Intéressant. C'est vraiment le mot qui me vient à l'esprit après la lecture de cette période historique toujours riche et passionnante qu'est le mouvement des droits civiques. Tout le sel de cet ouvrage repose sur le choix que fait
Olivier Maheo d'aborder ce nécessaire combat par le prisme de personnalités et d'associations parfois oubliées ou plus souvent volontairement ignorées par les biographes et les historiens. Bien sûr il faudrait une encyclopédie comptant des dizaines et des dizaines de volumes pour parler de toutes les actrices et de tous les acteurs de ces luttes contre la ségrégation et le racisme mais, enclavés dans 230 pages,
Olivier Maheo fait du mieux possible.
Alors bien entendu les ultra connus ne sont pas non plus laissés pour compte,
Martin Luther King en tête,
Malcolm X,
John Lewis...
MLK, parlons-en un peu tiens. Sans rien ôter de son apport à l Histoire et à l'avancée des droits pour les afro-américains, on s'étend ici sur ce qu'on préfère souvent fourrer sous le tapis quand on évoque des personnages que le temps a rendu quasiment mythiques. MLK qui ne laissait personne le devancer, discourir ou prendre sa place dans les médias, capable d'accords secrets avec la flicaille avant de manifester... On a beau savoir depuis longtemps (Hoover, lui, le savait depuis toujours) qu'il n'était pas le saint que le roman national nous vend aujourd'hui (et quelques part, tant mieux), c'est toujours un peu déplaisant de devoir se confronter à cette réalité. Difficile aussi de revenir sur la misogynie de
Stokely Carmichael et de d'ailleurs presque tous les africains-américains mâles engagés dans ce salutaire mouvement. Les femmes ne manquaient pas pourtant, mais avant même que le récit national ne les éclipse, les militants ne parvenaient déjà pas à les voir autrement que comme des faire-valoir de douceur et de gentillesse, des organisatrices oui, mais des combattantes ? Sûrement pas.
Meilleur exemple :
Rosa Parks, héroïne par accident, la fatigue d'une dure vie de labeur la pousse, un beau jour de décembre 1955, à ne pas laisser son siège (pas la première à le faire pourtant... invisibilisées on vous dit) pauvre petite chose fragile à bout de force quand en réalité elle était impliquée depuis toujours dans la contestation et avait un passé de militante engagée qui n'avait rien à envier à ses homologues masculins. D'ailleurs Rosa, c'était plus une copine de Malcolm que de Martin.
Par extension, ce qui était vrai pour les femmes l'était également pour toutes les minorités. Au hasard : Bayard Rustin, conseiller de MLK qui a été totalement caviardé dans les livres d'Histoire officiels. C'est plus de 60 ans après que, timidement, un film (sobrement intitulé « Bayard Rustin », sorti en 2023) est consacré à cet infatigable activiste homosexuel.
Mais alors, une fois les postes importants et stratégiques distribués par et pour eux, les meneurs masculins n'avaient donc plus qu'à faire fléchir le cours de l'histoire, main dans la main vers un avenir radieux ? Malheureusement non, et c'est une des nombreuses richesses de ce livre que de mettre en lumière les dissensions fratricides et générationnelles qui n'ont jamais cessé d'empoisonner les différentes organisations (SNCC, CORE, CPUSA, NAACP, SCLC, etc.) quand l'urgence vitale des revendications aurait dû museler les ego.
Aujourd'hui l'Histoire nous présente un mouvement homogène, solidaire et presque sans aspérités. Hélas, parfois il n'en était rien. Quand la légende est plus belle...
Ainsi, comme bien souvent, l'avancée des droits s'est faite un peu grâce aux leaders mais avant tout grâce à toutes celles et ceux qui, n'entrant pas dans la sphère dominante, n'ont laissé leur nom nulle part et pourtant, sans eux, pas de lutte, pas de combat, pas de victoires. All power to the people !