Plus qu'une autobiographie assommante et fastidieuse,
Suzanne Lilar ne focalise pas son texte uniquement autour de sa personne, mais elle revisite son passé en se servant de sa ville, comme composante incontournable de sa vie. Gand, l'autre grand personnage de l'enfance de Suzanne, appartient à ce bagage mythifié, que porte l'auteure, qui englobe également le souvenir de sa famille, celui de ses parents. J'ai ressenti toute la tendresse, l'admiration qu'elle voue à Gand autant que celle qu'elle voue à ses parents, leur mémoire est au même titre que les ruelles et les monuments de la ville, célébrée et encensée. Gand est mise à l'honneur à travers la vie de l'auteure mais aussi à travers celle des parents Verbist. Gand, le père, la mère comme figures mythologiques essentielles de l'histoire de Suzanne. Plus que prétexte à revisiter sa vie, revivre son enfance une ultime fois, c'est aussi et surtout une ode à Gand et ses ruelles, ses beffrois, ses églises.
Même si elle l'a quitté,
Suzanne Lilar reste très attachée à cette ville, qu'elle s'est réappropriée à travers cette relecture de son enfance. On ressent clairement qu'elle prend plaisir à recomposer ce microcosme familial et sociétal dans cette ville, déchirée entre une culture intrinsèquement flamande et une influence francophone. le regard de l'enfant qu'elle était est aiguisé, même si la réflexion de l'adulte, on s'en doute, est venu retoucher sa vision des choses, il reste qu'elle ait été très tôt consciente de sa condition. Ni tout à fait bourgeoise, et donc snobée par quelques-uns de ses proches, ni tout à fait de condition ouvrière, la famille Verbist de classe moyenne prenait soin de respecter les barrières de sa condition, dans un sens comme dans l'autre. Ces deux cents pages donnent à voir
Suzanne Lilar comme un parfait mélange de ses parents: une fibre artistique très tôt marquée, qui lui vient incontestablement de sa famille paternelle, de son père aux multiples talents, en tant que peintre, musicien, chanteur, bien souvent la tête en l'air - au propre comme au figuré. Une mère plus terre-à-terre, qui goûte moins les extravagances des siens, et qui reste très attachées aux valeurs traditionnelles du travail et de la famille. Au-delà de cela, on observe cette petite fille acquérir les bases de l'adulte qu'elle sera, les origines de son goût pour l'écriture, ces racines qui trouveront un écho plus tard dans l'artiste qu'elle deviendra.
C'est un livre sur sa vie gantoise bien évidemment, mais aussi une critique acerbe de la tyrannie de cette société des apparences: ce monde bien âpre, sans pitié, envers ceux qui ont les velléités de vouloir s'élever hors de leur rang ; un corps social qui ne se base finalement que sur l'argent plus que sur les valeurs humaines. Ce face à quoi, la famille de son père se démarque, n'attachant que peu d'importance aux qu'en dira-t-on. Une liberté d'esprit, de vivre qu'elle salue. Toujours est-il que l'argent n'est pas le seul ressort diviseur des gantois, la langue l'est aussi. La femme de lettres ravive ses souvenirs de petite fille, qui de son oeil innocent, percevait les gens et les choses plus fastueusement et noblement qu'ils ne l'étaient vraiment. J'ai particulièrement apprécié, à mes yeux le chapitre le plus intéressant de tous, la deuxième partie intitulée "Le langage" qui aborde la problématique l'usage du néerlandais, largement décrié, et du français, la langue des bourgeois et aristocrates, dans cette société gantoise de début XXe siècle. Encore une fois, nous observons cette division de la société, les plus privilégiés qui tiennent à parler uniquement le français alors que le néerlandais est utilisé par la classe la plus populaire accusée, de ce que Suzanne Lilar nomme, de "flamingantisme", mouvement flamand dont les partisans se nomment "flamingants" dans la communauté francophone (c'est un mouvement initié dès 1792 sous l'occupation française) selon le titre de la chanson de Jacques Brel Les flamingants. Et cette classe moyenne, cette "petite-bourgeoisie" qui utilise les deux langues.
Suzanne Lilar décrit cette dualité, qui voit certains utiliser le français mais finir par revenir au flamand, tout comme elle par ailleurs qui écrit en français (ce qu'elle explique par son amour de Racine) mais qui, plus jeune, a revendiqué sa culture flamande.
Vous l'aurez compris, à la vue de mon appréciation en introduction, je n'ai pas été franchement transcendée par ce récit. J'ai vraiment été gênée par le style de l'auteur que j'ai trouvé trop pompeux, trop affecté et ampoulé, presque un peu poussiéreux. le maniérisme du style ne me gène pas en lui-même tant qu'il rend la lecture fluide et agréable. Or, dans le cas d'
Une enfance gantoise, cela n'a clairement pas été le cas: dès la fin de la première page, j'ai commencé par être agacée, et au bout de quelques pages, j'ai fini par trouver certaines parties indigestes, quand bien même on ne peut nier la qualité du récit. Et c'est grâce à cela que je me suis efforcée à finir le livre. Une certaine forme d'austérité, de rigorisme presque, certaine plane non seulement sur la plume de
Suzanne Lilar mais aussi quelquefois sur certains passages, qui dans le fond, n'est que le reflet de cette existence qu'elle narre. J'ai également eu beaucoup de mal à comprendre, par moments, l'auteure qui fait preuve d'un mépris manifeste envers cette classe, ce qu'elle nomme elle-même, "petite bourgeoisie" dont elle est issue. Finalement, cette suffisance ne fait que rappeler celle de son écriture, trop formellement guindée. J'ai bien eu du mal à passer outre sa condescendance, qu'elle exprime parfois, envers cette classe sociale qui fut la sienne autrefois, cette accusation latente, qu'elle leur dresse, de se contenter de peu. Ce ton trop emphatique, cette accumulation de superlatifs, je pense ici à son expérience de la découverte de ce qu'elle appelle le "beau", avec ses premières approches de la religion, me rendent très perplexe quant à, non pas la véracité, mais plutôt l'honnêteté de son discours.
Finalement, on ne pourrait voir dans ces mémoires un énième témoignage parmi de nombreux autres pour se réapproprier les moments les plus importants et les plus heureux de son existence, l'enfance. Même si je n'ai pas pu/pas su adhérer à son écriture, qui ne m'a pas vraiment plu, je préfère malgré tout terminer sur une note positive. Au-delà de ça et de cette langue un peu désuète,
Suzanne Lilar nous offre là une belle visite de sa ville, et une bonne leçon de culture, que l'on ne peut qu'apprécier.
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