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Piet Lincken (Autre)Edith Södergran (Autre)
EAN : 9782374280424
106 pages
Atelier de l'Agneau (20/12/2020)
3.88/5   4 notes
Résumé :
Ce livre est une rencontre où le jour oscille (Lincken) non loin du centre tremblant de nos illusions (G.Hons).
Dans À, itinéraire suédois, Piet Lincken inclut à sa poésie des poèmes d'Edith Sôdergran qu'il traduit. L'écriture de Lincken tout comme celle d'Eclith Sôdergran, poète majeure en Scandinavie (1892-1923, finlandaise d'expression suédoise), montrent un travail sur la notion de rive, de limite, et aussi sur la langue. S'en suit une vie jaillissante, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
«RIEN NE DURE, MÊME LES LÈVRES LISSES.» (Edith Södergran)

J'ai croisé pour la première fois les rivages doux-amers, sanguins et oniriques, érotiques et sombres, cette voix très "à part" de la poésie mondiale, d'Edith Södergran il y a de cela une bonne vingtaine d'années. C'était alors grâce à l'excellente collection Orphée-La Différence (mais les éditions Caractères proposent aussi un excellent petit opus croisant les textes de la finlandaise avec ceux, magnifiques aussi, de la suédoise Karin Boye. Deux poétesses presque contemporaines majeures de la Suède du XXème siècle). Aussi fut-ce avec un immense plaisir que je remis mes pas dans les siens grâce aux bons offices de notre site de lecture(s) et de lecteurs en ligne préféré, Babelio.com, entremetteur habile d'une élégante petite maison d'édition de poésie girondine, l'Atelier de l'agneau connue, entre autres choses, pour leur superbe revue L'Intranquille, ce que, je l'avoue, je découvrais à l'occasion de cet envoi. Les premiers comme les seconds, je les remercie vivement pour cette enthousiasmante découverte. 

Mais revenons à nos moutons, ou, plus exactement, à notre lecture. Å : itinéraire suédois, titre initialement édité en 2011 dans la lignée de la thématique principale du Salon du Livre de Paris de cette même année, est donc la réédition de cette pérégrination entrecroisée de textes poétiques et vagabonds du poète, traducteur, musicien et photographe belge d'origine franco-suédoise Piet Lincken d'avec une sélection de textes d'Edith Södergran, proposés et traduits par le premier. Précisons que les poèmes de l'auteur belge furent directement rédigés dans notre langue.

Dès l'entame de ce recueil au titre, ce "Å", un rien énigmatique (au sujet duquel quelques indices sont octroyés en frontispice), le lecteur est invité à sortir, prestement, des sentiers battus : 

D'une seule enjambée
on peut s'éloigner de l'autoroute. 

et c'est avec une évidence profonde qu'on s'enfonce, à la suite de Piet Lincken à travers ce Nord lointain fait de mers traversées, de lacs, de rivières, d'îles et de forêts, de rives et de villages improbables à la croisée des routes et des frontières : 

Une mer, un lac, une forêt : ah, la force de
l'inertie balancée par le vent ! 

Mais il serait maladroit - pire : inconséquent ! - de ne com/prendre ici que la saveur des paysages, que l'intrigant des cheminements, que la recherche autour de soi de ce qu'on fait sien. Car le voyage est aussi - de prime abord, peut-être ? - intérieur, et c'est sans aucun doute, alors, par la force confondante des mots d'Edith Södergran, agissant tant comme miroir que comme révélateur, que l'on en saisit le mieux l'importance violente : 

J'existe rouge. Je suis mon sang.
je n'ai pas renié Eros.
Mes lèvres rouges brûlent sur tes froides dalles sacrificielles.
Je te connais, Eros -
(...) 

Des mots rouges de désir et de mort (thème qui traverse et transcende toute l'oeuvre de la finlandaise), de sexe inassouvi, de tendresse parfois, de repos faisant immédiatement suite à une sourde violence. L'Amour, tour à tour charnel et métaphysique, n'est jamais bien éloigné dans cette relation poétique à distance, même s'il prend d'autres poses : 

Le liquide sur la peau fit comme des ruisselets.
J'avais bien vu que tu ne pouvais pas retenir ce flot,
j'étais fontaine, tu étais source. 

Et, tandis que le poète nous emmène visiter ces contrées que l'on croirait parfois tout droit sorties des textes de Selma Lagerlöf (le sombre et l'énigmatique de sa prose poétique en sus), c'est par la voix étrange et fouaillante d'Edith que Piet semble pouvoir en revenir à l'essentiel - la vie, l'amour, le sexe, la mort -, jusqu'à cette véritable explosion de sens et de mots, de fureur et de vie, qui se trouve enfin concrétisée en la double page finale de ce recueil rien moins que troublant : 

"O l'onduleuse, la gondolée, la serpentine,"

entame de son côté Piet Lincken

"Ma vie, ma mort et mon destin"
semble lui répondre et conclure Edith Södergran

On ressort de Å : itinéraire suédois avec presque autant de questions qu'en y entrant mais on est assuré d'une chose, c'est que le voyage nous a fait basculer dans un autre monde, à travers une autre temporalité, et ce ne sont pas les très belles photographies qui l'accompagnent (la plupart sont de l'auteur belge) qui ôteront quoi que ce soit au charme indéfinissable, parfois ténébreux, blanc de neige et amoureux, de ce voyage en Septentrion. 


