Aujourd'hui je m'éloigne de la littérature jeunesse (quoique !) pour vous écrire quelques remarques sur un de mes auteurs préférés. Suivez-moi et d'abord :
« Écoutez la triste chanson
D'une maman mouche et de son p'tit moucheron
La maman aimait tant son rejeton
Que pour lui rien n'était trop bon
[…]
Pendant trois jours il fit la fête
Zoum–zoum, vol plané et pirouettes
Brûla la vie par les deux bouts
Zoum–zoum et puis vieillard devint
Raide mort il tomba tout d'un coup
De lui ne resta plus rien
Car sa maman qui l'aimait tant
Était morte depuis longtemps
Telle est la triste chanson
De la maman mouche et de son p'tit moucheron
(pp. 29-30, extraits de la pièce « Le Soldat ventre-creux »).
« Le Soldat ventre-creux » est une pièce que l'auteur (emporté par un cancer en 1999, à l'âge de 56 ans) n'a pas eu le temps de créer sur scène. Des trois pièces de ce tome IV des « Oeuvres complètes », c'est celle qui m'a le plus touchée, par sa simplicité et l'horreur de la guerre évoquée avec grande subtilité. J'adhère entièrement au propos de
Linda Lê dans «
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau » (pp. 114-117) :
« Soldat ventre-creux revêt l'aspect d'une parabole ou l'Amphitryon de
Molière est revu par un Hašek rompu à cet exercice de salut public qui consiste à réveiller les consciences par l'entremise de paillasses accablées.
[...] Ce sont les mandataires de la terreur qui l'emportent. Devant eux se tiennent, abasourdis, les spoliés. Soldat ventre-creux, dans la pièce éponyme, se souvient à peine de son nom, Sosie. Il rentre du front [après cinq ans de guerre] pour retrouver sa femme et son fils. Il se heurte, sur le seuil de sa maison, à Soldat ventre-plein, maître des lieux : c'est lui qui tient le gouvernail, lui qui s'appelle Sosie, lui qui décide si sa tendre et chère est autorisée à donner une caresse au revenant en train de revendiquer des droits, alors qu'il n'est qu'un imposteur. Arrive Soldat ventre-à-terre, dont les boyaux se « débinent », et qui se nomme également Sosie. Il cherche lui aussi sa femme et son fils, il ne demande qu'un simulacre de réconfort avant de rendre le dernier soupir. Dépossédé de tout, comme l'enfant qui rêve, privé de son père, de sa terre, de ses espérances, les deux conscrits, au corps meurtri, ne maudissent même pas la fatalité. Ils se contente de la portion congrue.[...]
Hanokh Levin manie toujours l'ironie avec l'acuité d'un témoin au fait des ressorts cachés qui commandent nos manigances. »
La guerre « c'était très dur, très très dur » (p. 12) et seuls les arbres (p. 47) et leur charme secret peuvent encore (mais c'est également un échec) momentanément le [l'Homme, le soldat de la vie] sauver du « désespoir ».
Emplis du désir de se réaliser, les personnages de « Sur les valises » (comédie en huit enterrements) font et défont leurs valises pour partir en quête d'un ailleurs, sans aucun doute souhaité « meilleur ». Mais indécis, fainéants, incapables de communiquer, leurs valises restent vides, tandis les cercueils eux s'emplissent…
L'omniprésence de la mort (« Funérailles d'hiver » parle déjà à travers son titre) dans ces comédies réellement mais délicieusement « grinçantes » de Hanokh Levin ne rend son humour que plus corrosif et ne doit pas vous dissuader de le lire. Il a aussi écrit de brillantes nouvelles. Je vous conseille de découvrir son univers, si vous en avez l'occasion.