Passé Nijni Novgorod au sud-est de Moscou, en 1891 s'étendaient 17 provinces qui furent gagnées par la famine. Les secours s'organisaient de divers ordres, mais tout était insuffisant pour cet immense territoire : les paysans étaient en fait presque livrés à eux-mêmes. Les récoltes étaient tout simplement mauvaises à cause de la sécheresse. Il a suffi d'un hiver sec et d'un été sec. Les paysans avaient beau semer, ils ne récoltaient pas grand chose, et dans certaines régions : rien ! C'est dans ces conditions de désastre qu'il se trouve que
Jules Legras, notre fin lettré, spécialiste russe tint à se rendre compte de la situation avec une fièvre autrement palpable que la mienne dans mon confort douillet à me tenir informé dans les nombreux chapitres de son livre de celui consacré à la famine parce que tout simplement le Comte Tolstoï avec Sophie étaient restés par là près de deux ans à se dépenser sans compter pour le peuple russe en train de crever la bouche ouverte, leurs frères. Cette famine fit 2 millions de morts dans les années 1891-1892. Il s'est trouvé aussi que la mir n'était plus adaptée pour faire face aux changements économiques du pays tournés vers l'industrialisation et les exportations, un retard considérable pénalisait les paysans libérés certes du joug féodal, mais les propriétaires terriens se prêtaient de mauvaise grâce aux mutations rurales. de cette époque de désordre total, jaillirent le typhus, la corruption au niveau des chefs de district. On ne peut pas dire que l'administration tsariste était inerte face au problème posé, elle était loin, et les secours financiers étaient très mal contrôlés.
Jules Legras tint à se rendre compte et à aider si possible, on pense bien qu'il ne venait pas en touriste.
Il nous raconte donc ce qu'il voit avec une curiosité éclairée dans cette Russie profonde, oubliée, éloignée des préoccupations tsaristes, mais aussi avec une objectivité sans failles. Pas question pour lui de faire de la politique . Ce n'était ni son but, ni son objet.
"Une troïka n'est pas, comme le croyait
Théophile Gautier, "un traîneau" ; c'est un groupe de trois choses semblables ; le mot, il est vrai, s'applique à un attelage...
A propos des 17 provinces touchées par le fléau, celui-ci ne les avait pas frappées tous en bloc, on dirait, au contraire, qu'il a choisi certains territoires pour s'y installer plus à l'aise, en épargnant les autres.; Les secours étaient de trois sources : du gouvernement, de la charité privée russe, et de la charité privée étrangère..
(...) le bétail faisait peine à voir : il ne trouvait rien à se mettre sous la dent et maigrissait affreusement; le soir, les animaux rentraient des champs avec le museau plein de terre, à force d'avoir cherché les racines, à défaut d'herbe .."
Un des premiers écrivains parmi les romanciers russes de la jeune école à avoir très bien raconté cette famine fut
Vladimir Korolenko, nous renseigne
Jules Legras ..
"Parmi la nuée d'infirmières, poursuit
Jules Legras visitant les hôpitaux cholériques ou "champ de mort", je reconnais plusieurs de celles que j'ai vues au village où sévit le typhus. Celle qui m'avait, il y a huit jours, donné rendez-vous ici, est morte hier .. Les privations sans doute, l'avaient épuisée. La pauvre fille souriante et bonne, et la contagion nouvelle a mis le sceau à sa vie obscure du sacrifice.."
Quand
Jules Legras quitta ce peuple russe dans la misère et la souffrance à grand regret, il savait qu'il ne repasserait pas par là, il évoqua encore cette résignation avec laquelle ce peuple supporte sa misère, si propre à l'âme russe qui restera pour lui un perpétuel étonnement !.. Il trouvait beau, édifiant, de voir toute une jeunesse charitable assister les paysans affamés ou malades, ils étaient mus par quoi , pas la religion, la plupart ne croyaient pas ; ils étaient là dans un élan commun étant sûrs d'une chose : qu'ils s'accomplissaient d'un amour donné à leur prochain, élan commun qu'on appelle le destin d'un peuple incroyable. "Les créateurs de civilisation", dit-il. Si
Jules Legras ne l'avait pas vu de ses propres yeux, il est fort probable que lui le français ne l'eût jamais appris dans les journaux, car à part lui, les journaux ne relayaient pas ce lot au quotidien de tout un peuple dans le chaos doté d'une invincibilité semi-orientale.