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EAN : 9782378960667
639 pages
Les Presses du réel (02/09/2019)
3.5/5   1 notes
Résumé :
Comment se renouveler pour un dadaïste, lorsque l'on a déjà derrière soi plusieurs décennies de création et que l'on revendiquait la nouveauté radicale comme principe esthétique ? Comment, alors même que l'on a commencé à créer pendant, et à cause de la Première Guerre mondiale, en exprimant par la poésie le rejet de la barbarie humaine, peut-on continuer à écrire après 1945, lorsque la catastrophe non seulement se répète, mais s'amplifie démesurément moins d'un qua... >Voir plus
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« Petite éternité L'oeuvre poétique tardive de Jean Hans Arp » de Agathe Mareuge (2019, Les Presses du Réel, 630 p.) est un gros pavé qui reprend sa thèse en Sorbonne (2014) sur l'évolution poétique de Jean Arp.
Le titre est quelque peu maladroit, mais se justifie par la suite. En effet Hans Jean Arp (1886-1966) commence son parcours poétique avec la fondation du mouvement Dada, avec Tristan Tzara et Marcel Janco. Auparavant, il a fréquenté le mouvement « Blaue Reiter » à Munich, en 1912 avec Paul Klee, Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke. Donc, avant-guerre et jusque vers les années 1925, il fait partie de l'avant-garde artistique. On le retrouve, entre la fin de la seconde guerre,1945 et 1965, célèbre par ses sculptures et ses écrits, comme en témoigne le recueil « Jours Effeuillés » (1966, Gallimard, 672 p.) qui rassemble poèmes, essais et souvenirs écrits entre 1920 et 1963. le problème que pose alors Agathe Mareuge, est de pouvoir établir une chronologie de l'évolution de l'écriture, et de pouvoir la séparer en différentes phases successives. Avec en plus, un obstacle supplémentaire à cette évolution, sachant que Hans Arp réutilisait constamment, en les modifiant légèrement, des phrases ou des textes antérieurs. C'est un premier défi. le second est de replacer cette évolution créatrice dans le parcours personnel de l'artiste. Et ce parcours n'est pas neutre, loin de là. Il y a d'abord deux guerres. Celle de 1914-1918 tout d'abord, à laquelle Arp a échappé en se faisant réformer pour déficience mentale. L'anecdote est rapportée dans « Jours Effeuillés », mais aussi par Leonora Carrington dans « Histoire du petit Francis », ainsi que par André Breton dans « Anthologie de l'Humour noir ». Mais, c'est une époque qui l'a beaucoup marqué, lui et Sophie Taüber. Puis la seconde guerre et la montée du nazisme auquel il se sont violemment opposés, d'autant plus qu'il était d'origine alsacienne, avec les déchirements qui ont eu pour origine le rattachement des deux provinces annexées et leur retour à la France. « Dégoûtés par la tuerie de la guerre mondiale en 1914, nous nous sommes consacrés aux beaux-arts à Zurich. Tandis qu'au loin le tonnerre des canons grondait, nous chantions, peignions, collions, écrivions de toutes nos forces. Nous recherchions un art élémentaire qui guérirait les gens de la folie des temps et un nouvel ordre qui rétablirait l'équilibre entre le ciel et l'enfer ».
Il parle aussi dans ses souvenirs de sa définition de l'art, qu'il appelle l'« Art Concret » (1944). « Nous ne voulons pas copier la nature. Nous ne voulons pas reproduire, nous voulons produire. Nous voulons produire comme une plante qui produit un fruit et ne pas reproduire. Nous voulons produire immédiatement et non par truchement. Comme il n'y a pas la moindre trace d'abstraction dans cet art nous le nommons : art concret ». Surtout, il rappelle ce qu'ont initié « en 1915, O. van Rees, C. van Rees, Freundlich, S. Taeuber et moi-même ». En effet Freundlich (1878-1943), Otto van Rees (1884-1957) et Adya van Rees (1876-1959) (et non C. van Rees) ont fait partie du mouvement « Dada ». Au même titre que Vassily Kandinsky (1866-1944), ils sont considérés comme les fondateurs de l'abstraction et du constructivisme dans le mouvement « Dada » à Zurich. « Ces oeuvres sont construites avec des lignes, des surfaces, des formes et des couleurs qui cherchent à atteindre, par-delà l'humain, l'infini et l'éternel. Elles renient notre égoïsme. […] Reproduire, c'est imiter, jouer la comédie, danser sur la corde raide ».
Mais Hans Arp n'est pas tendre avec les années « Dada ». Dans « Sciure de gamme » (1938), on trouve déjà dans « Les pigeons bossus » des piques contre les poètes qui sont devenus des « sommités » dans leur petit prés-carrés. « Les sourds avec leur longue-vue dans les oreilles / flairent mieux que les chiens de chasse les apparences […] les maîtres les kilomaîtres les centimaîtres et les millimaîtres / boivent de l'eau carrossable ». On constate aussi que Arp, non seulement ne se considère pas comme un méga-mètre depuis cette période de création qu'a été l'épisode du « Cabaret Voltaire », et ce une vingtaine d'années après, mais qu'il a gardé une forme d'humour qu'il n'a par ailleurs jamais abandonnée.