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Le titre du recueil interpelle. Å de cette étrange lettre suédoise à la fois rivière, préposition de direction, interjection. Une lettre hybride comme la prose énigmatique de l'auteur qui chemine dans un paysage monochrome de mots et d'images. L'écrivain divague, sur les terres du nord, où le jour en hiver se confond avec la nuit. de son observation urbaine, jaillissent des mots qui tracent un itinéraire. Il évoque les paysages contemporains scandinaves d'autoroutes, de rues, de lieux à la fois familiers et lointains ; de ces éléments de métal et de béton qui cohabitent avec les arbres, la neige, la terre, dans une disharmonie silencieuse.

Bercé par les données géographiques de latitudes et longitudes, le voyageur d'encre et de papier, interroge la notion de rive et de limite. Limite entre ombre noire et lumière blanche dans cet espace à la périphérie du cercle polaire et de sa nuit infinie ; frontières des routes et des tracés parcourant sur des kilomètres les rivages de la Scandinavie ; seuil des arts, entre écriture et picturalité ; bordure du temps, celle d'une époque de changements et de mutations, inévitables et terrifiants. C'est aussi la lisière de la langue à mi chemin entre français et suédois, de deux écrivains aux racines multiples, venant de deux époques différentes mais partageant un sensibilité commune.

La poésie de Lincken possède les effluves de la mélancolie, la langue fourchue de la critique, l'ombre du ressentiment. L'écrivain témoigne d'une époque contemporaine à la fois pleine de beauté et de laideur.

C'est une poésie discrète, contemplative, presque mystique qui ne se laisse pas facilement deviner. Parfois froide et amère sur le monde présent, comme un lente descente dans la réalité crue de notre temps, mais qui recèle une vérité pure. Dans une prose parfois sans sens immédiat, l'écrivain superpose des images, des émotions, des fragments de pensée ; son texte évoque le fil discontinu des réflexions muettes et errantes du promeneur solitaire.

En parallèle de ses écrits, Piet Lincken propose les traductions d'une poétesse dont l'oeuvre particulière marqua l'histoire de la littérature scandinave : Edith Södergran. Une écrivaine singulière, précurseur de la poésie lyrique et du modernisme suédois; femme passionnée animée d'un esprit créatif puissant et novateur, en dépit de la maladie qui la rongeait lentement.

* Merci à babelio & aux éditions Atelier de l'agneau *

Lien : https://asteropsia.wordpress..
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Je remercie Babelio et l'Atelier de l'agneau pour cette découverte.

Cet itinéraire suédois m'a tout d'abord complètement déroutée. Autant je me suis sentie plus en phase avec les poèmes d'Edith Södergran, autant ceux de Piet Lincken m'ont paru hermétiques. Est-ce dû à la traduction, réalisée par l'auteur lui-même, dont le chant en français perd de la sonorité suédoise ? Il est vrai que les deux auteurs ont beaucoup travaillé la musicalité de leurs textes ce qui peut en rendre la lecture en français quelque peu chaotique.
Deux voix différentes ponctuent ce parcours et nous délivrent une Nature sauvage, rude et si belle malgré tout. Cette Nature qui peut se montrer sauvage ou hospitalière, cette Nature qui donne le tempo aux êtres qu'ils soient animaux ou humains en offrant un décor où l'étrange flirte avec le sublime, cette Nature qui chante la vie, l'amour et la mort. Dans un tel décor, il n'est pas surprenant que l'esprit s'égare parfois aux confins de la solitude, au contact d'autres êtres tout aussi perdus et qui tentent de vivre, survivre et recommencer. La plume d'Edith me parle plus dans les mots choisis et la douceur de dire même le plus âpre. La plume de Piet m'entraine dans des tourbillons où je perds parfois ma boussole.
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Il s'agit de suivre une femme écrivain suédoise, morte trop tôt dans les années vingt : c'est pour piet lincken, reprendre sur ses traces le moment de l"'émotion poétique. Piet Licken lit, traduit et écrit lui-même des poèmes tout en voyageant et tout en photographiant (en noir et blanc), cela donne un livre original, une aventure littéraire par delà le temps. Les poèmes d'Edith Södergran sont caractérisés par un certain mysticisme. Des typographies différentes permettent de s'y retrouver. le lecteur peut se laisser porter avec eux dans ce voyage littéraire...
Lien : http://www.chronercri.wordpr..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Vierge moderne

Je ne suis pas femme. Je suis neutre.
Je suis un enfant, un page et une hardie résolution,
je suis une riante raie d'un soleil écarlate...
Je suis un filet pour tous les poissons gloutons,
je suis un vivat en l'honneur de toutes les femmes,
je suis un pas vers le hasard et la perte,
je suis un saut dans la liberté et en soi-même...
Je suis le chuchotement du sang dans l'oreille de l'homme,
je suis un frisson de l'âme, le désir et le refus de la chair,
je suis un panneau d'entrée du nouveau paradis,
Je suis une flamme, cherchant et effrontée,
je suis une eau, profonde mais audacieuse jusqu'à hauteur des genoux,
je suis feu et eau en sincère alliance sur de libres conditions.

