En entendant « camps d'internement » ce qui vient à l'esprit ce sont souvent les croix gammées, les trains, l'Allemagne, la Pologne… éventuellement Drancy mais personne ou presque ne pense que cela ait pu exister en France en dehors de la période de la seconde Guerre Mondiale et que si cela a existé c'est du fait du régime de Vichy. Et pourtant… La France n'a en fait pas attendu l'exemple nazi pour mettre en place ce type de système.
Thierry MARCHAND s'est intéressé aux camps d'internement en France de 1939 à 1940 et à la manière dont furent traités les indésirables qui furent internés.
D'abord il nous fait un rappel historique très intéressant et méconnu. En effet la déportation a été mise en oeuvre en France dès 1902 à l'encontre de certaines congrégations religieuses peu connues que l'on a expulsé après leur avoir confisqué tous leurs biens. -Tiens ça ne vous rappelle rien ?- Un texte légitimait ces actes puisqu'il existait un « délit de congrégation ».
En 1914, sur la base d'un loi de 1849 qui permettait « d'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l'état de siège » vont être « éloignés » tous les Austro-Allemands, les Alsaciens-Lorrains, français repris de justice, mendiants, sans domicile, prostituées étrangères… brefs tous ceux considérés comme gênants.
L'organisation est à chaque fois la même : un triage selon des critères déterminés et certaines catégories de personnes envoyées dans des lieux « spéciaux ». - Là non plus ça ne vous rappelle rien ?-
En 1939 quand le pacte Germano-Soviétique est signé et que les 2 pays se partagent la Pologne, la France le vit comme une véritable trahison. Tous les communistes sont associés aux Russes et deviennent des traîtres. le gouvernement français de l'époque n'hésite pas : arrestation en masse des communistes (pas seulement d'ailleurs) et déportation. 5 lieux sont créés à cet effet en région parisienne où seront internés les indésirables, essentiellement des communistes. Syndicalistes, élus communistes mais aussi ouvriers sympathisants. Pour la plupart il s'agit de gens qui travaillent dans les usines ou les ateliers. Quelques repris de justice seront ajoutés histoire de donner l'impression que ce qui sont traqués sont dangereux, mais ils sont en fait minoritaires. Certains seront même déportés en Algérie ou dans d'autres colonies Françaises, d'autres livrés aux Allemands et fusillés. Des gens arrêtés et internés parce qu'on leur reprochait leurs idées. Rien d'autre!
Il est étonnant de constater qu'à chaque fois le cadre juridique prévoyait tout afin que ces méthodes restent dans la légalité. L'État français avait donc tout prévu avant même le régime de Vichy. Pour ce qui est de la période 39/45 il ne restera plus à ce gouvernement qu'à appliquer aux juifs les méthodes éprouvées sur les communistes. Albert SARRAUT, ministre de l'intérieur en 39 parle d'ailleurs d'épuration : « La présence d'une lie de gens sans aveu, repris de justice, ou vagabonds spéciaux appellent une besogne d'épuration »… Une « besogne d'épuration » quels termes horribles pour parler d'êtres humains.
Il est un peu facile aujourd'hui d'accuser le régime nazi et le gouvernement de Vichy de tous les évènements embarrassants de l'histoire de France. Il y aurait peut être un tri à faire.
La deuxième partie du livre reste tout aussi intéressante. Elle aborde le problème de manière plus concrète en exposant la vie quotidienne de ces indésirables dans les camps, ce qui a dû demander à l'auteur un travail minutieux et colossal de recherches.
Les annexes ont également un intérêt. On y retrouve le cadre juridique évoqué au début du livre ainsi que des témoignages plus personnel et donc plus touchants de personnes déportés.
Un livre « made in Normandy » (c'est la quatrième de couverture qui le dit) passionnant d'un point de vue historique et humain mais qui a surtout le mérite de mettre en lumière une période méconnue de l'Histoire de France.
Merci beaucoup à Babelio pour cet envoi suite à une masse critique, ainsi qu'aux éditions Charles CORLET qui ont même pris la peine de joindre leur catalogue et un petit mot très sympathique.