Dieu de la guerre, Odin reste aussi – et surtout – un dieu de la magie.
Il va inventer l’écriture, imaginant les caractères sacrés qui permettent de fixer la pensée, de la réaliser, de la transmettre.
Mais tous ne doivent pas comprendre les signes inventés par le dieu borgne et que ses fidèles vont graver, en traits anguleux, sur l’os, la pierre ou le bois. Aussi ces lettres portent-elles le nom de « rune », c’est-à-dire de Secret.
L’écriture doit rester mystère. Les étrangers, les infidèles, et les impies n’ont pas le droit de connaître le message du dieu aux corbeaux. Ils ignorent au prix de quelle souffrance le père des dieux a créé ces caractères, qui vont désormais permettre aux croyants de se reconnaître et de s’accorder.
Pour inventer les runes, Odin a résolu de se sacrifier. Il s’est suspendu dans l’arbre sacré, l’if Ygdrasil, dont les racines plongent dans les trois mondes de Niflheim, de Jotunheim et de Asaheim.
L’arbre se dresse sur un rocher, exposé à tous les vents. Et sur l’arbre, comme crucifié – non pas pour le salut de tous les hommes, mais pour la garde de ses seuls fidèles – souffre le dieu Odin. Il s’est percé le flanc de sa propre lance. S’offrant en sacrifice au Père-de-Tout.
Je me suis offert à Odin,
Moi-même à moi-même.
Il n’y a pas d’autre dieu que lui, pour recevoir et comprendre ce sacrifice. Et de même chaque homme n’a, pour le connaître et le justifier, pas d’autre homme que lui-même. Le dieu est seul comme l’homme est seul. Mais sa grandeur vient de sa solitude. Que serait le sacrifice s’il était offert à un autre dieu ? Que serait la fidélité si elle était donnée à un autre homme ? Chacun ne doit répondre que devant lui-même.
Et le coup de lance d’Odin est d’autant plus cruel et plus juste que c’est à Odin qu’il est offert. (pp. 96-97)
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