Le coin de paradis sur terre serait-il le Lubéron ? C'est le prologue de ce livre surprenant, magique et plein d'originalité qui nous en fournit la preuve : Dieu en a voulu ainsi et avec l'aide des quatre éléments, il a donné cette petite touche finale à son travail de création en donnant naissance à cette fabuleuse région.
Mais revenons ensuite aux temps actuels, dans ce petit coin provençal. Un orage et ses grosses gouttes faisant dégringoler un mur de pierre chez le voisin amène notre narrateur vers l'improvisation de fouilles archéologiques.
Alors qu'il désirait tout recouvrir pour garder jalousement son lopin de terre, monsieur Sécaillat se prend au jeu et fébrilement joue à l'archéologue clandestin avec son voisin. Sirotant souvent un petit café, croquant des sandwichs en guise de déjeuner sur le chantier, les deux compères déblayent, remontent les seaux de terre soigneusement tamisée et mettent délicatement de côté des tessons de poterie. Acharnés, se liant d'amitié au fond de ce trou creusé jour après jour, les deux fouilleurs atteignent ultimement un vestige taillé et gravé par la main de l'homme dans la roche du pays : un visage de femme-calcaire au regard fixe qui peut de nouveau contempler le bleu du ciel et dont la bouche déverse une eau tiède chargée en fer.
Mais les contingences de notre société actuelle s'appliquent aussi à fixer des règles sur les découvertes d'un autre temps…
Le Hussard est aussi là, félin observateur et nonchalant, avec ses pattes noires qui tranchent sur son pelage tout blanc, comme s'il avait enfilé des bottes. Il quémande ses repas. Gâté par madame Sécaillat le voilà qui boude ensuite ses vulgaires croquettes. Il nous accompagne au fil du récit et semble connaître le chemin qui mène à l'épilogue.
Traversant les saisons bien marquées, les quatre éléments montrent à visage découvert toutes leurs puissances. Ils ont façonné ce coin et occupent la place depuis des millénaires. L'auteur nous les révèle dans l'éclat du calcaire, les ocres de la terre, les sources qui valent de l'or et les caprices du mistral, ce vent fada que l'homme redoute tant.
Il nous fait arpenter ces lieux traversés par le souffle du Maître-Vent ; la caillasse du mont Ventoux, les crues de la rivière Calavon d'Apt, la beauté des monts du Vaucluse avec ses buis fournis et ses chênes majestueux, le plateau d'Albion, les combes de ce Colorado provençal.
Bigarré comme l'Arlequin, ce premier roman picore dans les contes transmis par les aïeux et nous livre toute une facette pittoresque de la Provence, se jouant du temps et de la rationalité.
Il nous emmène vers les légendes qui donnent toutes leurs significations aux reliefs accidentés et aux couleurs particulières de ce pays. Les ocres de Provence sont entachées de sang et un terrible chagrin d'amour forma la combe de Lourmarin.
Mais attention, ce n'est pas du tout un salmigondis de légendes dont l'auteur se fait écho. Non, il déploie un talent indéniable pour imbriquer celles-ci dans le présent du narrateur car elles s'infiltrent dans ses rêves, dans des paroles susurrées par la femme-calcaire et des visions qui lui apparaissent au fond de l'eau tiédasse de la source. Sont-elles qu'illusions ? le présent fait démentir cette hypothèse.
Cette farandole de contes régionaux, rebattus par les gens du cru pour endormir les enfants, ne fait pas non plus oublier les traditions qui se perpétuent comme les treize desserts sur la table de Noël, le blé à faire germer sur son lit de coton pour la Sainte Barbe, le feu de la
Saint Jean. Les dictons et petits mots provençaux qui parsèment la narration moderne, enlevée et dynamique de ce roman sont autant de sonorités qui chatouillent les oreilles. Même la faune s'invite, celle d'hier se confondant avec celle d'aujourd'hui qu'il faut préserver comme le Circaète Jean-le-Blanc.
Cette lecture a réveillé ma mémoire, elle a fait ressurgir mes souvenirs de séjours dans cette magnifique région. L'auteur a eu l'intelligence de ne pas tomber dans le chauvinisme en décrivant objectivement ce Lubéron avec ses atouts et ses défauts. Certains passages, sur les oiseaux du jardin notamment, dénotent un vécu certain. L'ensemble de ce roman parlera à un public d'initiés et le régalera mais je comprends qu'il puisse laisser de marbre des lecteurs n'ayant jamais eu le bonheur de parcourir cette région.
Pour ce tout premier roman,
Olivier Mak-Bouchard nous sert un très bon cocktail savamment équilibré entre mythes de Provence et intrigue contemporaine très proche du quotidien.