Onze arrêts momentanés chez Ange, chez Calvin, chez Cora, chez Kate, ses parents et quelques autres. Souvent au bord de la Silver Creek, ou pas bien loin, dans ce coin sauvage du Vermont. Dans une ferme délabrée, dans un coupé abandonné perdu dans les fougères, une cabane de chasseur ou un mobil-home, ou une caravane tout humide léchant la rivière.
Arrêts sur le quotidien des uns et des autres, un peu perdus parfois dans cet environnement forestier, s'interrogeant souvent sur leurs vies en ces lieux. Aiment-ils ces bois, ces champs, cette rivière, ce coin humide, paradis des moustiques ? Ou bien les détestent-ils ? Est-ce un bel endroit pour vivre, pour y grandir et y rester ?
C'est un chez soi qu'on souhaiterait parfois ailleurs mais qui paralyse souvent, alors on y reste. Certains ont fait le choix de la solitude ici, d'autres ont préféré partir. Pour ceux-là, qui reviennent l'espace d'un instant, ces lieux chargés de souvenirs interrogent sur l'appartenance à cette terre. le coeur résiste contre la solitude et le côté sauvage des bois, c'est comme une attraction dont il faut se forcer à s'extraire. D'autres fois des choses retiennent et font taire l'envie d'évasion. Cet attachement est-il synonyme d'enchaînement ou bien de liberté ?
Ce coin est reculé, mais pas épargné par les travers du monde : alcoolisme, drogue, soif immobilière, racisme, guerres lointaines qui volent un frère, un fils.
- Devant un verre de scotch, une fille garde un lien ténu avec son père, un frêle raccord avec son ancienne vie dans les bois. Deux mondes dans ce Vermont, celui qui s'attache à rester vivre dans ces habitations sans confort, celui qui s'enrichit en vendant des parcelles convoitées pour y ériger de grandes maisons.
- Froid de décembre dans un mobil-home où une femme seule affronte sa peur d'une mauvaise nouvelle venue d'Afghanistan. de la ferme en contrebas percent les lumières d'une réception, peut-être le signe qui fait mentir la solitude.
- Une journée de novembre, un énième tour sur les routes de campagne avec le réconfort d'une thermos, de sandwichs au jambon, de bières. Un couple de septuagénaires. Accompagnée par le croassement des corneilles, une femme retrace la dernière journée aux côtés de son mari, ce « coeur tendre sous l'écorce ». Une nouvelle comme une dernière feuille d'automne qui finit par tomber.
- Une ferme au toit fatigué, avoir quitté ce lieu et y revenir pour aider sa mère face à son cancer. Un texte où la voix de la fille se demande pour sa mère « comment réparer son toit, son corps et son esprit. » Les méandres que peuvent suivre les liens mère-fille, si complexes, si anguleux souvent.
- La paresse d'une fille qui rêve de liberté, une mère courbée sur son potager pour libérer les plants de légumes des herbes envahissantes. Une vie sommaire que l'on tente d'embellir dans ses pensées, dont on replie les ailes qui pourraient nous y arracher.
C'est un recueil de nouvelles que l'on termine en pensant avoir lu un roman grâce aux petites images imprimées discrètement en double exemplaire, comme des entrelacs qui filent entre chaque petit texte : se baigner nues dans l'eau glacée de la rivière, percevoir les yeux ambrés d'un lynx empaillé dans un bar, un verre de bourbon à la main, les canettes de bière, un rocking-chair, des prénoms qui reviennent.
Une bande son faite de chansons glisse entre les pages. Les sapins du Canada et les érables peuplent la contrée et font le décor lointain de ces moments de vies qui sont loin d'être aussi limpides que l'eau glacée de la Silver Creek.
Et, à la lisière du bois, est-ce un couguar, un puma, deux espèces depuis longtemps effacées de ce lieu ?
Ne vous y trompez pas, ces petits textes, loin d'être perdus dans cet État du Vermont, laissent derrière eux une empreinte profonde, des émotions imprévisibles, douces, mélancoliques ou bouleversantes.
Je n'ai pas compris comment, derrière cette écriture sobre, un brin poétique mais sans grands ornements, se cache une telle puissance évocatrice. C'est peut-être justement cette simplicité de ton qui donne tout son élan à décrypter et capturer l'humain dans ses faiblesses, ses désillusions, ses souvenirs, ses regrets.
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Des nouvelles venues tout droit du Vermont
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Comme vous le voyez, je lis peu de nouvelles. C'est un format qui pour l'instant m'est peu familier. Un type d'écriture qui demande à l'auteur une exigence, une difficulté et une certaine économie de mots. Pour captiver le lecteur, une bonne nouvelle doit séduire dès le premier paragraphe, sinon il le perd...
Un exercice difficile donc. Au final, peu de recueils sortent du lot.
Alors, pourquoi celui-ci? Tout d'abord, vous connaissez mon amour pour cette collection "Terres d'Amerique" , une sélection de roman nord-américains qui, chez moi, font mouche à chaque fois. Ensuite, les thèmes intéressants : le monde sauvage, les portraits d'américains esseulés et leur nature indocile.
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11 nouvelles. Toutes se passent dans un même lieu : Silver Creek dans le Vermont. Cet état assez peu peuplé, rural, sauvage, où la nature rebelle domine encore le coeur des hommes. Une certaine intemporalité toutefois qui nous laisse penser que ce monde-ci restera à jamais figé dans la nostalgie, les souvenirs du bon temps où les habitants ne feraient plus qu'un avec la Nature.
