Pendant que je mangeais mes huîtres au fort goût de marée, avec une légère saveur métallique que le vin blanc emportait, ne laissant que l'odeur de la mer et une savoureuse sensation sur la langue, et pendant que je buvais le liquide frais de chaque coquille et savourais ensuite le goût vif du vin, je cessai de me sentir vidé et commençai à être heureux et à dresser des plans.
Ernest Hemingway (Paris est une fête)
Montera, Le vieux Madrid, l'air qui charrie les souvenirs, la ville qu'il aime encore. Montera, une putain qui tapine sans bénédiction épiscopale, un employé enraciné dans les années trente devant son crème et ses petits pains matinaux ; une secrétaire tout acquise à la cause du progrès, prête à se faire mesurer le périnée au moyen d'une règle à calcul ; un patron de café qui parle encore de la Constitution de Canovas del Castillo ; un retraité au regard absent qui, fidèle aux prescriptions gouvernementales, fait durer de son mieux ses maigres revenus.
Francisco Gonzàlez Ledesma (Soldados)
Artiste multiforme, Jacques Loustal est notamment connu pour ses carnets de voyages, genre qu'il pratique depuis plus de quarante années. Cette pratique du dessin d'observation, sur le vif, n'est d'ailleurs pas étrangère à celle de la bande dessinée, les images faites en situation pouvant ensuite être utilisés comme socle d'un récit (« L'Homme de sable, avec Philippe Paringaux, Métal Hurlant, 1981). En compagnie Laurent Lolmède confrère ayant également pratiqué le carnet de voyages, on reviend dans cette rencontre du SoBD 2023 sur cette façon de dessiner… et de faire des livres. « Je faisais un dessin comme quelqu'un pouvait se mettre au coin d'une rue et fumer une cigarette », explique ici Loustal pour exprimer ce qui l'intéresse dans le dessin sur carnet. Pour lui, le voyage est eu coeur de cette activité graphique. Moins pour Lolmède, qui se définit plus comme un promeneur, un dessinateur de campagne. Pour ce dernier, le carnet de voyage est un objet à part entière, qui peut s'apparenter à un fanzine, tandis que Loustal évoque le plaisir fétichiste du carnet vierge, du livre blanc qu'il s'agit de peupler en toute liberté, l'exercice autorisant le dessinateur à choisir les outils qui lui conviennent. Evoquant le dessin-récit, qui condense en une seule image une scène qui peut être éclatée et s'étaler sur un certain temps, Laurent Lolmède rappelle que le B.A. BA du dessin, pour Lolmède, c'est de faire comprendre ce que le dessinateur voit. Les intervenants s'accordent sur le fait que le carnet de voyage est devenu un genre littéraire dessinée à part entière. le dessin sur le vif est un pratique très spécifique, qui rejoint également le reportage dessiné. La rencontre, qui s'est tenue le dimanche 2 décembre 2023, est animée par Frédéric Michel.
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