"Déjà, à l'époque où tu te tenais quotidiennement aux barres du métro, direction La Défense, tu rêvais d'un endroit de ce genre, une retraite avant l'heure, un ermitage pas tout à fait décivilisé. Mais tu ne l'avais pas imaginé dans ces conditions-là.
Seul.
Quand tu as dit au revoir à ta compagne et à ton fils, avant qu'ils ne franchissent le premier contrôle de sécurité, tu ne savais pas. Tu ne pouvais pas savoir, bien entendu, même si l'on ressent toujours à ce moment précis un pincement au coeur. De même qu'une île peut être éparse ou annoncer le continent, toujours la séparation, aussi courte soit-elle, porte une incertitude, la possibilité d'un retour plus lointain (ou plus proche) que prévu. D'un non-retour, même. Il suffit d'un rien. Un pneu crevé. Un embouteillage. Une grève du personnel navigant. Une entorse à la cheville. Un ski de travers. Une artère bouchée. Un acte terroriste. Une bombe atomique. Ou bien, au volant, tu passes la première et tu agites la main à hauteur de rétroviseur intérieur pour tes parents restés sur le pas de leur porte, tu leur as promis de revenir avant la fin du mois à Rozay-en-Brie, et] puis une semaine plus tard, ce sont les pompiers qui t'appellent. Cela t'a fait prendre conscience que les au revoir dissimulent toujours des molécules d'adieu, et aussi qu'il n'y a pas d'âge pour devenir orphelin."
PLUS PERSONNE POUR AUJOURDHUI, de Fabien Maréchal (Le Réalgar, 2022) : lecture d'un extrait par l'auteur
"À plusieurs reprises, avant de déménager, tu es passé par inadvertance devant une école à l'heure de la récréation, hésitant entre la fuite éperdue, oreilles bouchées avec les poings, et l'attente mélancolique de la prochaine cloche, te gavant par procuration de bonheurs qui n'étaient plus tiens. Une fois, un agent de police, un jeune avec des cheveux ras, s'est approché. Il y a des flics partout en région parisienne, surtout près des écoles. Tu avais dû regarder la cour de récréation de façon un peu trop insistante..."
+ Lire la suite