurés par tout ce qui était balancé dans les fermes. Ce job, c’est purement alimentaire. Cette boîte ne paye pas trop, mais suffisamment pour qu’on n’ait pas vraiment envie de partir. Y a le fatalisme… Et la routine. On parle de tout ça au boulot… On se rend compte qu’on en avait parlé la veille et l’avant-veille aussi, et chacun sait bien qu’on en reparlera… Y a une pollution de l’image de soi qui s’opère au contact du produit. Les gars voient les pictogrammes. Ils voient que c’est un système qui continue de faire gagner du fric à certains alors qu’eux sont encore en bas du panier. La grande question, chez nous, c’est : est-ce que je vais être malade ? On a la « salle de la mort » où sont stockés tous les phytos… Quelqu’un qui n’est pas habitué à l’odeur, il fait demi-tour direct… Alors la question se pose : que respire-t-on vraiment ? On se demande : quand est-ce que je vais être touché, comme les autres collègues qu’ont eu des brûlures, des allergies…
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Nicolas Legendre (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Nicolas Legendre
Correspondant du journal le Monde en Bretagne, Nicolas Legendre vient de publier Silence dans les champs (éd. Arthaud). En 331 pages, il résume sept années d'enquête sur le système agro-industriel breton. Une investigation fouillée qui l'a hanté jour et nuit.
Dans ce livre, Nicolas Legendre met en lumière l'avènement d'un productivisme acharné en Bretagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a contraint les petits paysans à s'endetter pour faire toujours plus de volume et enrichir une minorité. Il y décrit l'omerta que peu ont osé briser, sous couvert de progrès économique, les pressions parfois violentes subies par les rares "kamikazes". Il détaille la connivence des banques, des firmes agrochimiques, des fabricants d'équipements, des coopératives, du syndicat majoritaire, de la grande distribution, et de certains élus.
Dans cet épisode, Nicolas Legendre décrypte ces mécanismes, leurs causes et leurs conséquences. Il évoque aussi la manière dont il a travaillé pour mener cette enquête au long cours.
Après l'entretien avec Nicolas Legendre, Michaël, Mathilde et Romain, libraires à Dialogues, nous conseilleront quelques ouvrages pour compléter la réflexion.
Bibliographie : - Silence dans les champs, de Nicolas Legendre (éd. Arthaud) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21909519-silence-dans-les-champs-nicolas-legendre-arthaud
- Algues vertes, d'Inès Leraud (éd. Delcourt) https://www.librairiedialogues.fr/livre/15460416-algues-vertes-l-histoire-interdite-ines-leraud-delcourt
- L'Âge de la colère, de Pankaj Mishra (éd. Zulma) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20335238-l-age-de-la-colere-une-histoire-du-present-pankaj-mishra-zulma
- Plutôt nourrir, de Clément Osé et Noémie Calais (éd. Tana) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20925965-plutot-nourrir-l-appel-d-une-eleveuse-clement-ose-noemie-calais-tana-editions
- Paysannes, d'Anne Lecourt (éd. Ouest France) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21910014-paysannes-anne-lecourt-le-breton-editions-ouest-france
- Reprendre la terre aux machines, de l'Atelier paysan (éd. Points) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18641948-reprendre-la-terre-aux-machines-manifeste-pour--l-atelier-paysan-seuil
- Notre pain est politique, de Mathieu Brier (éd. de la Dernière lettre) https://www.librairiedialogues.fr/livre/15652892-notre-pain-est-politique-les-bles-paysans-face--mathieu-brier-editions-de-la-derniere-lettre
+ Lire la suite
autres livres classés : bretagneVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (333) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
851 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *}