L'être sensible est par excellence un être amoureux : l'abandon est sa source. Chaque fois que l'amoureux exerce sa sensibilité, il prend pour ainsi dire un bain. Au lieu d'apprendre, il se déleste. Chaque fois que l'être sensible se déleste, il prend des airs de papillon – l'extrême légèreté est son rêve (« tous les parfums, ni gravité ni pesanteur » dit une chanson).
25 mars 1997
Je rencontre de moins en moins d'humains. Ai – je froid ? En même temps, c'est sur ce grand cahier que je reviens chaque soir pour rendre compte de mes déconvenues et de mes aspirations. Pour réagir. Je souhaite en effet « sauter le pas » sans bien comprendre ce que cette expression signifie – jeter probablement mon être dans la totalité magique d'une œuvre conséquente.
J'ai gagné sur le trouble d'exister quelques informations, un peu de savoir. Mais cela ne peut se quantifier, retourne à la parole non livresque. Au creuset de l'échange. Oui, je m'adresse à toi et c'est alors, comptant sur ta présence, que la parole devient une écharpe, réchauffe ton questionnement, tes doutes, tes hantises.
Il faut que chaque phrase pousse comme une racine, dans la terre, cherche la nappe phréatique. Il faut que chaque phrase soit inondée, débordée. Elle n'a qu'à chercher sa propre perte.
3 mars 1997
Au moment de quitter la maison (au Fougeray), le silence m'a surpris. Une qualité de l'air qui introduisait, dans l'ombre grandissante du jardin, une « rumeur » silencieuse. Cela avançait plutôt vite et j'étais sur le point d'être renversé au sein d'un autre monde. La proximité de la beauté m'a semblé plus forte que mon inquiétude – ce renversement.
Martin Melkonian. Arménienne.