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Corine Maitte (Autre)Didier Terrier (Autre)
EAN : 9782843033001
432 pages
La Dispute (09/10/2020)
3.5/5   1 notes
Résumé :
Temps, rythmes et intensité du travail sont des questions qui traversent depuis des siècles les sociétés occidentales. En 1516, dans son Utopie, Thomas More imagine déjà les Utopiens travaillant seulement six heures par jour, alors que partout ailleurs « le triste sort de l'ouvrier » est de s'atteler « au travail comme des bêtes de somme depuis le grand matin jusque bien avant dans la nuit ! ». Oser une perspective historique de longue durée est un pari pour mieux c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
C'est la rentrée ! L'occasion de se pencher sur les rythmes, non pas scolaires, mais des travailleurs !

“Workin' 9 to 5… what a way to make a living, it's all taking and no giving !” scandait la country queen américaine Dolly Parton. Mais a t-on toujours travaillé de 9h à 17h ? Et d'ailleurs, comment est-ce qu'on mesurait le temps de travail ?

Toutes ces questions capitales, qui font l'essentiel de notre passage éveillé sur terre, les historiens Corine Maitte et Didier Terrier les ont étudiées dans leur enquête sur les rythmes du labeur en Europe occidentale entre les XIVe et XIXe siècles.

Pour se mettre en jambe, une petite définition du philosophe anglais, sceptique et libertaire, Bertrand Russell :
“D'abord qu'est-ce que le travail ?
il existe deux sortes de travail : le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matière se trouvant à la surface de la terre ou dans le sol même ; le second à dire à quelqu'un d'autre de le faire.
Le premier type de travail est désagréable et mal payé, le second est agréable et très bien payé.”

Au-delà du sarcasme, nous sommes au coeur d'un enjeu entre deux acteurs, le travailleur et l'employeur et c'est la dialectique, pardon d'être si timide… disons-le clairement le rapport de force entre ses deux acteurs, aux intérêts parfois communs, souvent divergents, qui structure et modèle les rythmes du labeur.

Cet ouvrage n'est ni une thèse ni une démonstration, mais davantage une somme qui vient nous éclairer sur les différents aspects des rythmes du travail, avec bien sûr comme évoqué, la délicate question des mesures (cloches, horloges, sabliers etc) de ce qui constitue un travail (beaucoup sont non rémunérés, dans le monde agricole, notamment les femmes et la question des enfants…) des rythmes qu'ils soient temporels ou encore à la tâche, combien de temps pour fabriquer tel tissu, comment optimiser le temps de travail en usine. La durée du travail (et celle des horaires et de la ponctualité) a énormément variée dans le temps et l'espace, le travail à l'heure, le travail au forfait existent déjà sous l'Ancien Régime, et les idées reçues par exemple sur les pays protestants plus durs à la peine que les pays catholiques sont battues en brèche.
Autre idée reçue, celle que travailler toujours plus a toujours été du fait des employeurs, sans parler des employeurs chrétiens paternalistes du XIXe siècle qui imaginent une amélioration des conditions de vie de leurs ouvriers, des contingences économiques motivent certains employeurs à réduire le temps de travail, notamment pour ne pas altérer la qualité de la production (c'est l'avènement de la donnée “fatigue” dans l'équation économique, quelle durée optimale imposer au corps humain pour un meilleur rendement… mais on est encore loin de la donnée “santé physique et psychique au travail”) ou en raison des coûts liés aux infrastructures (prix de l'éclairage aux chandelles, puis plus tard de l'entretien des machines).

Les historiens se penchent encore, sources à l'appui, sur le travail de nuit et sa lente reconnaissance comme pathogène avec les garanties et les limites qui s'imposent, mais aussi sur les rapports de forces et les conflits sociaux, qui ont toujours eu cours, sur la différence entre pratiques réelles et postures législatives, toujours timides et souvent à la traîne en France comparé au reste de l'Europe occidentale, notamment sur l'encadrement des durées quotidiennes pour certaines catégories de travailleurs comme les femmes et les enfants.
Parfois le rapport de force est en faveur d'ouvriers et d'artisans très qualifiés, que l'on va chercher dans les villes-états italiennes pour fabriquer des objets de luxes, ils importent leur “statut collectif”, avec les pauses méridiennes, les jours chômés, fériés qui sont les leurs.

La guerre aux fêtes religieuses et aux jours chômés fut longue et si aujourd'hui nous avons la vision d'un Moyen-Âge laborieux, ne nous trompons pas, les périodes de congés (parfois déjà rémunérés) étaient très nombreuses, mais aussi disparates, dans une ville comme Paris il suffisait parfois de traverser une rue pour voir qu'une Paroisse chômait tel ou tel jour et pas celle d'en face. Les repos festifs sont parfois imposés parfois restreints par les pouvoirs politiques et religieux, et l'objet entre eux de bras de fer.

Le travail est pour Adam Smith “un sacrifice de temps, de repos, de bonheur”. C'est aussi la question de la liberté du travailleur, comment fidéliser (ou séquestrer…) les ouvriers embauchés qui ont tendance à travailler de façon irrégulière, à retourner à leur artisanat après une mission ou à leur agriculture ou encore changer de ville, parfois par la pratique, un peu sournoise, du crédit ouvrier ou encore par une activité de lobbying auprès des pouvoirs politiques (qui sont parfois les mêmes) …
Et comment encadrer et prouver par le “livret” qu'un employé a été correctement “libéré” par son employeur et n'est pas parti de son propre chef (la démission aussi semble être une conquête…), la question de la domination de l'homme par l'homme prend tout son sens dans la relation de travail, qui en reste malheureusement encore, un exemple évident, la “démocratie” et la devise républicaine ne passent pas aisément la porte des entreprises, ce qui faisait dire à Jean Jaurès qu'au « moment où le salarié est souverain dans l'ordre politique, il est, dans l'ordre économique, réduit à une sorte de servage. »

“Les ouvriers sont des espèces d'automates montés pour une certaine suite de mouvements” déclarait “oklm” en plein siècle des Lumières, le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, Fontenelle.
Cette déshumanisation n'échappe à personne, à l'image de ces vers du poète populaire Jehan Rictus :
“Ce soir, l'Ovréier est rêveur…
Ben sûr qu'a arriv' pas souvent;
car, depis trente ans qu'y turbine
(on peut dir' trente ans d'esclavage)
y n'est d'venu eun'vraie machine :
c'st pus un Êtr', c'est un rouage,
eun'mécanique, un automate,
(…)
et cert's y vit pas, y fonctionne
c'est ben rar quand qu'y réflexionne !”

Plus on avance dans le temps, plus la rationalisation et l'optimisation du temps et de la production se rejoignent, l'humain devient rouage, l'ouvrier devient exécutant, le savoir-faire nécessairement singulier entre tel ou tel artisan, est réduit à quelques gestes standards répartis entre plusieurs humains. Si la seconde moitié du XIXe siècle voit la réduction du temps de travail s'amorcer (après l'avoir considérablement allongé, en nombre de jours ouvrés annuellement tout au moins, suppression des fêtes et des repos hebdomadaires en cause) on ne peut pas parler d'une réduction du contenu du travail.
Au contraire, la tendance dans de nombreux métiers à l'intensification des jours de travail, créatrices de nouvelles pathologies, des journées plus denses, une pénibilité accrue et surtout, comme en témoignent des plaintes de travailleurs et d'ouvrières une législation des pauses, des déjeuners qui n'est ni respectée ni correctement contrôlée par les pouvoirs publics.

Un panorama assez technique, très sourcé, dans des termes simples toutefois, la plume n'est pas retors, mais le sujet peut paraitre aride et tirer parfois vers l'inventaire.
C'est aussi une lecture salvatrice et essentielle pour se forger une opinion plus technique à l'heure où ce qu'on appelle communément les acquis sociaux sont menacés sous des prétextes plus ou moins fallacieux (il n'y a qu'à relire les débats parlementaires du XIXe siècle la “compétitivité” argument avancé pour refuser toute avancée en matière de travail des femmes, des enfants, des colonisés et des esclaves…).
Se replacer dans une perspective plus longue que celle des années Mitterrand ou du Front Populaire peut nous permettre de constater la permanence des pratiques et des rapports de force sur plusieurs siècles.

Qu'en pensez-vous ?

Et surtout, bonne rentrée !
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
“Au tournant des XV et XVI siècles déjà, la question du temps de travail ne se situe pas exclusivement dans l’empyrée des idées. Les propriétaires de vignes d’Auxerre, dans un mémoire bien connu des médiévistes, accusent en 1493 leurs employés “d’apeticer l’heure” en repartant chez eux à “l’heure de none”, soit vers trois heures de l’après-midi, et non pas à “vêpres basses”, autrement dit aux environs de huit heures du soir. Les travailleurs rétorquent, par la plume d’un avocat et devant le Parlement de Paris, que “combien ilz soient povres gens toutes voies homines sunt et ne doit pas l’en exiger d’eulx telle paine ou tel travail comme l’on feroit d’un boeuf ou d’un cheval.”
La protestation révèle comment, à la fin du Moyen-Âge, les autorités sont sollicitées pour régler le conflit entre ceux qui vendent et ceux qui achètent du labeur, et plus largement, pour imposer des normes temporelles au travail.”
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Vidéo de Corine Maitte
Le thème du Travail par Corine Maitte, professeure d'histoire moderne à l'université de Paris-Est Marne-la-Vallé, . Vidéo réalisé par les Clionautes
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