Il pense en 1916 que « Dada est le fondement originel de tout art. Dada est pour le « sans-sens » (Ohne-Sinn) de l'art qui ne signifie pas le non-sens (Unsinn). Dada est sans sens comme la nature. Dada est pour la nature et contre l'art » écrit-il dans « Unsern täglichen Traum ». Propos qu'il modifie légèrement en distinguant non-sens dada et un sens profond sous-jacent « Dada est moral comme la nature. Dada est pour le sens illimité et les moyens limités. La vie est pour le dadaïsme le sens de l'art », reprend t-il dans « Configuration strasbourgeoise » en 1931. Dans le fond, c'est la reprise de « Dada était là avant que Dada soit là » comme il est énoncé dans les « proverbes dada ».
Surtout la partie tardive de l'oeuvre de Hans se marque par une spiritualité beaucoup plus maquée. La guerre, avec son cortège d'horreurs, à l'échelle de l'homme et du couple, ou à l'échelle des peuples, ou des groupes religieux, a laissé des traces visibles dans la relation de l'artiste à l'art en général, que ce soit écrit ou sculpté.
En ce sens, la démarche destructrice, qui reprenait par le chaos des mots, le chaos des batailles, s'efface au profit de la poésie, bien que la virulence de la critique de la civilisation reste intacte. A ce niveau, Hans Arp fait confiance au pouvoir des mots face au pouvoir souvent destructeur des faits. Ce n'est pas encore le pouvoir des mots face à celui des images, McLuhan n'est pas encore passé par là.
Le langage employé de façon poétique permet, selon Arp, de dénoncer une vérité loin d'être satisfaisante, mais il permet aussi de collaborer à la création et l'invention, et par là il libère à la fois l'esprit et l'homme. A ce propos, Agathe Mareuge introduit le terme de cosmogonie, terme qu'elle applique, d'après un poème « Chemises » ‘1961-1964) tiré de « Jours Effeuillés ». « Des chemises pour natures mortes / genre cosmogonie sombre. Des chemises étalées avec soin horizontalement / dans l'air amidonné ». On le voit, le climat n'est pas, ou n'est plus, à la gaieté. Tout est sombre, tout est raide. On est bien loin du « papapillon empapapaillé » et encore plus du « grandpapapillon grandempapaillé ». Quant à ce terme de cosmogonie, on est loin aussi d'une explication, fût-elle poétique, voire dada, de la formation du monde et de la répartition des forces ou des dieux dans la genèse des hommes et de leurs croyances. On retiendra plutôt le recueil de poèmes de Raymond Queneau, intitulé « Petite Cosmogonie Portative » (1950, Gallimard,150 p.) qui répond, ou ne correspond pas, tout autant à cette définition. L'origine de l'univers dévoilée par la poésie. Sachant que l'oeuvre artistique de Arp a surtout procédé par évolutions successives, reprenant en les modifiant des séquences de texte ou de sculpture, on peut être tenté de voir là une métaphore de l'évolution darwinienne. C'est sûrement aller vite en besogne, ou alors il faut rejeter le monde anté-Dada comme non créé.
A propos de définition que Arp peut donner des gens ou des objets, il faut citer « Olmen » dont il prend soin de titrer ainsi dans « La Grande Fête san fin » en 1963, deux poèmes qui se suivent, et ne se ressemblent pas « Olmen I » et « Olmen II », mais qui sont censés répondre à la question : « Olmen, c'est quoi ? » Eh bien pour réponse « Olmen est tantôt ceci tantôt cela / Olmen est aussi parfois l'un et l'autre à la fois / La plupart du temps Olmen est autre chose ». Généreux, il donne des exemples, comme un « Supercaruso » ou un « Pseodopuccini », à ne pas confondre avec un « vrai Caruso », cela va de soi. Mais, de fait, « Olmen est un liftboy / un lohengringoy ». C'est aussi « Olmen est un glouton […] un papillon / un fakir de nadir / un gondolier d'étoile ». C'est en fait un cousin de Odradek, personnage inventé par Franz Kafka dans « le souci du père de famille » nouvelle tirée de « Un médecin de campagne » dans « Oeuvres Complètes II » (1980, Gallimard, La Pléiade, 1344 p.). Il est à la fois une poupée et un prodige tombé du ciel, une mécanique de l'horreur et une étoile, une figure du disparate et un microcosme. C'est le modèle réduit de toutes les ambiguïtés d'échelle de l'imaginaire, car selon Walter Benjamin « Odradek est la forme que prennent les choses oubliées ». Franz Kafka est plus concret qui affirme « Les uns disent que le mot Odradek vient du slave, et c'est pour cette raison qu'ils cherchent à établir la formation du mot. D'autres en revanche croient que ce mot vient de l'allemand, qu'il n'est qu'influencé par le slave. Mais en vérité le caractère incertain des deux explications permet de conclure à juste titre qu'aucune n'est exacte, d'autant plus qu'aucune d'entre elles ne permet de trouver un sens au mot. Naturellement, personne ne se consacrerait à de telles études s'il n'existait pas vraiment un être qui s'appelât Odradek. On dirait d'abord une bobine de fil plate en forme d'étoile, c'est un fait qu'il semble être vraiment couvert de fils, même si en vérité il ne peut s'agir que de bouts de fil de différentes sortes et couleurs, bouts de fil déchirés, anciens, noués ensemble mais aussi entremêlés. Cependant, ce n'est pas qu'une bobine, car du milieu de l'étoile ressort une tige transversale, et à cette tige se joint une autre dans l'angle droit. C'est au moyen de cette dernière tige et de l'une des pointes de l'étoile que l'ensemble se tient debout comme s'il était sur deux jambes ». On l'a dit Olmen est son cousin, tout comme le cousin d'Odradek est Olmen.