Vierge moderne

Jag är ingen kvinna. Jag är ett neutrum.
Jag är ett barn, en page och ett djärvt beslut,
jag är en skrattande strimma av en scharlakanssol ...
Jag är ett nät för alla glupska fiskar,
jag är en skål för alla kvinnors ära,
jag är ett steg mot slumpen och fördärvet,
jag är ett språng i friheten och självet ...
Jag är blodets viskning i mannens öra,
jag är en själens frossa, köttets längtan och förvägran,
jag är en ingångsskylt till nya paradis.
Jag är en flamma, sökande och käck,
jag är ett vatten, djupt men dristigt upp till knäna,
jag är eld och vatten i ärligt sammanhang på fria villkor …

Edith Södergran, Dikter/Poèmes. 1916.
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O l'onduleuse, la gondolée, la serpentine,
cela fait au moins cinq millions de gouttes
qui déferlent en même temps sous le soleil et les étoiles,
et qui, du départ à l'arrivée, sont identiques à elles-mêmes.

Dans un monde rempli de fureur, je m'accroche à ta nuque,
même si celle-ci est d'eau,
les jambes et le cou pris dans des tourbillons,
et sur le jeune homme s'effondre l'inéluctable vague.

Rien ne peut nuire de ce qui est de l'ordre de la trajectoire.
Le chemin de fer dépend du rail, l'obscur du jour.
Éclairci, la vague m'a roulé, m'a amené au hasard,
et à moitié mort, à moitié vif, avoir avec elle une houleuse explication.

La route n'a aucune raison d'être, dit-elle.
Les arbres franchissent les ruisseaux, les montagnes sont hautes.
Vos villes m'entravent, dit-elle.
Seriez-vous surpris si je vous submerge ? Ce ne serait que la rançon de vos gloires.

Gloires, il n'y a pas : Histoire insensée des Hommes,
comme une tapisserie déchirée, rat qui pousse une porte
est une gloire pour la souris. Vaguelette ridicule sur le pont ?
infime infini, petite chose est si grande.
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À ce moment précis, le vent claque et bientôt on ne voit plus rien,
ce sera comme une promesse tenue.
Mais derrière cette promesse, comme les vagues,
encore une autre, puis une autre, et bientôt toute la mer sera ma
bouche.
Ce n'est pas cela vomir. Ni respirer.
Ici, c'est avaler le chaos du monde.
Je suis ce tumulte et ce tumulte est moi.
Le ventre se gonfle de sel,
les narines sont pleines de sédiments,
le cœur est siliceux.
Ce sont des moments de haute lutte.
Ce sont des moments de haute mer.
Et les coquillages font partie de mes os
comme mes os font partie de leur nacre.
Dans ces circonstances, ne parlons pas de promesse.
Parlons serment. Pacte !
De la salive, de l'urine, du sang,
nous serons liés à cette plage tourneboulée.
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...
L'homme fut amené pour qu'on lui ôte la vie,
Il fut établi que si quiconque périt
quiconque périra encore.
Non, la violence du vent n'est pas cause des vagues, elle en ajoute seulement l'effet.

Vers les régions du Nord, à l'ouest des carnages,
ma chair se rétracte comme des paroles reprises,
je cours pareil à la truie pour le boucher.
Il y avait beaucoup de marchands qui attendaient après ma viande.

La bravoure, celle de l'ours, celle du lynx,
dessèche ma langue, car je n'y trouve pas de compassion.
Mais sécheresse si bonne.
Lorsque la nuit vient, nous forniquons tous ensemble.
Comment un homme peut-il connaître son maître
s'il n'a jamais servi ?

extrait de Piet Lincken, in "A : itinéraire suédois"
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Toutes mes chimères ont fondu comme neige,

tous mes rêves ont filés comme l’eau,

de tout ce que j’ai aimé il ne me reste plus

qu’un ciel bleu et quelques pâles étoiles.

Le vent s’insinue doucement entre les arbres.

Le vide se suspend. L’eau est silencieuse.

Le vieux sapin reste éveillé et songe

au nuage blanc, il embrasse et il rêve.

Edith Södergran : « PRINTEMPS NORDIQUE » / « NORDISK VÅR », DIKTER / POÈMES, 1916
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