C'est le premier livre de l'auteur qui est tombé sous mes yeux... L'original, en allemand. le traducteur / la traductrice a du bien s'amuser, car la grammaire est le dernier des soucis de M. Menasse. D'autre part, il aime un certain chaos dans la narration. Certes, ll n'est pas le premier a avoir raconté plusieurs histoires dans le désordre, mais le résultat est comme toujours garanti, plutôt déroutant. A propos, l'histoire dont il est question dans la quatrième page de l'édition francaise n'est que l'une de ces histoires et à mon avis pas forcément la plus importante. Il est paraît-il avant tout question de la "Wende", la chute pacifique du rideau de fer en 89. C'est ce qu'indique en tout cas la 4ème page de la version originale. Etonnant, car de cela, il n'est question que pendant quelques lignes de la... dernière page. Ceci étant dit (un certain chaos, un chaos certain), l'auteur ne manque ni de fantaisie, ni d'humour, souligné encore dans la version originale par l'utilisation de l'allemand autrichien, lequel diffère de l'allemand tout court et renforce souvent l'aspect grotesque, moqueur du récit. Ah, ces Viennois! En résumé, un livre intéressant mais sans plus car j'ai la plupart du temps subi les "tics" de l'auteur sans en voir la nécessité.
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Faitout, dit la mère, le fils ne veut pas entendre, il ne peut plus supporter d’entendre sa mère prononcer faitout, avec cette emphase qui sonne faux, qui sent le fabriqué. Pourquoi ne dit-elle pas tout simplement « casserole » comme avant ? Elle se travestit derrière ce mot et tous ceux du même acabit, comme elle se déguise avec son pantalon en velours à grosses côtes bleues et ses cheveux teints au henné. Elle avait déjà les cheveux gris avant, ou je me trompe ? Ils sont roux maintenant, coupés court et en brosse. Qu’est-ce qu’elle a encore préparé ? Il y en a toujours trop, comme d’habitude. Et puis cette table en bois néo-rustique, dessinée par un designer suédois ! Elle est bien trop solide pour s’écrouler, au sens littéral du terme, sous ce qu’on lui a servi ! Et ça fume et ça dégouline de partout, dans les cocottes, les plats, la casserole, le faitout. Vas-y, mais sers-toi ! Le fils ne veut même pas regarder, il ne voit que la vapeur, et à travers elle le visage luisant de sa mère dont il ne supporte plus d’entendre ce qu’elle dit. L’entendre dire par exemple que l’animal, celui qui est à présent découpé dans le faitout, a été un animal heureux, tout ça parce qu’on l’a élevé conformément à ses besoins, avec une nourriture exclusivement naturelle. C’est comme les légumes et la salade : tout vient de notre propre récolte, tout est naturel, sans engrais chimiques, non traité, biologique. Le fils gonfle ses joues à bloc, comme un trompettiste. Il se voit : il voit son visage, ses deux joues gonflées comme deux ballons de baudruche. Il n’est plus si jeune que ça, en tout cas pas autant qu’il aimerait. Il a quelque chose de bouffi, de spongieux, d’usé ; il donne l’impression d’être déguisé, lui aussi.
Robert Menasse: "Die Europäische Union - Das Ende des Nationalstaats?"