Non pas que cela signifie qu'il ne veut pas choisir, disons plutôt qu'il ne veut pas figer une situation. Car de tout objet qu'il a créé, une lente germination peut amener autre chose, de non encore défini. « Souvent, un détail d'une de mes sculptures, un galbe, un contraste me séduit et devient le germe d'une nouvelle sculpture ». Il poursuit, autre part. « Je simplifiais ces formes et unissais leur essence dans des ovales mouvants, symboles de la métamorphose et du devenir des corps ».
Un dernier aspect de l'oeuvre de Jean Hans Arp concerne le multilinguisme. On sait que, depuis tout jeune, et dans sa vie familiale, il a toujours été trilingue, en français, allemand et alsacien, avec en plus une pratique courante des langages plastiques et poétiques. Il est donc constamment confronté à des problèmes de traduction, avec ce que cela comporte comme contrainte sur la lisibilité et le message de l'oeuvre traduite par rapport à l'original. Il y a de plus, une réflexion qui s'est faite sur ce problème de la traduction. Hans Arp procède par distanciation, usant souvent de l'humour, voire de l'ironie, utilisant des associations incongrues de mots et l'effacement de l'auteur-artiste au profit de la matière, qu'elle soit verbale ou plastique. Ceci conformément aux principes Dada. Il faut retenir que Dada est aussi un mouvement d'idées. On le connaît bien pour son côté iconoclaste, son mode subversif, c'est à dire pour son entreprise de destruction. Dada prône en effet une résistance intellectuelle contre la guerre, le conservatisme politique et globalement ce que maintenant on appelle la société de consommation. On connaît moins le côté constructif ou « côté lumineux » comme le défini et le prône Kurt Schwitters (1887-1948), désignant ainsi le combat Dada pour l'art sous l'influence du mouvement « Merz », troncature involontaire du mot « Kommerz ». Il propose notamment des techniques de collage par fusion.
Ces traductions se heurtent bien entendu à tous les problèmes de ghangement de langue, surtout si l'original est basé sur des jeux de mots, des assonances ou des modifications grammaticales. Par exemple, et pour ne citer que celui-ci « le papillon empaillé / devient un papapillon empapaillé / le papapillon empapaillé / devient un grandpapapillon grandempapaillé » est formé sur une répétition de syllabes, que ce soit sur les mots « papillon » ou « empaillé ». Dans une quelconque traduction l'ajout d'un « pa » ou d'un « grandpa » ne permet pas de garder à la fois le mot nouveau et l'allitération.
C'est ce caractère, inhérent aux langues, qui induit souvent un caractère négatif à la préservation d'un dialecte local. Là encore, le fait que Hans Arp soit né à Strasbourg joue en sa défaveur. Il parlait couramment le dialecte alsacien avec ses amis. Mais réciproquement, d'autres amis, non dialectophones, pouvaient croire, comme cela est souvent le cas que ces dialogues étaient effectués exprès pour leur « cacher » quelque chose, qu'ils n'avaient pas à connaître. Ce qui est totalement erroné. Les conversations de personnes bi ou multilingues s'effectuent dans toutes ces composantes et l'on passe d'un idiome à l'autre, si le mot ne vient pas ou si le mot à une signification bien précise dans une langue. Lire à ce sujet l'excellent livre de Albert Costa « le Cerveau Bilingue » (2022, Odile Jacob, 216 p.), traduit de l'original espagnol « El cerebro bilingüe. La neurociencia del lenguaje ». L'auteur, neuropsychologue et linguiste, expose le cas de son fils Alex, né à Boston d'une mère anglophone et d'un père hispanisant, en plus du catalan. Albert Costa cite la célèbre phrase de JW Goethe « Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiss nichts von seiner eigenen », soit « Qui ne connaît pas les langues étrangères ignore véritablement sa propre langue »
En effet, lorsque l'on traduit un sens donné d'une langue à une autre, on se heurte aussitôt à la relativité de chaque langue. Cette relativité provient de ce que les mots et leur sens définissent à chaque fois un rapport particulier. Ce rapport ne se laisse pas transporter aisément. Lors de la traduction, il change de contenu lors du passage vers une nouvelle forme linguistique. Cependant, la traduction peut aussi ouvrir de nouvelles perspectives surprenantes par rapport à l'original. Il est donc impossible par principe de déterminer ou de représenter un état de choses dans une langue donnée.
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