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Un véritable chant d'amour qui bat dans le coeur de tous ces Américains laissés-pour-compte, ces êtres en quête d'un ailleurs mais incapables de partir de cette force attractive qu'est Silver Creek.
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Le fil conducteur est bien cette atmosphère particulière oscillant entre le désespoir et l'attachement tenace à la terre. Puis un sentiment d'émerveillement quand la Nature s'invite dans les pages.
Une puissance d'évocation assez rare, sensible et juste.
Bien sûr, j'en ai des préférées:
"Là où les prés tentent d'exister: l'histoire d'un homme de retour dans sa propriété familiale et qui regrette tellement ses actes qu'il finit par oublier d'aimer
"La longue route vers la joie" : Apple une mère anxieuse et éplorée attendant son fils militaire.
Des personnages abimés, paumés, marginaux avec des destins si tragiques, mais qui perçoivent encore cette lueur en eux. Cette sensibilité si particulière aux beautés que la Nature propose dans cette contrée encore sauvage.
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Si vous tenez ce recueil dans la main, ouvrez-le, lisez une ou deux nouvelles, posez-le, savourez, puis revenez-y et chérissez ces doux moments passés entre ces pages.
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11 voyages dans le Vermont : constitués de fermes qui partent à vau-l'eau, de retours accompagnés de remords ou de culpabilité, de trajets immobiles rêvés les fesses posées au creux d'une Karmann Ghia 1957, de paysages immuables décors de destins bousculés.
C'est tout cela le recueil de nouvelles de Robin MACARTHUR et bien plus encore... des atmosphères et des époques où l'on travaillait dur une terre indocile, rebelle, si belle... des rêves d'ailleurs, du droit à la différence, des regrets de ce qui aurait pu être à Silver Creek ou Round Montain, "là où les prés tentent d'exister".
Onze nouvelles, des photos sépias, instants de vies pour des femmes et des hommes qui tentent de s'intégrer dans des lieux qui s'efforcent de ne pas mourir. histoires racontées sans noirceur. Ma préférée : "Là où les prés tentent d'exister", mais les contrées sont aussi sauvages que les coeurs dans la narration de Robin Marcarthur.
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Recueil de nouvelles lu dans le cadre d'un challenge. Je crois être passée à côté des intentions de l'auteure. J'ai trouvé les nouvelles inégales, seules trois ou quatre ont trouvé grâce à mes yeux.
Par contre j'ai bien aimé le côté sauvage du livre, la forêt qui prend beaucoup de place dans les histoires, les personnages féminins aussi , elles sont vaillantes et combattantes, sensibles et fortes. Certaines nouvelles semblent être liées entre elles, il ne faut pas louper les quelques indices disséminés par ci par là.
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Tissés avec grâce et humanité, ces textes délicats touchent au plus sensible de l’expérience humaine.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Dans ce premier ouvrage, l'écrivaine décrit avec sobriété et une pudique mélancolie un Vermont ignoré, où survivent marginaux et solitaires.
Lire la critique sur le site : Telerama
La prose de Robin MacArthur est animée d'une telle force tellurique et d'une telle humanité que chaque nouvelle nous laisse les larmes aux yeux et un sourire aux lèvres. La pluie et le soleil en même temps, c'est la promesse d'un arc-en-ciel.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Ce qu’on apprend en travaillant toute sa vie au milieu des arbres et des animaux, c’est qu’il faut que quelque chose meure pour qu’autre chose pousse à la place.j’ai pensé à ces deux vieilles souches au fond des bois, en train de pourrir et de redevenir poussière pour fertiliser la terre.
Encore une tasse de café. Dehors deux rouges-gorges se posent sur la terre humide du jardin, puis se poursuivent dans l'érable en se courtisant bruyamment. La lumière éclaire le bois gris de la grange, le délave. Me sentir chez moi : une facette de mon existence aussi essentielle que l'ont été l'amour et le travail. Cet endroit que je tente sans cesse de quitter ou de retrouver, et qui ne veut pas me lâcher. ( ... ) Tout le monde n'éprouve pas un tel attachement à son lieu de naissance. ( ... ) Et je leur envie leur liberté à elle (sa compagne) comme à eux (ses collègues), tout en me demandant qui je serais, et ce que je penserais du monde, si je n'étais pas d'ici. Je me demande également si cette liberté me rendrait plus jovial, plus insouciant, plus à même d'aimer.
"J'aime bien venir ici et faire comme si le monde continuait sans moi, reprend sa mère. Comme si j'étais un petit bout de néant, nulle part".
"Foutaises, Joan, dis-je calmement. Tu n'es pas le néant, ni nulle part." Je ne veux surtout pas lui ressembler. Je veux faire partie du monde.
Une vieille femme, que tout le monde appelle Grand-Maman, a vécu ici toute sa vie. Quatre-vingt ans dans la vallée du Yaak River. Quand on songe à tout ce qu’elle a raté ! Mais quand on songe aussi à tout ce qu’elle a vu et que le reste du monde a raté. Personne ne peut tout avoir, quel que soit l’endroit où il se trouve.
Cinquante ans : cet âge auquel les hommes prennent conscience qu’ils vieillissent et ne sont pas arrivés à grand chose dans leur existence..